Par David Cayla | Lundi 17 Mars 2014
Le pari de François Hollande est de mettre en oeuvre une stratégie du donnant-donnant qui ressemble fort à ce que Nicolas Sarkozy avait tenté avec la baisse de la TVA dans la restauration. Or cette stratégie ne fonctionne pas. Ses partisans oublient que les entreprises ne sont pas responsables de la création d'emploi, car elles ne créent des emplois que si de la demande existe pour leur production.
Comment lutter contre le chômage ? Interrogé en
septembre dernier sur TF1, le chef de l’État répliquait par le raisonnement
suivant : « si on veut des emplois, si on veut des productions en
France, si on veut que nos enfants aient une perspective de carrière, il faut
des entreprises ». « Il faut que les entreprises se sentent soutenues »
ajouta-t-il avant de se proclamer « président des entreprises ».
Le « pacte de responsabilité », annoncé quelques mois plus tard, est
dans le droit fil de cette logique. L’idée est la suivante : puisque les
entreprises sont responsables de la création d’emploi il faut les
« responsabiliser », c’est-à-dire négocier avec elles un accord donnant-donnant.
Moins de prélèvements d’un côté, des engagements en matière d’emplois de
l’autre.
Beaucoup a été dit et critiqué sur ce « pacte ».
L’asymétrie de l’accord qui fait reposer sur l’État les seuls véritables
engagements chiffrés, son mode de financement qui rajoute de l’austérité à
l’austérité, la crainte que « l’observatoire des contreparties » ne
se résume à produire de simples constats, le fait qu’aucune garantie ne soit
imaginée pour contraindre les entreprises à respecter leurs engagements, si
engagement elles prennent…
Il faut dire que l’expérience de la baisse de la TVA dans la
restauration a laissé des traces. Des engagements, il y en avait eu. Pour un
coût de 2,4 milliards d’euros, les restaurateurs s’étaient engagés tout à la
fois à réduire leurs prix et à embaucher. Au final, dans l’estimation très
favorable qu’en a fait le gouvernement1,
cette mesure aurait créé 50 000 emplois (soit un coût de 48 000 euros
par emploi créé2)
et son effet sur les prix aurait été marginal.
Mais le pari de François Hollande est d’une toute autre
ampleur. Les cotisations familiales des entreprises représentent 35 milliards
d’euros par an. Si l’on prend on compte la disparition du CICE et le surcroît
d’impôt sur les sociétés que générerait une telle mesure, le coût total de ce
projet représente à peu près 10 milliards d’euro. Comme il manque 10 milliards
d’euros pour financer le CICE, c’est donc un total de 20 milliards d’euros3 qui
seront engagés par le gouvernement au service des entreprises, ce qui représente
un coût huit fois supérieur à l’effort consenti par Nicolas Sarkozy en faveur
des restaurateurs.
LES ENTREPRISES NE FONT PAS L'EMPLOI
Le problème, c’est qu’aucun bilan critique n’a été tiré de
l’expérience de la baisse de la TVA. Si les engagements d’alors n’ont pas été
respectés, c’est, nous a-t-on dit, parce que les restaurateurs « n’ont pas
joué le jeu ». L’explication paraît un peu courte. Qu’est-ce qui garantit
que, cette fois, les patrons « joueront le jeu » ? Mais poser la
question sous cet angle, c’est se tromper de cible. En vérité, c’est toute la
logique de ce type d’accord qu’il faudrait questionner. Les entreprises
sont-elles responsables de l’emploi ? C’est la question qu’on ne pose
jamais. Or, ce n’est pas parce que les entreprises créent des emplois qu’elles
font l’emploi. Comme le rappelle utilement Frédérique Lordon, l’emploi est
d’abord la conséquence de la demande adressée aux entreprises par les
consommateurs4.
Un restaurateur n’embauche pas par esprit civique ou parce qu’il en a la
capacité financière. Il embauche, parce qu’il a besoin de salariés.
L’expérience prolongée du chômage de masse a eu tendance à déformer certaines
vérités économiques. Le travail salarié est vécu comme une ressource rare que
les employeurs ne distribuent qu’avec parcimonie. Mais c’est oublier qu’avant
d’être une charge, le salarié est d’abord un producteur de richesses
irremplaçable. Le nombre de serveurs, de commis, de cuisiniers, embauchés par
un restaurateur ne dépend pas du profit réalisé par l’établissement, mais bien
du nombre de clients que celui-ci reçoit. Le raisonnement est le même à l’échelle
d’un pays. Ce qui détermine le nombre de personnes qui travaillent dans la
restauration, c’est simplement le nombre de repas servis annuellement, qui
lui-même est déterminé par le budget moyen que chacun consacre à la
restauration.
Ce qui est vrai pour les restaurateurs est vrai pour
l’ensemble des entreprises. Pas d’emploi sans besoin de travail, pas d’emploi
sans « carnets de commande »5,
et donc pas d’emploi sans les dépenses qui font le chiffre d’affaire des
entreprises. Or, parmi ces dépenses, il y a les dépenses publiques. Qu’elles
soient versées sous forme d’aides sociales, sous forme de traitement des
fonctionnaires ou sous forme d’investissements, toutes ces dépenses se
traduisent presque intégralement par des recettes pour les entreprises
françaises. Les ménages consomment l’essentiel de leurs revenus et la très
grande majorité de cette consommation se traduit en services ou en produits
fabriqués localement.6
UN ETAT IRRESPONSABLE, DES ENTREPRISES IMPUISSANTES
C’est à l’aune de cet autre raisonnement que l’on comprend
l’inanité d’un contrat passé entre un État responsable du niveau d’activité
mais qui refuse d’agir, et des entreprises, incapables d’avoir le moindre
levier sur leurs recettes, mais qui s’engagent néanmoins à « faire des
efforts ». Comme si ces efforts avaient le moindre sens économique !
L’État agit avec les entreprises comme des parents avec leurs enfants :
« grandissez plus vite, et vous aurez cent euros d’argent de poche ».
Et au dessert, les deux parties s’entendent pour négocier âprement les
centimètres qui seront acquis à la fin de l’année.
Aussi le véritable scandale de ce pacte n'est-il pas les
dizaines de milliards dépensés en vain, mais les 50 milliards d’économie annoncées
pour le financer. Car ce qu’on donne aux entreprises sous la forme
d’exonérations on le leur reprend via la baisse de leurs chiffres d’affaire. On
arguera que ces deux chiffres ne représentent pas les mêmes types de sommes.
Les 20 milliards donnés allégeront le coût du travail et bénéficieront
directement aux entreprises, alors que les 50 milliards d’économie, qui
s’attaquent au chiffre d’affaire, n’empêcheront pas les entreprises de
s’adapter à la nouvelle conjoncture. Mais c’est bien là tout le problème. La
seule adaptation possible dans un tel cas de figure, c’est d’adapter l’offre à
une demande en baisse. Il y a donc fort à parier que, même en cas de hausse des
profits, les entreprises soient contraintes de moins produire, et donc de
licencier.
PAS D'ÉCLAIRCIES POUR LES MARGES
La politique menée améliorera-t-elle au moins les marges des
entreprises ? Le drame de l’affaire, c’est que ce n’est même pas sûr. Pour
de nombreuses entreprises en effet, leurs marges se font sur les dernières
unités vendues. C’est le cas pour toute entreprise qui a réalisé un
investissement important, qui doit amortir des coûts fixes en recherche et
développement ou qui fait face à des charges financières. Pour ces producteurs,
la moindre baisse de la demande se traduit par une baisse des marges d’un
montant presque identique. A l’inverse, pour les entreprises dont le niveau
d’investissement est faible et l’outil de production adaptable, une baisse de
la demande peut être facilement amortie. On voit donc que le « pacte de responsabilité »
sera sans doute très bienvenu pour les entreprises de service qui sont
fortement consommatrices de main d’œuvre et qui pourront aisément licencier
pour préserver leurs marges, alors que les producteurs très capitalistiques,
notamment industriels, risquent de voir leurs pertes dépasser les bénéfices
qu’ils pourraient réaliser sur le coût du travail.
Au final, le pacte de « responsabilité »
améliorera peut-être les marges des entreprises de service et de la grande
distribution, mais il n’aidera ni l’emploi, ni les marges des entreprises
industrielles et innovantes, et n’a donc aucune chance d’améliorer la
compétitivité à long terme de l’économie française.
David Cayla
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Notes
Notes
1 Le
bilan des engagements pris par les professionnels de la restauration se trouve
sur l’adresse suivante :
http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/13667.pdf
3 Sur
ce chiffrage, lire la note des Economistes Atterrés : « un pacte
irresponsable » disponible à l’adresse suivante :
http://www.atterres.org/article/un-pacte-irresponsable
4 Lire :
« Les entreprises ne créent pas l’emploi » disponible sur son blog, La
pompe à phynance : http://blog.mondediplo.net/2014-02-26-Les-entreprises-ne-creent-pas-l-emploi
5 Frédéric
Lordon rappelle à juste titre la formule de Jean-François Roubaud, président de
la CGPME, au sujet des contreparties : « encore faut-il que les
carnets de commande se remplissent », Les Echos, 3/01/2014.
6 Sur
cette question, voir la note pour un plan de relance lancée en avril 2013 par
des membres de Maintenant la gauche : http://www.maintenantlagauche.fr/retrouvez-le-plan-de-relance-ecologique-et-social/
Salutaire article de David Cayla, des Economistes Atterrés.
RépondreSupprimerA dire et redire, en plusieurs langues s'il le faut : "L’emploi est d’abord la conséquence de la demande adressée aux entreprises par les consommateurs."
"Pas d’emploi sans les dépenses qui font le chiffre d’affaires des entreprises. Or, parmi ces dépenses, il y a les dépenses publiques."
On est loin de l'assertion que l'«offre créé la demande» proposée en janvier par François «Jean-Baptiste» Hollande, ce que Paul Krugman, prix Nobel d'économie 2008, avait qualifié de "scandale".
Les entreprises ne s'engageront jamais sur aucunes contreparties en terme d'emploi puisque tout simplement il n'y a pas de lien direct, voire pas de lien du tout, entre les baisses de charges et la reprise de la demande, donc des commandes.