Trois ans après la catastrophe de Fukushima, quelles leçons
la France a-t-elle tirées pour ses propres centrales ? Le directeur de l'IRSN,
Jacques Repussard, donne l'alerte.
Trois ans après la catastrophe de Fukushima, le 11 mars
2011, l'ex-centrale n'est plus qu'une gigantesque usine à brasser, pomper,
injecter, filtrer et stocker du liquide hautement radioactif. Des centaines de
tonnes d'eau refroidissent chaque jour les coeurs fondus, puis une partie se
perd dans le sous-sol, contaminant massivement les fonds marins du Pacifique.
Le démantèlement des réacteurs est prévu pour durer jusqu'à
l'horizon de 2050. La France a-t-elle tiré les leçons du drame
japonais ? En décembre dernier, lors d'un voyage sur les terres stérilisées de
Fukushima, Jacques Repussard, directeur de l'Institut de
Radioprotection et de Sûreté nucléaire (IRSN), a livré son analyse
au "Nouvel Observateur". Interview.
Propos recueillis par Guillaume Malaurie 10 03 2014
C'est à votre initiative que l'électricien Tepco a
finalement accepté d'entrouvrir les portes de la centrale de Fukushima. Quelle est votre
plus forte impression ?
Le gigantisme des moyens financiers et humains que les
Japonais ont dû et su mettre en oeuvre.
Sachant que Tepco évalue aujourd'hui à une centaine de
milliards d'euros le coût des travaux post-Fukushima, vous devez vous féliciter
d'avoir renforcé très largement la sécurité des centrales françaises après
l'accident...
On savait déjà que la technologie nucléaire actuelle ne
garantissait pas un risque nul. Mais la question posée ici, c'est l'ampleur
considérable du préjudice à un niveau que j'estime tout à fait inacceptable.
Vous remarquerez que les mesures
post-Fukushima que nous avons exigées en France avec l'Autorité
de Sûreté nucléaire (ASN) sont du même ordre que celles décrétées au Japon par
l'Autorité de Régulation nucléaire (NRA).
C'est notamment la création d'un "noyau dur" capable de faire face
instantanément à une interruption prolongée du refroidissement du réacteur.
A la différence des Russes à Tchernobyl, les Japonais ont
décidé non pas d'interdire mais de reconquérir le plus vite possible la plupart
des territoires contaminés.
Il est très probable que, si un accident analogue survenait
en France,
l'objectif de "reconquête" s'imposerait de la même manière parce que
nous sommes comme le Japon un
grand pays industriel et agricole avec un territoire d'autant plus précieux
qu'il est limité. Il s'agirait donc de décider aussi rapidement que possible
les conditions pour un retour des populations évacuées lors d'un tel accident.
Ce qui suppose de savoir si l'on applique le risque zéro - 1
millisievert d'exposition par an, conforme au principe de précaution - ou une
norme de sécurité reconnue - par exemple, 20 millisieverts - qui peut cependant
toujours être contestée. Bref, je m'interroge aujourd'hui sur ce qui serait le
moins mauvais compromis pour prévenir correctement les risques radiologiques
tout en évitant le coma économique et social.
On imagine que les services de l'Etat ont prévu un tel cas de figure.
Nous sommes, il me semble, bien préparés à des rejets
radioactifs de faible envergure. Mais s'agissant d'un accident de première
importance comme à Fukushima avec la diffusion d'un panache contaminant sur
plusieurs dizaines de kilomètres, je crois très franchement que notre doctrine
d'intervention reste à consolider. Ce ne sont plus quelques dizaines ou centaines
d'individus qu'il faudrait alors assister mais des dizaines de milliers. A
Fukushima, 160.000 personnes ont dû fuir leur domicile. Il faut donc en tirer
au plus vite des leçons opérationnelles.
Quelle est la toute première à vos yeux ?
Je pense que le pilotage administratif et normatif du haut
vers le bas n'est pas adapté à une société moderne. Il faut reconnaître aux
populations la capacité de s'approprier et de cogérer l'organisation sanitaire,
économique et sociale d'un territoire contaminé. A condition que les pouvoirs
publics délivrent une information transparente, indiscutable et pédagogique,
les acteurs sociaux sont capables de mettre en oeuvre des solutions inédites.
Cette coopérative agricole JA Fukushima, par exemple, qui a nettoyé au Kärcher
les dépôts de césium sur un demi-million d'arbres à kakis et sauvé l'économie
locale !
Les normes de la radioactivité ne sont pourtant pas négociables !
Justement, ce n'est pas si simple ! Regardez les zones
vertes proches de Fukushima où la contamination ambiante peut théoriquement
générer une dose de l'ordre de 10 à 20 millisieverts pour les personnes qui y
résideraient. Eh bien, lorsque l'on offre un dosimètre électronique aux
habitants qui ont l'autorisation de revenir la journée sur zone, il apparaît
que 99% d'entre eux limitent leur exposition effective à quasiment 1 seul
millisievert ! Soit à peu près rien.
Sans doute parce qu'ils ont su repérer les principales
traces de césium, en forêt notamment, et que chacun a appris à maîtriser
individuellement le risque des radionucléides, comme d'autres savent gérer le
risque chimique ou des feux de forêt. C'est aussi ça, le retour d'expérience de Fukushima.
remarquables commentaires! cependant, la résilience, c'est pour APRES les catastrophes... quel est l'obstacle intellectuel ou culturel qui rend si difficile pour les décideurs politiques le fait de penser et mettre en oeuvre la RUPTURE radicale, laquelle devrait être la seule démarche intelligente? le changement de paradigme s'impose, qui aura le courage de le mettre en avant?
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