On dispose de séries sur la durée moyenne annuelle du
travail pour l’ensemble des personnes « en emploi », qu’on nomme aussi «
population active occupée ». Mais la définition de la population active inclut
aussi les chômeurs. Or on ne trouve pas de séries pour une variable certes
abstraite mais qui a du sens, obtenue en divisant le volume total d’heures de
travail annuelles dans l’économie par la population active. Le sens est le
suivant : c’est tout simplement ce que serait la durée annuelle du travail si
tous les « actifs » avaient un emploi et si tous avaient la même durée annuelle
effective (« réelle ») du travail.
Une telle série peut être reconstituée, bien qu’avec de petites incertitudes (on a plusieurs sources sur la durée) et conventions (en particulier sur la mesure du chômage) qui affectent peu les ordres de grandeur et les tendances depuis cinquante ans. J’ai retenu à partir de 1970 la définition (restrictive) du BIT du chômage (et donc de la population active), qui sous-estime un peu la tendance à la baisse qui m’intéresse. Voici le graphique obtenu pour la durée annuelle moyenne tous emplois et tous “actifs” confondus :
Sources : durée moyenne annuelle pour les personnes en
emploi : données du Groningen Growth Center development (GGDC), reprises par
l’Insee. Série des taux de chômage au sens du BIT : Insee.
Pour une estimation de la durée hebdomadaire effective
moyenne, j’ai retenu une convention qui tient compte de l’évolution du nombre
de semaines de congés payés : 3 jusqu’en 1968, 4 jusqu’en 1982 et 5 ensuite.
Pour tenir compte grossièrement des autres jours de « non travail effectif »,
j’ai divisé la durée annuelle par 47 semaines « d’équivalent semaine complète
de travail effectif » en 1960, 46 semaines en 1970 et 1980, et 45 ensuite.
Voici le résultat sous forme de graphique :
Pour ma part, j’interprète ces résultats ainsi : dans un
contexte où la croissance ne reviendra pas vraiment, ou très peu, les
politiques devraient tendre à réduire l’écart entre la durée légale et la durée
moyenne réelle POUR L’ENSEMBLE DE LA POPULATION ACTIVE. C’est ce qu’on appelle
le partage du travail, sous réserve qu’il vise la convergence des temps et non
ce « partage » à l’envers qui voit les uns travailler beaucoup pendant que
d’autres sont à temps partiel contraint ou au chômage.
L’ALLEMAGNE ! L’ALLEMAGNE !
Mais j’entends déjà le chœur des pleureuses, dirigé par
Madame Parisot : Jean Gadrey, vos graphiques prouvent tout simplement que LES
FRANCAIS NE TRAVAILLENT PAS ASSEZ ! C’est le grand obstacle à NOTRE
COMPÉTITIVITÉ. Jamais nous ne pourrons être aussi compétitifs que les Allemands
dans ces conditions !
Soit, parlons de l’Allemagne. Je n’ai pas sous la main, ni
en ligne, de quoi reconstituer des séries longues analogues, ou alors il
faudrait que j’allonge beaucoup mon temps de travail de blog. Mais pour les
années récentes on a tout ce qu’il faut. Selon les données de l’OCDE et de l’UE
reprises par P. Artus (source ci-après), la durée annuelle moyenne de travail
des Allemands, salariés et non salariés, temps plein et temps partiel ensemble,
était en 2009 inférieure d’environ 10 % à celle des Français. Le taux de
chômage était de 7,5 % contre 9 % en France. Il en résulte que la durée
annuelle moyenne du travail effectif par actif était Outre-Rhin 7 % inférieure
à son niveau en France, soit environ 29 HEURES PAR SEMAINE !
Même si on effectue le calcul sur toute une durée de vie au
travail (la « durée effective tout au long de la vie »), les Allemands ne
travaillent pas plus que les Français, bien que leur âge effectif moyen de
départ à la retraite soit de 62,2 ans contre 60 ans en France (en 2009, selon
Patrick Artus, Flash économie du 30 mai 2011). On trouve aussi cette
comparaison dans une étude de l’OFCE de 2012, très claire sur les difficultés
méthodologiques et sur l’éventail des sources, question que je n’ai pas évoquée
: « Combien de temps les Français travaillent-ils ? », par Éric Heyer, Mathieu
Plane et Xavier Timbeau. Elle est accessible en ligne.
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