Les adeptes de l’économie circulaire, dont fait partie
François-Michel Lambert, président de l’Institut de l’économie circulaire, se
donnent jusqu’en 2017 – la fin de mandat de François Hollande – pour qu’une loi
en faveur de l’économie circulaire soit votée. Le pari sera probablement tenu,
car cette approche pour changer le système – en profondeur et en douceur –
semble avoir réponse à tout : gain économique, préservation des ressources,
création d’emplois, le tout en injectant de l’innovation et du sens dans les
rouages.
L’économie circulaire, pour les néophytes, qu’est-ce donc ?
C’est une remise en cause du modèle de l’hyperconsommation,
surtout de la partie productive. C’est sortir de cette société de gaspillage
qui s’est accélérée depuis les Trente Glorieuses, revenir à un bon sens en
termes de préservations des ressources. Cette façon de voir amène à «
transversaliser » tant le monde économique que la société, à revenir à beaucoup
plus de social, et de sociabilité… Si on continue, dans 10 ans, ça ne passe
plus… Dans 10 ans, des ressources majeures n’existeront plus en terme minier.
Il faudra peut-être même rouvrir les vieilles décharges, dans lesquelles on a
jeté des métaux, pour les régénérer… c’est une réalité.
D’où vient votre engagement ?
À la fois d’une prise de conscience à travers mon milieu professionnel
(j’ai travaillé sur la problématique du recyclage des déchets), de mon
engagement politique et d’une culture très ancienne, familiale, de préservation
du moindre clou, une culture paysanne où on ne gaspille pas…
Faire de l’économie circulaire… qu’est-ce que cela signifie
très concrètement ?
Dans le monde économique, cela signifie beaucoup plus de
collaboration, mot-clé dans l’économie circulaire. Ce qui est un déchet pour
l’un doit devenir une ressource pour l’autre, ce que l’un ne sait pas réparer,
l’autre va le réparer… Pourquoi Apple est incapable de réparer ses smartphones
alors qu’il y a des quantités de petits génies qui y parviennent ? Est-ce qu’il
ne vaut pas mieux réparer un iPhone plutôt que de le jeter, étant donné tous
les enjeux de société que nous avons à relever ? Malheureusement, aujourd’hui,
on est plutôt dans la logique de jeter que de repérer… Les entreprises
verticales, comme Apple, ne savent que prélever, transformer, marketer, faire
consommer et… payer des taxes pour compenser les déchets qu’elles engendrent.
Voilà comment elles se lavent les mains… Sauf que, une fois jetée, brûlée ou
enfouie, la matière est perdue. Faire de l’économie circulaire, c’est l’idée
d’utiliser, par exemple, un iPhone le plus longtemps possible, et en dernier
recours, pouvoir récupérer les composants, pouvoir tout recycler…
"Il y a beaucoup de signaux faibles dans la société, qui
commencent à faire masse"
La société est-elle prête ?
C’est évident… Il y a beaucoup de signaux faibles dans la
société, qui commencent à faire masse : comme la journée du gratuit où chacun
met en accès libre les objets dont il n’a plus besoin, la réussite du site de
covoiturage BlaBlacar, celui du Bon coin (société suédoise). Le succès du Bon
coin démontre que les gens recherchent à gagner certes un peu d’argent, mais
ont l’intime conviction que : « c’est dommage de gâcher ». Et côté acheteur :
acheter une veste, des chaussures d’occasion – je prends volontairement ces
exemples – cela est de plus en plus envisageable.
Puisque l’économie circulaire émerge de facto… quel est le
rôle du politique ?
Beaucoup s’invente tous les jours. Mais rien n’est mis en
cohérence, il n’y a pas de politique structurée, ni au niveau de la France, ni
au niveau de l’Europe. L’enjeu est bien entendu planétaire : l’économie
circulaire est le seul moyen de continuer à améliorer notre niveau de vie, tout
en mettant un frein à notre surconsommation de matière… Le politique a donc le
rôle de coordonner ces dynamiques pour que l’ensemble soit plus performant, que
les résultats soient là et qu’il n’y ait pas de rupture. Nous (N.D.L.R. les
élus) ne sommes pas là pour dire : c’est une révolution, et des cendres de la
révolution va naître un nouveau modèle… On est plutôt là pour faire changer
progressivement le modèle. L’axe central de ce changement ne pouvant être que
la démocratie, qui s’appuie sur une législation, une réglementation, des
politiques locales, qui doivent être coordonnées avec une politique nationale,
elle-même en lien avec la politique européenne… Voilà, tout est tellement
imbriqué, qu’on ne peut pas faire table rase et tout recommencer, mais on doit
réagencer la table de manière coordonnée…
L’obsolescence programmée : un gros verrou à faire sauter ?
Je suis d’accord, il faut se pencher sur cette obsolescence
programmée. Mais si l’on croit que cela suffira… Non, on ne va d’une part
toucher qu’une frange, que quelques objets… et pas la globalité du système qui
pousse à surconsommer, notamment avec les campagnes de publicité. L’obsolescence
programmée n’est qu’un élément qui participe à la croyance que « c’est normal
que ça tombe en panne, qu’il faut changer de lave-linge tous les 7 ans, et de
mobile tous les 18 mois ». Non, ce n’est pas normal car on sait faire des
lave-linge qui durent 20 ans… C’est le comportement d’hyperconsommation qui est
selon moi le verrou à faire sauter, et les industriels s’adapteront par la
force des choses, même leurs publicités s’adapteront.
"C’est le comportement d’hyperconsommation qui est le verrou
à faire sauter"
Vous demandez une loi-cadre très vite…
Oui, et elle va s’imposer. L’idée coince encore au Medef.
Mais nous en reparlerons dans quelque temps… Aucun pays ne s’engage là-dedans,
sans l’inscrire dans la loi… La Suisse, l’Allemagne, la Chine, le Japon, la
Corée, le Royaume Uni y sont venus, soit avec une loi dite de l’« économie
circulaire », ou par d’autres intitulés : « modèle d’optimisation et de
préservation des ressources » (cf. la Chine). Dans le canton de Vaud en Suisse,
la loi est en place depuis 10 ans. Ils ont changé la définition trois fois
déjà, car c’est autour de la définition que se retrouvent les acteurs,
économie, élus, collectivités… S’il n’y a pas de définition partagée, on se
retrouve avec un Arnaud Montebourg qui dit que l’économie circulaire c’est «
recycler les déchets en bout de la chaîne », alors que ce n’est absolument pas
ça…
Quel est le ministère aujourd’hui qui porte l’économie
circulaire ?
Le ministère de l’Écologie porte cette thématique mais pas
seulement… Nous avons décidé avec le ministre de l’Outre-Mer Victorin Lurel de
travailler de concert. Sa loi « développement économique » s’inspire totalement
de la logique de l’économie circulaire. Il a bien compris que, si loin de la
Métropole, les îles qui vivent de 90 % d’importation ne sortiront de cette
hyperdépendance que si elles retrouvent un modèle de préservation des
ressources et d’utilisation des ressources locales. Pascal Canfin, ministre
délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du Développement,
souhaite présenter une approche de l’économie circulaire à la 21e conférence
climat en 2015 qui se tient à Paris… Et bientôt le ministre de l’Économie s’y
mettra, quand il comprendra que notre déficit commercial financier de 70
milliards d’euros est fortement lié à notre déficit commercial physique de 145
millions de tonnes par an. Que se passerait-il si nous n’arrivions plus à
importer autant, si nous étions dans un blocage mondial des flux ? Que
deviendrait la France ? Nous devons redevenir des politiques qui ne pensent pas
le « lendemain » mais qui pensent le long terme avec une réponse pour le
lendemain… Il y aura un ministère de l’Économie circulaire un jour : j’en suis
persuadé.
Au niveau local, les régions ont été désignées comme chef
d’orchestre… Oui, c’est une stratégie tout à fait judicieuse de s’appuyer sur
les régions, qui sont les collectivités les plus à même d’être à
l’articulation, d’autant qu’elles vont avoir demain plus qu’aujourd’hui la
compétence développement économique. Elles ont bien la capacité à ajuster les
politiques en fonction des cultures et de la réalité locale parce que
l’économie circulaire se réimplante, se réenracine dans les cultures, dans les
réalités des ressources locales. On ne va pas faire la même chose en Bretagne,
en Alsace ou en Provence… D’ailleurs, l’idée actuelle de réfléchir à la
création d’une douzaine de régions, avec plus de décentralisation : c’est aussi
une bonne chose, car ainsi les régions auront plus de poids. Alors qu’elles ont
le même littoral, les mêmes types de ressources, les politiques de PACA et
Languedoc-Roussillon sont parfois antinomiques… Si l’on avait une région
Méditerranée allant de Nice à Perpignan, on pourrait avoir une politique
homogène par rapport à nos ressources…
Marie-Christine Boutheau, chargée de mission à la direction
Développement durable à la région Aquitaine
« Une feuille de route appuyée sur nos secteurs de pointe »
L’économie circulaire est envisagée au sein de la région Aquitaine dans toutes
ses composantes : écoconception, écologie industrielle et territoriale,
recyclage, économie de la fonctionnalité, recyclage, économie sociale et
solidaire, réemploi et réutilisation. Nous avons voté une délibération-cadre
pour développer l’économie circulaire en juin 2013, et nous avons pour objectif
de définir une feuille de route « Économie circulaire » en lien avec le schéma
régional de développement économique appuyée notamment sur nos secteurs de
pointe : biomasse, chimie du végétal. Nous observons de près les actions menées
par d’autres territoires européens, à travers le programme « Circular Economy
100 – Région » de la Fondation Ellen MacArthur, auquel nous allons adhérer. Que
faisons-nous aujourd’hui pour adapter l’appareil productif régional vers une
économie circulaire ? Nous orientons nos appels à projets Recherche (dans le
cadre de notre compétence « Recherche- Enseignement supérieur ») en direction
de projets qui tiennent compte de la fin de vie du produit… Nous accentuons les
efforts en termes de recyclage, notamment par création de filières de recyclage
en lien avec les centres de valorisation de proximité et les départements, qui
ont en charge la planification des déchets non dangereux, et ceux du BTP. Notre
rôle en tant que collectivité régionale est de mettre les acteurs en lien,
d’apporter une méthodologie… Nous soutenons par des études de flux « l’écologie
industrielle et territoriale » qui consiste à multiplier les interactions entre
les entreprises au sein d’un même site (énergie, chaleur, eau, transformations
des déchets et réemploi des sous-produits…). La plateforme industrielle
chimique de Lacq (8 000 emplois) en Pyrénées-Atlantiques est exemplaire à ce
titre. Nous allons désormais travailler avec des zones d’activités, des ports
et à l’échelle de territoire, pour encourager ce principe. Concernant la
thématique de « l’économie de fonctionnalité » (privilégier l’usage plutôt que
la possession), nous soutenons bien sûr l’autopartage, et préparons la mise en
place d’une formation aux nouveaux business models, pour les entreprises…
Dominique Flahaut, directrice adjointe Développement
soutenable, chef du service Énergie Climat Air, de la région Provence-Alpes-
Côte d’Azur
« Derrière cette doctrine, il y a des emplois… »
« L’attrait pour l’économie circulaire en PACA va grandissant parce que des gains peuvent être mis en évidence, que ce soit pour les collectivités avec moins de déchets au final, ou pour les entreprises avec des économies à la clé. Ce n’est pas une doctrine aberrante, une histoire d’écolos qui rêvent. Derrière il a des emplois… Il y a un vrai intérêt des élus, on nous demande de préparer une nouvelle délibération sur l’économie circulaire en lien avec le contrat de plan État/région car la première, qui date de 2010 « Agir + » a porté ses fruits. Sur l’axe « économie de la fonctionnalité », nous avons plutôt bien avancé, ce qui n’est pas le sujet le plus facile. En copilotage avec Inspire (une association d’entreprises) et une aide financière de la région, a été mis au point « Novus » (pour Nouvelles opportunités valorisant les usages et le service (Erreur ! Référence de lien hypertexte non valide.). Cette méthode permet d’aider les entreprises à « passer de l’économie de la vente à l’économie de la location». Sur l’axe « écologie industrielle et territoriale », l’enjeu est de mieux gérer les zones d’activité, pour qu’il y ait le plus de synergie possible entre les acteurs. La région a en outre contribué financièrement à l’étude de Novachim, pôle qui rassemble des industries de la chimie, portant sur intrants et sortants des entreprises pour voir comment les déchets des unes pouvaient être réutilisés par les autres. Ce que l’on constate : c’est qu’il y a besoin d’inventer des intermédiaires entre les entreprises pour organiser ces « transferts ». Spontanément, ces intermédiaires ne se créent pas, car notre société est organisée pour le moment pour consommer et jeter… Il faut donc favoriser le changement… En deux ans, la région a aussi aidé 19 projets de filières de recyclage : D3e, déchets agricoles, décors en fin de vie, argile… soient aussi des créations d’emploi. Il y a de vraies innovations sur ce terrain. Sur la partie éco-conception, nous n’avons pas encore réussi à concrétiser notre projet de proposer aux entreprises le soutien d’un expert à l’éco-conception d’un produit, l’idée étant de leur donner goût à cette démarche… »
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