La croissance du Royaume-Uni devrait être de 1,4
% en 2013, soit presque autant que les États-Unis et deux points de plus que la
zone euro. S’il convient de saluer cette performance, elle n’en a pas moins
reposé exclusivement sur la consommation des ménages et la consommation
publique (arrêt de l’austérité budgétaire), jointes à un programme de relance
immobilière relativement dangereuse à terme.
Les trois moteurs de la reprise
La consommation des ménages, qui aura crû de 1,8 % en 2013,
est toutefois déconnectée des revenus réels. En effet, le revenu disponible
brut des ménages (RDB) a régressé de 0,6 % sur un an. La ponction s’opère donc
sur le taux d’épargne qui s’est tour à tour vivement redressée en 2008-2009 (de
9 à 8 % du RDB), pour se stabiliser en 2010-2011 (7 à 6 %), et enfin pour
s’effondrer en fin de période (4-5 %) – ces mouvements s’effectuant sur fond
d’érosion rapide du pouvoir d’achat des salaires (qui a reculé de 10 % sur la
période 2008-2012) –. Les efforts de désendettement des ménages se sont donc
interrompus pour se reporter sur les crédits à la consommation et les crédits
immobiliers.
Cette évolution n’est pas sans risque quand on sait que la
dette des ménages britanniques, après quatre ans de consolidation, atteint 160
% de leur RDB, contre 125 % aux États-Unis et 103 % en France. Parallèlement,
le ratio dette/PIB s’accroit continument sur la période, passant de 52 % en
2008 à 84,3 % en 2011 pour finir à 92,1 % en 2013 (soit le ratio de la dette
française). On voit donc à quel point le Royaume-Uni a développé une addiction
à l’endettement qui concerne tous les acteurs.
La politique budgétaire, très restrictive en 2010 et 2011
(le déficit public passe de 10,2 % du PIB à 4,8 %) devient accommodante par la
suite, le gouvernement laissant filer les déficits sur la fin de période (-7,9
% en 2012 et -6,5 % en 2013). Face au manque à gagner de recettes fiscales dû à
la récession, le gouvernement décide de reporter à plus tard la résorption du
déficit (7,9 % du PIB en 2012, contre 5,5 % programmés).
Cette politique a été encore renforcée par la politique
monétaire, elle aussi très accommodante (les taux longs à 10 ans se sont
maintenus en deçà de 1,7 % en jusqu’en mai 2013, pour se retendre jusqu’en
février 2014 à 2,7 %, après 1,9 % en 2012). Et, de plus, les autorités
monétaires ont laissé le taux de change effectif réel de la Livre se déprécier
d’environ 30 % entre l’été 2007 et la fin 2008. Dans un tel contexte, très
expansionniste, les coupes sombres opérées dans les dépenses publiques et le
relèvement de la TVA intervenue début 2011 (+2,5 points) ont inutilement
retardé la reprise, maintenant l’économie bien en deçà de sa croissance
potentielle.
La relance immobilière a également joué un grand rôle. En
soutenant la demande et les prix (sans mises en chantiers additionnelles), le
regain de confiance des consommateurs s’en est ressorti renforcé
(revalorisation du patrimoine qui crée un effet de richesse jouant positivement
sur la consommation et la propension à l’endettement). L’important est surtout
de noter que les prix sont revenus à leurs plus hauts d’avant 2008, ce qui ne
présage rien de bon.
En juillet 2012, le premier volet du Plan permettait aux
banques de se refinancer à des conditions préférentielles si les fonds
empruntés étaient directement canalisés vers les prêts hypothécaires. En avril
2013, le second volet permet aux ménages de bénéficier d’une garantie de l’État
sur leurs emprunts immobiliers, qui va générer paradoxalement une flambée des
prix (pas de reprise de la construction immobilière). Le laxisme des banques
sera encouragé et l’État perd de fait un instrument de régulation du marché si
ce dernier devait se retourner, ce qui s’avère une hypothèse vraisemblable.
Quatre éléments dirimants pour un sentier de croissance à
long terme équilibré
La plus forte croissance a entrainé un taux de chômage
"modéré" de 7,7 % en 2013 (pour une moyenne européenne de 10,9 %).
L’érosion rapide du pouvoir d’achat et la précarité constante des contrats de
travail sont en grande partie responsables de la montée de la pauvreté absolue
qui concernerait 14 millions de personnes (ils seraient de 10 millions en
France). Une telle intensité dans la dégradation du capital humain obère les
conditions d’une reprise saine et laissera des coûts induits qui pèseront
longtemps sur l’activité ultérieure.
Économie largement tertiaire, l’activité est repartie dans
les services sur un trend de 2 % annuel. À l’inverse, la production
manufacturière est à son plus bas depuis deux ans et demi, et ce en dépit de la
dépréciation de la Livre. En effet, les gains de productivité se situent 10 %
en dessous de son niveau d’avant-crise et annulent en partie les gains obtenus
par la maîtrise des CSU (coûts salariaux unitaires). En effet, le revenu/tête,
ou la productivité apparente du travail passe de 43 651 de dollars US en 2008
pour 39 049 de dollars US en 2013. Enfin, le PIB PPA britannique rapporté au
PIB PPA Monde tombe de 3,2 % en 2008, 2,9 % en 2010, 2,7 % en 2013 et serait de
2,5 % en 2018, soit une dégradation rapide.
D’autre part la performance du pays à l’exportation demeure
faible. Si les exports en volume de biens et services ont reculé de 10,1 % en
2009, année de la récession mondiale, les ventes à l’étranger ont juste pu
refaire leur retard, puisque leur glissement 2010-2013 avoisine les 12 % (même
raisonnement avec des imports "en ligne" avec l’évolution des exports
après un creux 2009 de -11,9 % et un glissement de 12 % également). La
consommation des ménages étant prépondérante, et les lacunes de l’appareil de
production britannique nombreuses, l’ajustement s’est opéré via des déficits de
la balance des transactions courantes, élevés certaines années (71,5 milliards
de dollars US en 2010 soit -3,2 % du PIB, 94 milliards de dollars US en 2012
soit -3,8 % du PIB).
Enfin, l’investissement productif s’affiche en recul de 5 %
par rapport à l’année précédente. Son niveau rapporté au PIB est le plus bas de
toute l’UE depuis au moins d’une décennie. Le taux d’investissement de la
Nation (en % du PIB), à son plus haut en 2008 : 16,6 %, se dégrade continument
par la suite : 15 % en 2010, 14,6 % en 2012 et 14 % en 2013 (pour mémoire, le
taux d’investissement français est de l’ordre de 24 % sur la période
2008-2013).
Conclusion
La séquence vertueuse dévaluation, suivie par une croissance
tirée par les exportations puis les investissements productifs, qui génèrent
des revenus et profits, qui entrainent à la hausse le RDB puis la consommation,
l’emploi et le chômage n’aura pas vu le jour. Quoiqu’avec un taux de croissance
supérieur à celui de la moyenne de l’Euroland, le Royaume-Uni ressortira de
cette crise avec des problèmes inchangés, mais accompagnés cette fois d’une
forte détérioration de son capital humain et d’un endettement privé et public
sans précédent. Comme le dit un spécialiste de l’économie britannique, loin de
favoriser le rééquilibrage de la croissance à long terme vers l’investissement
et l’exportation, la politique de George Osborne (ministre des Finances) ramène
l’économie britannique à ses vieux démons : la consommation financée par
l’endettement.
Malgré tout, la croissance outre-Manche aura généré sur la
période 386 000 emplois en deux temps : de 2008 à 2009, on assiste à des
destructions nettes d’emplois de 480 000 postes de travail, pour déboucher de
2010 à 2013 sur 866 000 créations nettes. C’est moins bien que la performance
allemande (créations nettes d’emplois de 1 250 000 individus), mais mieux que
la France qui perd 360 000 emplois sur la période 2008-2013.
Vu de Sirius, on peut enfin se demander pourquoi le
Royaume-Uni ne croît pas plus vite que constaté. Il a en effet opté pour une
politique qui en fait le "passager clandestin" du marché unique, sans
en payer le prix, puisqu’il n’est pas lié par les disciplines inhérentes à la
monnaie unique. Il garde donc la haute main sur sa politique monétaire et de
change pleinement autonomes qui ne servent que ses intérêts souverains bien
compris. Son retrait de l’UE, mainte fois évoquée récemment, n’arrangerait en
rien ses atouts comme ses faiblesses structurelles, bien au contraire.
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