Tribune libre
Par Frédéric Lutaud
membre du Bureau national du Parti socialiste pour
la motion 4
La spécificité de notre motion c'est de relever les grands défis du XXIe siècle dans un monde solidaire où l’homme n’est pas esclave du travail et de la production.
La spécificité de notre motion c'est de relever les grands défis du XXIe siècle dans un monde solidaire où l’homme n’est pas esclave du travail et de la production.
La « politique de
l’offre » de François Hollande a ranimé un débat que l’on croyait enterré
à gauche. La baisse substantielle du « coût du travail » va t’elle
créer de l’emploi et quelles contreparties exiger ? La gauche se laissera
t’elle enfermer dans un débat stérile ?
10 milliards d’exonération de
cotisations familiales[1] ne reconstitueront pas les marges des
PME. Même en accordant les 100 milliards d’allègements de cotisations demandés
par le MEDEF, on réduirait cette fois le coût de production des entreprises de
3,5 %. Soit une misère par rapport aux variations des prix de l’énergie ou du
taux de change de l’euro. Quant à la surenchère dans la baisse du
« coût du travail », elle ne peut que dégrader la conjoncture
internationale. Nos partenaires économiques déjà frappés par la crise seront
obligés de répliquer. Une fuite en avant qui prive tous les jours un peu plus
l’Europe de ses débouchés en réduisant la demande intérieure. Cette politique
court-termiste est largement désavouée par les travaux récents du FMI, l’OCDE
et du BIT, au point de se voir qualifiée par le prix Nobel d’économie Paul
Kugman, de « scandale français ». Depuis le temps que nous accordons
des exonérations au patronat nous n’avons récolté que le chômage de masse.
Au Parti socialiste, nombreux sont ceux qui s’élèvent contre la politique économique du gouvernement. Un texte unitaire a rassemblé la signature de l’UMA, Maintenant la Gauche et Oser Plus Loin Plus Vite pour demander un changement de cap. Au Séminaire du Parti socialiste sur les « contreparties », Jean-Marc Ayrault a pu prendre la mesure de la contestation. Aucune intervention ne lui était particulièrement favorable. A juste titre, beaucoup considèrent la baisse « du coût du travail » comme une mesure libérale. La gauche du Parti socialiste lui oppose traditionnellement « la relance par la demande ». Le problème n’étant pas « les charges » mais « les marges » malmenées par la montée en puissance du « coût du capital » qui avantage la rente et les dividendes versés aux actionnaires[2]. Le rééquilibrage de la part des salaires relancera la consommation qui rempliera les carnets de commandes des entreprises.
La gauche du Parti socialiste ne délaisse pas pour autant le redressement productif de notre appareil industriel en misant sur la compétitivité « hors coût ». Mais soyons lucides. Le temps des grandes concentrations industrielles est révolu en Europe. C’est dans de petites unités hautement productives et créatrices de valeur ajoutée que se fabriqueront les biens industriels français de demain. Des techniciens et ingénieurs piloteront la mise en œuvre des techniques et des outils automatisés, faisant de moins en moins appel à la main-d’œuvre généraliste. Les conséquences sont déjà là : 65% des pertes d’emplois industriels depuis 2000 sont dus aux gains de productivité[3]. Depuis un siècle, les nouveaux emplois créés ne compensent pas les emplois détruits. De plus, on évalue à millions de personnes le sureffectif salarial des entreprises et nous ne sommes qu’à 70% de nos capacités de production. La question du chômage reste entière et la consommation de masse ne peut représenter notre horizon.
Une crise sociale et
écologique
Pour sortir de la crise, la
gauche doit rompre avec le schéma productiviste. Améliorer le pouvoir d’achat
des classes populaires par la justice fiscale pour satisfaire de nombreux
besoins sociaux est un préalable. Mais il doit aussi permettre d’anticiper une
montée en gamme de la production pour une consommation responsable. La
production de demain sera durable, recyclable, évolutive, bio, équitable et sobre
énergétiquement.
En proposant des biens et
services de meilleure qualité, pour un confort équivalent, voire supérieur,
nous consommerons tous globalement moins. C’est l‘impératif économique de notre
époque. Car nous sommes à 150% au dessus de la capacité maximum de la Terre à
supporter nos activités[4]. Aucune percée technologique majeure n’est
en mesure actuellement de soulager la pression sur les ressources naturelles
tout en augmentant la consommation de masse. La croissance continuelle de la
production matérielle n’est pas soutenable.
Une impasse structurelle
Le moteur séculaire de
l’économie marchande repose sur l’accumulation des profits engendrés par
l’accélération des cycles de production et l’obsolescence programmée des biens
de consommation. La publicité et la mode restent deux puissants vecteurs de
surconsommation qui structurent l’acte d’achat. Les stratégies marketing des
grands groupes sont tournées vers une logique de rentabilité maximum et le taux
de croissance détermine les grands choix industriels. Aujourd’hui, les
capitaines d’industrie sont les obligés d’un capitalisme actionnarial qui a
imprimé sa marque sur l’ensemble de notre modèle économique. Alors que la part
des dividendes se situait autour de 12 % en 1980, celle-ci a grimpé à près
de 30 % aujourd’hui. Et cela ne concerne pas uniquement les groupes
du CAC40. Sans mesure contraignante plafonnant les dividendes, rien ne mettra
fin cette propension à la concentration de la richesse. Aucune fiscalité écologique ne contiendra durablement la
soif de profit des capitaux privés. Les banques françaises comme leurs
homologues états-uniennes, chinoises et britanniques, sont déjà championnes en
matière d’investissements ultra polluants[5].
Autrement dit, les intérêts
particuliers de la finance ne sauraient répondre efficacement aux intérêts
généraux de la transition écologique, la « compétitivité » est par
définition inadaptée aux principes de coopération sociale d’une économie
durable et l’austérité budgétaire compromet tout développement à la mesure de
la crise.
Le système monétaire actuel
est une véritable poudrière sur laquelle est assise l’épargne des Français. La
prochaine crise systémique verra voler en éclat la gigantesque pyramide de
Ponzi qui a permis l’inflation de la masse monétaire. La gauche a pour mission
de remettre en cause les mécanismes structurels du modèle libéral.
Vers un nouveau modèle de
développement
Le prochain krach bousier est
inévitable. Aucune des mesures réclamées par toute l’intelligence économique
mondiale pour sécuriser le système bancaire n’ont été appliquées. La refonte du
système monétaire sera le premier acte d’une nouvelle économie durable. Les
leviers de la création monétaire pourront être activer par des banques
centrales investies d’une mission de service public de pilotage économique et
monétaire. Ainsi serait substituer à l’argent-dette de la monnaie
« permanente ». Le risque d’inflation n’existe que si le volume de
monnaie émise dépasse les besoins nouveaux générés par la croissance des
échanges. L’impôt sera le moyen de réguler la circulation optimale de la
monnaie.
Les grands chantiers de la
transition écologique requièrent la dépense publique pour planifier les
investissements d’avenir, considérés pas assez rentables pour le capital. Mais
la contribution de ce dernier à l’effort écologique doit-être renforcée en
luttant significativement contre la fraude et l’évasion fiscale. Nous avons
besoin d’urgence d’une agence nationale de la transition écologique qui
coordonne la reconversion des infrastructures sur tout le territoire.
L’initiative individuelle et locale, l’agoécologie ainsi que l’économie sociale
et solidaire ont besoin d’être stimulées par des prêts à taux préférentiels
accordés par un pole socialisé du crédit bénéficiant de la création monétaire.
Au cœur du dispositif de la
transition écologique, il y a le partage du travail. L’efficacité productive
économise le travail humain. Celui-ci ne représente plus que 12% de notre
existence, contre 40% à la fin du XIXe siècle. Cette réalité, qui bouleverse
nos conceptions souvent moralisatrices quant au temps de non-travail, constitue
la principale issue pour notre projet de civilisation. Le passage à la semaine
de 4 jours, permis par les gains de productivité, est la prochaine étape pour
renouer avec le plein-emploi tout en apportant une réponse à la souffrance au
travail. C’est aussi du temps disponible pour la formation des salariés qu’il
faudra réaffecter aux emplois verts. Enfin, c’est redonner de l'espace pour la
vie démocratique indispensable au nouveau projet de développement qui doit
associer la société civile. Car le temps libéré sur le travail n’est pas
destiné à alimenter la consommation de masse. Il doit permettre la vie de
famille, le développement personnel, le lien social, la culture, la recherche,
l’engagement politique et associatif… Bref, toutes ces activités essentielles à
notre humanité qui ne concourent pas à la croissance matérielle de la
production et à la destruction de notre écosystème.
Refuser de dénoncer la course
aveugle à la croissance, c’est prendre le risque d’apparaître comme la vieille
gauche productiviste et consumériste. C’est faire l’impasse sur le projet
progressiste de la gauche : relever les grands défis du siècle dans un monde
solidaire où l’homme n’est pas esclave du travail et de la production. Il est temps que la gauche
se réveille et se mette au diapason des aspirations profondes qui travaillent
notre société.
[1] François
Hollande vient d’accorder 10 milliards d’exonérations sur les cotisations
familiales aux entreprises, et non pas 30 milliards comme il a été déclaré en
conférence de presse. Les entreprises bénéficient déjà de 20 milliards d’euros
d’exonérations car elles ne paient pas de cotisation sur les salaires au Smic
et seulement en partie pour ceux qui représentent jusqu’à 1,6 fois le smic, que
l’Etat paie à leur place.
[2] Trente
ans de vie économique et sociale, Insee, 2014.
[3] Étude
du cabinet Trendeo, 2013
[4] Nous
n’avons pas mis fin à la croissance, la nature va s’en charger, Terra Eco,
Dennis Meadows, 2012.
[5] Observatoire
des multinationales, réseau Banktrack, 2013.
Nouvelle Donne ne dit pas autre chose et malheureusement, au Pays basque où je réside, nul ne tient ce langage.
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