Ministres, députés et candidats locaux du PS s’inquiètent
d’une flambée de l’abstention aux municipales. Elle pourrait transformer le scrutin
des 23 et 30 mars en défaite sévère.
Le ton a changé. Ces dernières semaines, les socialistes
étaient encore nombreux à croire à un miracle aux municipales et à parier sur
des pertes de villes limitées et compensées par quelques gains symboliques,
comme Marseille. Mais depuis dix jours, la panique monte. Après les critiques
du « pacte de responsabilité » de François Hollande, les
derniers bugs au sommet de l’État, avec l’abandon de la loi famille et
l’imbroglio sur le gel de l’avancement des fonctionnaires, leur font craindre
une abstention massive le jour du vote.
« Depuis une dizaine de jours, il y a une inflexion
nette, constate le député PS Philippe Baumel, candidat en septième place à
Breuil (Saône-et-Loire), la ville de 4 000 habitants dont il a été maire
avant d’être élu député en juin 2012. Un poids critique est tombé dans
cette campagne municipale : les bégaiements sur la loi famille ont atteint
le cœur de l’électorat de gauche, qui doute fortement de la volonté du
gouvernement d’aller au bout des choses. Les paparazzades de l’affaire Gayet
ont atteint l’image du président. »
« Au-delà de l’image souvent très bonne des équipes
municipales sortantes, la gauche risque d’être pénalisée par la désillusion de
l’électorat populaire sur les attentes de résultats économiques et sociaux.
Mais on a aussi troublé notre électorat de classe moyenne et de classe
supérieure qui considère que la gauche est aussi là pour faire avancer la
société », en référence à la loi famille, abonde Bernard Roman, député du
Nord.
Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée, élu
de l’Essonne, fait le même constat : « Depuis des mois, notre
électorat est déstructuré sociologiquement. Et entre la loi famille et le débat
sur le gel de l’avancement des fonctionnaires, on ne l’a pas vraiment brossé
dans le sens du poil ces derniers temps. On lui donne même des
contre-gages ! Dans les réseaux militants, associatifs, bénévoles autour
du PS, cela pèse. Et comme l’électorat populaire est déjà parti... »
« Les questions locales continuent de prédominer, mais
depuis quelques semaines, les interpellations sur la politique nationale sont
un peu plus régulières. Dans l’électorat de gauche, l’impatience, voire la
déception, s’expriment de plus en plus », témoigne le socialiste Mathieu
Klein, en campagne pour ravir la mairie de Nancy (Meurthe-et-Moselle) après
trente ans de règne du centriste André Rossinot.
« Je ne sens pas de raidissement, mais c’est vrai que
les sujets nationaux émergent dans les conversations, raconte Olivier Dussopt, député
et maire PS d’Annonay (Ardèche), candidat à sa réélection. La plupart du
temps, les gens font la différence entre le national et le local. Mais je ne
sais pas ce que pensent ceux qui ne me parlent pas ! Dans un quartier
difficile, j’ai aussi été témoin pour la première fois de quelques violentes
réactions antisystème, pro-Dieudonné. »
À Reims, où le PS est en plus mauvaise posture pour
garder la mairie prise à la droite en 2008, on s’inquiète. « Le vote
sanction se renforce. Le fait que le gouvernement ne soit pas très populaire,
cela compte. (...) Je crains qu’une partie de notre électorat ne se déplace
pas », a prévenu dans le Journal
du dimanche la maire sortante, Adeline Hazan. « En
janvier, on ne sentait pas le poids du contexte national. Désormais, c’est bien
là, explique Nicolas Marandon, premier fédéral du PS de la Marne et directeur
de campagne d’Adeline Hazan. Les gens nous disent ne pas comprendre
pourquoi ça tire dans un sens, puis dans l’autre. Sur la fiscalité, on prend
cher, de la part des petits patrons comme des habitants des quartiers
populaires. Il y a le chômage qui ne baisse pas, la loi famille. Ou récemment
les salaires des fonctionnaires, on n’avait pas besoin de ça ! »
Même à Tulle (Corrèze), la ville que François Hollande a
dirigée, son successeur Bernard Combes, également conseiller à l’Élysée,
s’inquiète : « À ma permanence, j’ai entendu des gens qui sont
venus me dire : “Si c’est pour geler nos salaires, alors on va geler le
bulletin de vote !” Sur la loi famille, d’autres m’ont dit : “Cette
loi nous aurait aidés” ou bien “J’ai du mal à avoir un droit de visite pour mes
petits-enfants”. Certains ne comprennent pas que 80 000 manifestants
ultra-orthodoxes fassent la politique familiale dans une société en
mouvement. » Mais « ils me disent aussi qu’ils aimeraient
me réélire », précise Combes, pas franchement menacé par la droite.
La situation est assez similaire à Rennes, une grande ville
détenue par la gauche depuis 1977. Le PS, qui présente pour la première fois
une jeune députée, Nathalie Appéré, est encore en position de force. Élue dans
un quartier populaire de la ville, sa camarade socialiste Marie-Anne
Chapdelaine voit surtout des « gens qui se concentrent sur les
municipales », et qui veulent voter à gauche. Mais elle aussi a été
rattrapée sur le terrain sur le gel de l'avancement des fonctionnaires, annoncé
par Vincent Peillon, démenti, puis confirmé, puis démenti par Jean-Marc
Ayrault, et par l'abandon de la loi famille. Vendredi, une de ses électrices
l'a appelée afin de lui dire qu'elle s'abstiendrait pour ces deux raisons aux
municipales. « Il va y avoir de l'abstention. Mais cela sera marginal,
croit Chapdelaine. Moi, je vois aussi des gens de gauche qui vont se
tourner vers l'extrême gauche. » « Pour l'électorat populaire,
il faut aussi qu'on explique mieux notre politique. Par exemple qu'on dise
qu'on ne va pas donner un blanc-seing au patronat avec le pacte de
responsabilité », ajoute-t-elle.
Des « socialistes, dehors ! » dans les cages d'escalier
À Solférino, le Monsieur élections du PS, le député Christophe
Borgel, qui reçoit de nombreux appels des candidats en campagne,
confirme : « La fin de semaine dernière n’a pas été bonne.
L’ambiance s’est dégradée, dans tous les milieux sociaux. Le pataquès de la loi
famille a remis 100 balles dans la machine sur le mode “on est des
baltringues”. Malgré les bons retours en porte-à-porte et les sondages locaux
parfois excellents, cette ambiance générale peut conduire à une abstention
qu’on peut ne pas voir venir. »
Bon connaisseur de la carte électorale et de l’historique
des municipales, il fait le raisonnement suivant : depuis 1977, il y a
plus de 100 villes de plus de 10 000 habitants qui basculent à gauche ou à
droite. La tendance est même plus forte depuis les trois derniers scrutins. En
2001, la gauche en avait perdu 101 et gagné 45. En 2008, elle
en avait conquis 112, pour 30 perdues.
Cette fois, le mouvement risque d’être plus ample. D’abord
parce que le PS et ses alliés détiennent un nombre impressionnant de villes
moyennes et de grandes villes. Ensuite parce qu’ils sont au pouvoir. Enfin
parce que l’électorat de François Hollande est déboussolé, voire déstructuré,
entre les ouvriers qui souffrent massivement du chômage, les classes moyennes
agacées par les impôts et déçues par les reculs sociétaux, les quartiers
populaires, qui se sentent toujours abandonnés, et les jeunes de gauche qui
étaient très attachés au droit de vote des étrangers et aux mesures contre le
contrôle au faciès.
Dans le meilleur des scénarios (lire notre
article), la gauche obtiendrait un « 2001 réduit »,
soit 150 villes de plus de 10 000 habitants qui basculent, dont 80 vers la
droite et 30 vers la gauche. Si Marseille en fait partie, « on pourra
dire qu’on a bien travaillé », sourit Christophe Borgel. Le pire cauchemar
du PS serait 150 villes perdues, pour 50 villes gagnées, 4 villes pour le FN et
Marseille qui reste à droite. Une débâcle qui rappellerait celle de 1983.
Élus et candidats interrogés estiment qu’une partie de leurs
sympathisants peut aller glisser un bulletin Front de gauche ou extrême gauche
dans l’urne, mais dans des proportions limitées. Ils ne croient pas tellement à
une « vague bleue » pour l’UMP. La droite, disent-ils, ne
fait pas franchement rêver les électeurs. L’image donnée par le principal parti
d’opposition ces derniers mois ne peut que les conforter. « La vague
bleue, je n’y ai jamais cru. Et je n’ai toujours pas l’impression que l’UMP
soit en position d’être l’incarnation de l’alternative locale », analyse
Stéphane Le Foll.
« Je ne sens nulle part un appétit féroce pour la
droite républicaine. Il y a même une certaine démobilisation de leur
côté : dans certaines villes de Saône-et-Loire, la droite n’arrive pas à
boucler des listes », témoigne le député Philippe Baumel. D’autant que
l’UMP est concurrencée parfois localement par des listes « très à
droite, pas étiquetées FN mais qui en sont très proches ». « Dans
les quartiers populaires d’Annonay, l’ancien maire de droite est bien plus mal
reçu que moi », explique Olivier Dussopt.
Les socialistes cauchemardent encore de leur débâcle
législative de 1993. Ils ne sentent pas encore le même climat : leur
électorat est fatigué, déçu, parfois consterné, mais pas dans cet état de
colère violente qui pourrait profiter à la droite.
À l’époque, se souvient le ministre du travail Michel
Sapin, les sympathisants changeaient de trottoir ou les insultaient. « Jean
Glavany (député, ancien ministre) raconte que quand il montait dans l’avion,
les gens le sifflaient ! Là, ce n’est pas comme ça, ils sont sympas »,
témoigne Christophe Borgel.
« Quand ils parlent du national, en fait, ils me
plaignent », souffle, sous couvert d’anonymat, une députée socialiste.
Olivier Dussopt rapporte tout de même que« certains élus de grandes villes
ont entendu des “socialistes dehors !” dans les cages d’escalier le
week-end dernier ».
Les socialistes craignent d’autant plus une démobilisation
de leur électorat qu’ils se méfient de l’effet déformant des sondages. Pour
l’instant, dans des villes que la droite espérait accrocher comme Toulouse ou
Quimper, ils sont favorables aux maires sortants. Mais les instituts mesurent
très mal l’abstention. Des dernières enquêtes, ressort un taux qui va de 10 à
20 %. Aux municipales de 2008 et
de 2001,
38 % des électeurs s’étaient abstenus dans les villes de plus de 3 500
habitants.
« Il faut dire que le national ne donne pas très envie
à un électeur de gauche d’aller voter et qu’il donne très envie à un électeur
de droite d’y aller », résume Borgel. Au PS, c’est l’heure de la
mobilisation générale : les candidats sont priés d’investir massivement le
terrain et de multiplier le porte-à-porte pour aller chercher leurs électeurs.
Face à leurs électeurs, certains n’hésitent pas à dire leurs
gros doutes sur la politique du gouvernement, afin d’enrayer la machine à
perdre et de se déconnecter le plus possible de la politique nationale. « Moi,
je ne manie pas la langue de bois, explique Philippe Doucet, député et maire
sortant d’Argenteuil (Val-d’Oise), ouvertement critique à l’égard du
gouvernement. Quand on me parle des rythmes scolaires, je ne cache pas que
pour nous c’est la galère ! » Des aveux de sincérité peut-être
utiles en temps de campagne municipale, mais qui risquent de nourrir le vote
sanction aux européennes de mai.
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