Une récente étude de l’institution prend le contre-pied des
théories néolibérales. Chiffres à l’appui, elle démontre que les politiques de
redistribution, loin d’être préjudiciables à l’économie, engendrent des
croissances plus fortes et plus durables.
Dans un long
papier théorique, Jonathan Ostry, chef du département recherche
du FMI, et les économistes Andrew Berg et Charalambos Tsangarides prennent le
contrepied de ces croyances. « Si des incitations positives sont
certainement nécessaires pour récompenser le travail et l’innovation, des
inégalités excessives risquent de peser sur la croissance, par exemple en réduisant
l’accès à la santé et à l’éducation, en provoquant de l’instabilité politique
et économique qui réduit l’investissement et en mettant à mal le consensus
social requis pour faire face à des chocs de grande envergure », écrivent-ils.
Selon eux, les pays qui supportent un niveau élevé d’inégalité connaissent une
croissance plus faible et plus volatile que les pays qui pratiquent une
redistribution élevée afin de réduire ces inégalités.
Reprenant de nombreux travaux d’économistes qui se sont
penchés sur les inégalités, les chercheurs du FMI constatent après eux que les
inégalités de marché – c’est-à-dire avant impôts, avant
redistribution – n’ont cessé de se creuser au cours des dernières
décennies. Le fossé s’élargit partout dans le monde entre les plus pauvres et
les plus riches. Le changement de ces trente dernières années est
particulièrement frappant dans les pays de l’OCDE, où les salariés, soumis à la
grande compression, ont connu une chute spectaculaire de leur niveau de vie,
allant jusqu’au déclassement d’une partie d’entre eux, les politiques de
redistribution ne permettant plus de compenser l’explosion des inégalités. Dans
le même temps, comme le soulignait
l’étude de l’ONG Oxfam, à la veille du sommet de Davos, les
plus riches ont atteint un niveau d’accumulation jamais connu depuis la
Première Guerre mondiale. Les 85 personnes les plus riches totalisent une
fortune équivalente à celle de la moitié de l’humanité.
Loin d’avoir les effets bénéfiques escomptés, cette
concentration de richesses entre si peu de mains engendre une croissance
économique de plus en plus faible et de plus en plus volatile sur le long
terme, selon les économistes du FMI. « De récentes études montrent comment
les inégalités ont intensifié le cycle d’endettement et de financement,
devenant la source de la crise, ou comment des facteurs d’économie politique,
en particulier l’influence des riches, ont permis aux excès financiers de
s’accumuler avant la crise », disent-ils, mettant leurs pas dans ceux de
Stiglitz notamment.
S’appuyant sur des travaux précédents, ils insistent sur le
fait « qu’il existe une relation robuste entre l’égalité et la
pérennité de la croissance ». « Ce serait donc encore une erreur
de mettre l’accent sur la croissance et de penser que les inégalités se
résolvent d’elles-mêmes, ne serait-ce que parce que la croissance qui en
résulterait pourrait être faible et intenable. Les inégalités et une croissance
intenable pourraient être les deux facettes d’un même problème »,
soulignent-ils.
Poser la question des inégalités revient à demander d’y
répondre. Les gouvernements tentent de corriger les excès des marchés par des
politiques de redistribution, passant par la fiscalité ou des soutiens. Des
économistes ont soutenu qu’il existait un arbitrage entre redistribution et
croissance, l’une se faisant au détriment de l’autre. « Nombreux sont
ceux qui estiment que la redistribution sape la croissance, et même que les
mesures prises pour redistribuer le revenu face à de fortes inégalités
constituent la source de la corrélation entre les inégalités et une faible
croissance. Si c’est exact, les taxes et les transferts pourraient bien être le
mauvais remède, un remède qui pourrait être pire que le mal lui-même »,
écrivent-ils en préambule de leur démonstration.
Mais pour eux, ces affirmations ne se retrouvent pas dans
les chiffres. Reprenant des bases de données internationales sur longue
période, ils arrivent même au constat inverse. Les politiques de redistribution
n’ont pas eu d’effets négatifs sur la croissance, bien au contraire : « En
termes clairs, il ne semble guère établi qu’il existe un "arbitrage
fondamental" entre redistribution et croissance (…) La
redistribution moyenne et la réduction des inégalités qui en résulte semblent
être solidement liées à une croissance plus élevée et plus durable. »
Ces constats risquent de donner lieu à d’importantes
controverses, au moment où les néolibéraux continuent de répéter que l’État est
le problème, en dépit de tout ce qu’il a pu advenir depuis le début de la crise
financière. Prenant les devants, les auteurs de l’étude rappellent que, certes,
des politiques de redistribution peuvent être contre-productives, si elles ne
sont pas menées de manière efficiente ou si elles dépassent un certain niveau.
De même, ajoutent-ils, « une égalité extrême ne peut pas non plus
être propice à la croissance ».
Mais ils ne constatent pas de tels risques, pour l’instant. « Les
mesures que les pouvoirs publics ont généralement prises pour redistribuer le
revenu ne semblent pas avoir pesé sur la croissance. En dehors de
considérations éthiques, politiques ou sociales plus largement, l’égalité qui
en résulte semble avoir contribué à une croissance plus rapide et plus
durable. » « Dans bon nombre de cas, il semble donc improbable qu’il
soit justifié de ne rien faire face à des inégalités élevées »,
concluent-ils.
« Cela montre qu’une extrême inégalité est dommageable
non seulement parce que c’est moralement inacceptable mais parce c’est de la
mauvaise économie », a réagi Oxfam dès la publication de l’étude du FMI. « Le
FMI a cassé le vieux mythe que la redistribution est mauvaise pour la
croissance et démoli la politique d’austérité. Le fait que les efforts de
redistribution – essentiels pour lutter contre l’inégalité – sont
bons pour la croissance est une révélation bienvenue. L’abaissement de la
fiscalité et la réduction des dépenses publiques ne sont manifestement pas la
voie pour la prospérité », a ajouté l'ONG.
Il faudra cependant du temps avant que ces nouveaux travaux
de recherche du FMI trouvent une audience, tant ils bousculent des croyances
bien ancrées. On pense au pacte de responsabilité, par exemple. La commission
européenne réfute toujours les conclusions antérieures de l’institution sur la
sous-estimation des effets récessifs des coupes budgétaires qu’elle a imposées
aux gouvernements dans le cadre de ses politiques d’austérité. En présentant
les chiffres de la croissance de la zone euro la semaine dernière, le
commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Olli Rehn,
s’enthousiasmait : « Cela prouve que notre politique
marche », s’est-il félicité. Une croissance de 0,3 % après six années
de crise, c’est effectivement un succès.
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