La 5e édition des Trophées de l’économie sociale et
solidaire de la Mairie de Paris, en partenariat avec La Tribune, se tient ce 29
novembre au palais Brongniart. Les onze lauréats illustrent le dynamisme d’un
pan de l’économie qui intéresse de plus en plus les géants du CAC 40.
Si l'on veut que l'économie sociale prenne de l'ampleur, il
faut cesser de faire des distinctions avec l'économie classique.» Arnaud Mourot,
codirecteur du réseau des entrepreneurs sociaux, Ashoka Europe, en est
convaincu.
L'enjeu est d'importance. En Europe, l'emploi rémunéré dans
l'économie sociale et solidaire (ESS) a progressé de plus de 20% entre 2003 et
2013, représentant désormais plus de 14,5 millions de salariés. Sur la même
période, en France, les entreprises de solidarité et autres entrepreneurs
sociaux ont créé environ 440.000 nouveaux emplois.
Et d'ici à 2020, selon les prévisions, la barre des 600.000
emplois devrait être dépassée. Paris est l'un des territoires les plus engagés
dans ce mouvement. Désormais, 9% des salariés y travaillent pour l'ESS. Au
travers du commerce équitable, des sociétés de réinsertion, des ateliers
artistiques, des structures qui créent du lien social, 10.540 entreprises
génèrent près de 5 milliards d'euros de rémunérations brutes. Les femmes
occupent 64% des emplois, contre 51% dans l'économie globale de la ville. L'ESS
parisienne réalise plus de 45% des rémunérations brutes du secteur dans la
région.
Paris croit en l'ESS
Considérée par certains comme une économie de la réparation,
l'ESS a fleuri sur fond de crise.
« À Paris, depuis six ans et la seconde mandature de
Bertrand Delanoë, on a changé d'échelle », explique Pauline Véron, adjointe au
maire chargée de l'ESS, également candidate dans le 9e arrondissement.
« La Ville a investi 7 millions d'euros, sous la forme de
contrats aidés pour des projets d'insertion et des subventions. Notre action a
pris de l'ampleur. Nous finançons des intermédiaires comme l'ADIE, à hauteur de
1,8 M, par le biais d'allocations, via un dispositif dédié aux jeunes, Paris
Initiative Entreprise (1,8 M en six ans), qui délivre des prêts à des
entrepreneurs, et la Boutique de gestion de Paris (2,2 M) dans l'accompagnement
de créateurs d'entreprise (pour la gestion comptable et fiscale). »
À côté des sociétés coopératives et des mutuelles, la Ville
vient également en appui de 34 entreprises d'insertion (comme la boulangerie
« Farinez'vous ») et de onze régies de quartier qui, depuis les années 1970,
créent du lien social là où elles sont implantées (notamment à Paris centre,
mais aussi dans les quartiers Saint-Blaise ou des Amandiers, dans le 20e), en
employant 330 personnes démunies, habitant dans le voisinage, à qui l'on
confie, moyennant salaire, des travaux comme l'entretien d'espaces verts, du
bricolage ou des réparations.Mais, au-delà de ces initiatives qui s'inscrivent
dans le champ « classique » de la solidarité et de la co opération, un nouvel
entrepreneuriat social a émergé il y a cinq ou six ans.
De plus en plus de jeunes diplômés, sortis des grandes
écoles, ont commencé à exprimer le souhait de faire du business autrement.
L'Essec a été la première à instaurer la chaire d'entrepreneuriat social en
France. En 2008, HEC a suivi, sous l'égide du Prix Nobel de la paix 2006,
Muham-mad Yunus, avec le soutien de Danone. Depuis, la vogue atteint l'ensemble
des établissements de l'enseignement supérieur. De l'avis de l'économiste
Philippe Askenazy, cet engouement est un aveu d'échec.
Dans l'étude « L'ESS, terra incognita des économistes ? »,
réalisée par la Revue internationale de l'économie sociale (Recma n°328, avril
2013), il argumente ainsi aux côtés de 23 autres économistes : « Nous sommes
confrontés aujourd'hui à une crise morale du capitalisme. Cette question n'a
absolument pas été traitée par les gouvernements. Cela ouvre une place pour qui
peut porter une alternative à la logique du marché classique, pour qui porte un
message de solidarité, de moindre voracité, au sein de l'entreprise, d'une
part, mais aussi au-delà, vis-à-vis de l'usager, du client. » Michel Henochsberg
conforte son propos.
« L'ESS "rend service" au système […], mais en même
temps elle est porteuse d'une exemplarité dangereuse pour le capitalisme, en
montrant clairement que l'on peut développer la coopération au travail et
poursuivre des objectifs sociaux et solidaires, tout en respectant l'équilibre
financier. »
L'ESS deviendrait-elle inquiétante ? Non, pas vraiment. Dès
lors qu'on ne l'ignore pas. Elle oblige les groupes à intégrer ses principes
dans leur modèle. Comment faire? Les représentants du CAC 40 multiplient les
rencontres avec les acteurs de l'ESS. Il y a encore cinq ans, les uns et les
autres se toisaient, n'ayant que mépris pour leurs activités respectives.
Aujourd'hui, ils recherchent les conditions d'un dialogue.
Que ce soit dans des manifestations comme le LH Forum, à l'initiative de
Jacques Attali et de PlaNet Finance au Havre (4000 participants), ou au
Parlement des entrepreneurs d'avenir qui s'est tenu le 5 novembre, au Conseil
économique et social, des figures comme Martin Bouygues (l'un des plus jeunes
patrons du CAC40) et Gérard Mestrallet , président du groupe GDF Suez, se
pressent pour échanger et comprendre les pratiques de ceux qu'on appelait, il y
a encore quelques mois, des néo-romantiques.
Relever les défis sociétaux
Preuve concrète d'un intérêt sincère ? Au palais Brongniart,
le Centre de co-création social & de business européen, initié par Ashoka
en début d'année, propose un lieu neutre aux différents acteurs de l'économie,
pour concevoir ensemble des projets capables de relever les enjeux sociétaux.
Comme le souligne Arnaud Mourot, « L'objectif est de
transformer les industries en profondeur. Les alliances entre les industriels,
les pouvoirs publics et les entrepreneurs sociaux sont bénéfiques pour tous.
D'un côté, les groupes privés y trouvent un nouveau relais de croissance, un
laboratoire d'innovation et une source de motivation pour les collaborateurs,
en quête de sens, tout en donnant vie à des idées qui sont autant
d'opportunités de développement. De l'autre, les entrepreneurs sociaux
démultiplient leur impact et accèdent à de nouvelles compétences qui les aident
à créer de nouveaux revenus, tandis que les pouvoirs publics soutiennent des
projets efficients pour mieux servir les usagers. »
Tout le monde en sortirait donc gagnant ? Probable. Selon l'étude
réalisée par Mc Kinsey, en généralisant, au niveau national, le modèle de dix
entreprises sociales innovantes du réseau Ashoka, l'économie potentielle pour
les collectivités s'élèverait à 5 milliards d'euros par an, soit 50 milliards
d'euros en dix ans. Comment passer à côté d'une telle manne? Personne ne peut
s'offrir le luxe de détourner le regard. L'ESS n'a pas fini de faire parler
d'elle.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos réactions nous intéressent…