Il suffirait d'un petit nombre de lois courageuses pour
remettre la finance de marchés au service de l'économie réelle
Gaël Giraud |
Le niveau de fonds propres bancaires exigibles a été un peu
augmenté mais il reste insuffisant. Avec seulement 3 % à 5 % de leur bilan sous
forme de fonds propres, la plupart des banques systémiques européennes,
françaises en particulier, ne survivront pas à un choc analogue à celui des
subprimes, tout comme elles n'y auraient pas survécu, en 2008, sans le secours
de l'Etat.
Les banques systémiques, elles, sont encore plus grosses
qu'autrefois - BNP Paribas pèse davantage que le produit intérieur brut
français - ; quant au shadow banking (la finance de l'ombre), échappant
à réglementation, il est plus puissant qu'en 2008. Les finances publiques, de
leur côté, sont exsangues.
Les "tests" de la Banque centrale européenne
(BCE) permettront-ils de garantir la solidité des banques ? En 2010, en
Irlande, le secteur les avait passés avec succès. Il avait aussi entièrement
fait naufrage trois mois plus tard.
L'union bancaire fournira-t-elle un bon filet de sécurité ?
Les nombreuses exceptions d'ores et déjà concédées quant à la supervision
européenne, la petite taille du fonds de résolution bancaire, le conflit
d'intérêts qui promet par ailleurs de paralyser la BCE sont autant de
déchirures dans un filet bien fragile.
Pourtant, l'antienne qui voudrait que les Etats soient
impuissants dans un monde globalisé est mensongère. Si rien ne pouvait se faire
en deçà de l'échelon européen, quel besoin la France avait-elle de devancer
l'arbitrage du commissaire au marché intérieur et aux services, Michel Barnier,
sur la séparation bancaire ? Et de passer en hâte une loi - adoptée et promulguée
en juillet - qui non seulement ne sépare pas les banques mais encore
permet d'utiliser l'argent destiné à protéger les dépôts des Français pour
renflouer un fonds spéculatif ?
Il suffirait d'un petit nombre de lois courageuses pour
remettre la finance de marchés au service de l'économie réelle, parmi
lesquelles la séparation bancaire et une véritable taxe sur les transactions
financières qui mette un frein, notamment, au trading à haute fréquence
(ou high frequency trading, ou flash trading...).
Ce dernier point est d'ailleurs fondamental, car ces
transactions financières à grande vitesse permettent aujourd'hui à certains
établissements bancaires de se dispenser de capital prudentiel pour lancer des
opérations massives (front running) qu'elles annuleront aussitôt, rendant le
débat sur le ratio de fonds propres presque obsolète.
Ces lois, courageuses donc, nuiraient-elles à l'attractivité
de la place financière ? Réfléchissons : abandonne-t-on les règles de sécurité
d'une centrale au motif que cela nuirait à la compétitivité de l'industrie
nucléaire française ?
En outre, la stabilité et la résilience du secteur bancaire
le rendent au moins aussi attractif que son aptitude à jouer au casino.
Quant à la place boursière de Paris, depuis quand sa contribution
à la spéculation est-elle un impératif politique ?
Gaël Giraud
Directeur de recherche
au CNRS, Centre d'économie
de la Sorbonne, Labex-Refi
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