H. Audier, SNCS, 28 octobre 2013
Samedi 2 novembre 2013, par Mille Tons etFree Man
Rien n’y a fait. Les 8 tentatives d’amendements budgétaires,
proposés par des députés de toutes les tendances de la gauche, afin de limiter
l’ampleur du Crédit Impôt Recherche (CIR) se sont encore soldées par un échec.
Que vaut l’avis de l’immense majorité des scientifiques face au lobbying, voire
au chantage à l’emploi, qu’exercent ceux qui ont conduit le pays au fond de
l’abîme, pour obtenir toujours plus d’argent public pour faire toujours plus de
profits.
Pendant des années, nous avons argumenté dans le désert sur
le fait qu’au travers du CIR la plupart des grandes entreprises, et parfois
aussi les petites, volaient l’Etat et le contribuable de quelques milliards
chaque année. Mais rien n’y a fait, pas même les rapports de l’Assemblée ou de
Sénat voulant moraliser le CIR, qui furent pourtant adoptés à l’unanimité des élus.
Mais désormais, c’est plus encore impardonnable. Au risque de se voir accuser
de complicité de vol, de non-dénonciation d’actes crapuleux, nul ne peut
ignorer le dernier rapport de la Cour des comptes sur le CIR, fut-il
parlementaire, ministre ou Président de la République. En effet, ce rapport, largement
repris par toute la presse, montre à la fois pourquoi les milliards annuels du
CIR n’ont servi à rien (pour la recherche !) et à quel point cette procédure
se prête à toutes les escroqueries.
Tout ceci n’a été possible que parce que le CIR n’est pas
évalué et que, de ce fait, des officines d’aides à « l’optimisation
fiscale » des entreprises ont fructifié. Elles figurent d’ailleurs aussi
parmi les grandes bénéficiaires du CIR, dont elles encaissent une fraction non
négligeable (certaines avaient pour publicité : « Vous ne faites pas
de recherche, nous vous aiderons à toucher le CIR » !!!). Et tout le
monde sait que « les grands groupes se sont goinfrés de CIR » et que
le tiers de ce CIR est allé au secteur tertiaire, bien connu pour sa recherche
d’avant-garde et ses innovations.
Voici quelques éléments supplémentaires qui pourront
alimenter le prochain rapport de la Cour. Tout d’abord, selon une enquête de la
très sérieuse Association pour l’emploi des cadres (l’APEC) [1],
entre 2000 et 2010, le nombre des recrutements annuels de cadres dans les
entreprises en France n’a que faiblement augmenté. Parmi les trois grandes
catégories fonctionnelles distinguées (production, administration et R&D),
la proportion des cadres administratifs a peu évolué.
Figure 1 ; Proportion de cadres recrutés dans l’une des
3 grandes fonctions de l’entreprise
Mais surprise, celle des cadres déclarés recrutés au nom de
la R&D, qui stagnait autour de 5 % jusqu’en 2006, explose pour
atteindre 25 % en 2007 alors que celle des cadres de la production s’effondre
symétriquement (Figure 1). Pourquoi ? Simplement parce qu’à partir de
2007, le CIR est calculé sur la totalité des dépenses de R&D des
entreprises et non plus sur leur seul accroissement, ce qui pousse à gonfler
les frais de personnel, qui représentent la moitié des dépenses de R&D.
Match nul : ce CIR plantureux a été « compensé » par la baisse
de l’investissement propre des entreprises, d’où une stagnation des dépenses
d’après l’OCDE !
Avant 2006, le CIR pouvait être aussi truandé en trichant
sur le « stock » de chercheurs, même si c’était moins facile Ainsi,
le document ministériel « L’état de l’emploi scientifique, 2013 »
publie une figure qui montre que, depuis 10 ans, le « stock » de
chercheurs des entreprises s’est accru chaque année de 7,5 % en moyenne
(avec un pic pour 2006-2007-2008) contre seulement 1% dans le secteur public
(souvent en CDD). Ces chiffres, repris par l’OCDE, sont malheureusement
incompatibles avec leurs autres données et, comme qui dirait, il y a un
loup ! En effet, d’une part, il est mentionné que le nombre de chercheurs
du secteur privé comparé à celui des chercheurs du public s’est accru de
50 % en 10 ans. D’autre part, toujours d’après l’OCDE, les dépenses de
R&D des entreprises et celles du secteur public sont restées dans un
rapport constant (Figure 2). Cherchez l’erreur ! Le
Syndicat national des impôts ne disait rien d’autre quand il
affirmait que certaines entreprises avaient « repeint » nombre de
personnels en chercheurs, pour « toucher » plus de CIR.
Figure 2 : Ratio secteur privé/secteur public pour le
nombre de chercheurs et pour les dépenses R&D
Au-delà du vol de quelques milliards, ce CIR, ou le crédit
« compétitivité » qui ne vaut pas mieux, conduisent comme on vient de
le voir, et c’est peut-être encore plus grave, à tricher sur toutes les données
statistiques afférentes, privant ainsi les parlementaires et les citoyens de
données fiables pour choisir et mener une politique. Ne serait-ce que sur le
nombre de nos « vrais chercheurs ». Ces procédures fiscales devraient
être interdites et, pour le moins, les tricheurs punis de prison.
Comment se fait-il que François Hollande et le PS, qui
avaient critiqué le CIR et qui en avaient promis la réforme, aient capitulé en
écartant les amendements qui voulaient seulement instiller un peu de
morale ? Version officielle : François Hollande aurait promis au
patronat de « sanctuariser » le CIR. Oui, mais il a aussi promis la
priorité à la jeunesse, à sa formation, à ses universités, lesquelles sont asphyxiées
budgétairement par manque de quelques centaines de millions, alors qu’avec le
CIR on met désormais plus de 6 milliards chaque année dans les grands puits
sans fonds des profits. Et parlons aussi de nos meilleurs étudiants qui,
désormais, se détournent des métiers d’enseignement supérieur, de recherche ou
d’innovation : ils ne veulent pas du sort que subissent souvent leurs
aînés, précarité, chômage, expatriation non désirée, sans parler de la grande
modestie des carrières, dans les meilleurs des cas. Faut-il le redire ? Un
plan pluriannuel de l’emploi scientifique, apte à leur redonner l’espoir tout
en mettant aux normes internationales notre ES-R ne coûterait que 300 millions
de plus par an !
Entre les trafiquants, tricheurs, tradeurs, optimiseurs et
leurs confrères ou complices d’une part, et ceux sur qui repose l’avenir du
pays, il est encore temps de faire le bon choix.
À lire ici.
Notes
[1] Apec : « Industrie : évolution et tendances
sur le marché de l’emploi cadre », mars 2013
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