jeudi 7 novembre 2013

Crédit Impôt Recherche : le triomphe des voleurs

H. Audier, SNCS, 28 octobre 2013
Samedi 2 novembre 2013, par Mille Tons etFree Man

Rien n’y a fait. Les 8 tentatives d’amendements budgétaires, proposés par des députés de toutes les tendances de la gauche, afin de limiter l’ampleur du Crédit Impôt Recherche (CIR) se sont encore soldées par un échec. Que vaut l’avis de l’immense majorité des scientifiques face au lobbying, voire au chantage à l’emploi, qu’exercent ceux qui ont conduit le pays au fond de l’abîme, pour obtenir toujours plus d’argent public pour faire toujours plus de profits.

Pendant des années, nous avons argumenté dans le désert sur le fait qu’au travers du CIR la plupart des grandes entreprises, et parfois aussi les petites, volaient l’Etat et le contribuable de quelques milliards chaque année. Mais rien n’y a fait, pas même les rapports de l’Assemblée ou de Sénat voulant moraliser le CIR, qui furent pourtant adoptés à l’unanimité des élus. Mais désormais, c’est plus encore impardonnable. Au risque de se voir accuser de complicité de vol, de non-dénonciation d’actes crapuleux, nul ne peut ignorer le dernier rapport de la Cour des comptes sur le CIR, fut-il parlementaire, ministre ou Président de la République. En effet, ce rapport, largement repris par toute la presse, montre à la fois pourquoi les milliards annuels du CIR n’ont servi à rien (pour la recherche !) et à quel point cette procédure se prête à toutes les escroqueries.

Citons pêle-mêle qu’entre 2006 et 2011, les dépenses de R&D des entreprises ont moins augmenté… que les milliards reçus via le CIR ; qu’au cours des années où le montant du CIR a été multiplié par 4, ces dépenses des entreprises restaient étales, démontrant ainsi que le CIR n’a eu aucun effet « d’entraînement » ; que durant la même période, de nombreux pays sans (ou à faible) CIR ont fait beaucoup mieux que nous quant aux dépenses privées de R&D versus le PIB.

Tout ceci n’a été possible que parce que le CIR n’est pas évalué et que, de ce fait, des officines d’aides à « l’optimisation fiscale » des entreprises ont fructifié. Elles figurent d’ailleurs aussi parmi les grandes bénéficiaires du CIR, dont elles encaissent une fraction non négligeable (certaines avaient pour publicité : « Vous ne faites pas de recherche, nous vous aiderons à toucher le CIR » !!!). Et tout le monde sait que « les grands groupes se sont goinfrés de CIR » et que le tiers de ce CIR est allé au secteur tertiaire, bien connu pour sa recherche d’avant-garde et ses innovations.

Voici quelques éléments supplémentaires qui pourront alimenter le prochain rapport de la Cour. Tout d’abord, selon une enquête de la très sérieuse Association pour l’emploi des cadres (l’APEC) [1], entre 2000 et 2010, le nombre des recrutements annuels de cadres dans les entreprises en France n’a que faiblement augmenté. Parmi les trois grandes catégories fonctionnelles distinguées (production, administration et R&D), la proportion des cadres administratifs a peu évolué.

Figure 1 ; Proportion de cadres recrutés dans l’une des 3 grandes fonctions de l’entreprise
















Mais surprise, celle des cadres déclarés recrutés au nom de la R&D, qui stagnait autour de 5 % jusqu’en 2006, explose pour atteindre 25 % en 2007 alors que celle des cadres de la production s’effondre symétriquement (Figure 1). Pourquoi ? Simplement parce qu’à partir de 2007, le CIR est calculé sur la totalité des dépenses de R&D des entreprises et non plus sur leur seul accroissement, ce qui pousse à gonfler les frais de personnel, qui représentent la moitié des dépenses de R&D. Match nul : ce CIR plantureux a été « compensé » par la baisse de l’investissement propre des entreprises, d’où une stagnation des dépenses d’après l’OCDE !

Avant 2006, le CIR pouvait être aussi truandé en trichant sur le « stock » de chercheurs, même si c’était moins facile Ainsi, le document ministériel « L’état de l’emploi scientifique, 2013 » publie une figure qui montre que, depuis 10 ans, le « stock » de chercheurs des entreprises s’est accru chaque année de 7,5 % en moyenne (avec un pic pour 2006-2007-2008) contre seulement 1% dans le secteur public (souvent en CDD). Ces chiffres, repris par l’OCDE, sont malheureusement incompatibles avec leurs autres données et, comme qui dirait, il y a un loup ! En effet, d’une part, il est mentionné que le nombre de chercheurs du secteur privé comparé à celui des chercheurs du public s’est accru de 50 % en 10 ans. D’autre part, toujours d’après l’OCDE, les dépenses de R&D des entreprises et celles du secteur public sont restées dans un rapport constant (Figure 2). Cherchez l’erreur ! Le

Syndicat national des impôts ne disait rien d’autre quand il affirmait que certaines entreprises avaient « repeint » nombre de personnels en chercheurs, pour « toucher » plus de CIR.

Figure 2 : Ratio secteur privé/secteur public pour le nombre de chercheurs et pour les dépenses R&D
















Au-delà du vol de quelques milliards, ce CIR, ou le crédit « compétitivité » qui ne vaut pas mieux, conduisent comme on vient de le voir, et c’est peut-être encore plus grave, à tricher sur toutes les données statistiques afférentes, privant ainsi les parlementaires et les citoyens de données fiables pour choisir et mener une politique. Ne serait-ce que sur le nombre de nos « vrais chercheurs ». Ces procédures fiscales devraient être interdites et, pour le moins, les tricheurs punis de prison.

Comment se fait-il que François Hollande et le PS, qui avaient critiqué le CIR et qui en avaient promis la réforme, aient capitulé en écartant les amendements qui voulaient seulement instiller un peu de morale ? Version officielle : François Hollande aurait promis au patronat de « sanctuariser » le CIR. Oui, mais il a aussi promis la priorité à la jeunesse, à sa formation, à ses universités, lesquelles sont asphyxiées budgétairement par manque de quelques centaines de millions, alors qu’avec le CIR on met désormais plus de 6 milliards chaque année dans les grands puits sans fonds des profits. Et parlons aussi de nos meilleurs étudiants qui, désormais, se détournent des métiers d’enseignement supérieur, de recherche ou d’innovation : ils ne veulent pas du sort que subissent souvent leurs aînés, précarité, chômage, expatriation non désirée, sans parler de la grande modestie des carrières, dans les meilleurs des cas. Faut-il le redire ? Un plan pluriannuel de l’emploi scientifique, apte à leur redonner l’espoir tout en mettant aux normes internationales notre ES-R ne coûterait que 300 millions de plus par an !

Entre les trafiquants, tricheurs, tradeurs, optimiseurs et leurs confrères ou complices d’une part, et ceux sur qui repose l’avenir du pays, il est encore temps de faire le bon choix.

À lire ici.

Notes

[1] Apec : « Industrie : évolution et tendances sur le marché de l’emploi cadre », mars 2013


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