3 293 000 chômeurs en novembre et une hausse de 0,5% : mauvaise nouvelle pour Hollande. Mais la statistique officielle n’inclut pas tous les chômeurs, loin de là. On a complété les chiffres de Pôle emploi.
Michel Sapin à l’Elysée le 12 novembre (WITT/SIPA) |
Michel Sapin à l’Elysée le 12 novembre (WITT/SIPA)Raté pour
François Hollande : le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité
(catégorie A) a augmenté de 17 800 personnes en
novembre et en métropole.
Depuis que le gouvernement a promis « d'inverser la courbe du
chômage », la publication par le ministère du Travail des chiffres de
l’emploi prend une caractère presque sportif. Il y a les pronostics, les
empoignades sur Twitter et la contestation des résultats.
Si les chiffres mensuels sont mauvais, la
droite fustige l’incompétence du gouvernement et assure que la décrue annoncée
(comme c’était le cas en octobre) est une anomalie.
S’ils sont bons, le gouvernement joue le faux
modeste, petit sourire en coin, Michel Sapin dit qu’il faut être prudent et Le
Figaro titre sur les
emplois aidés.
Les
finauds qui ne craignent pas d’effaroucher le lecteur rentrent un peu dans les
détails des chiffres. Ils expliquent que l’expression « inverser la
courbe » relève de la purée mathématique et évoquent l’Insee, qui, dans sa
dernière note de conjoncture, prévoit le marasme pour tous en 2014.
Et ils rappellent
que certains chômeurs disparaissent des statistiques ou n’y sont jamais
rentrés. Ce sont ces derniers que Rue89 a recensés.
1
Ceux qui ne veulent plus entendre parler de
Pôle emploi
Ce sont les désillusionnés qui sont passés au système D. José
s’est laissé radier de Pôle emploi en juillet. La voix rocailleuse, il raconte
qu’après avoir terminé un contrat court, il a décidé de ne pas retourner voir
son conseiller et n’a plus répondu aux convocations. Ses 800 euros d’aides
mensuelles se sont taries :
« C’est mieux ainsi. Il faut
sortir de l’administratif pour s’en sortir dans la vie. »
Lui décrit
Pôle emploi avec les intonations d’un évadé de prison : les
« shérifs » qui « infantilisent », la « paperasse
inutile à remplir », les « tunnels administratifs dignes de lamaison qui rend fou... » :
« Je passais plus de temps en
dossiers et en rendez-vous inutiles qu’à chercher du travail. »
La cinquantaine
bien tassée, José a travaillé comme jardinier et dans la logistique, avant
d’être « remplacé par des machines » :
« Je disais à mon
conseiller : “C’est l’évolution de la société, il suffit de regarder la
télévision pour voir sans cesse les usines qui ferment...”
Et lui qui me regardait : “Vous
savez monsieur, j’ai 53 ans comme vous, et j’ai retrouvé du travail.” Je
n’en pouvais plus... Ça en devenait presque de la maltraitance
psychologique. »
Ce qui l’a
vraiment découragé, c’est la numérisation progressive de son dossier, les
relances par e-mail, les menaces aussi... Aujourd’hui, il travaille au noir et
« se débrouille » pour payer son loyer.
« On compte sur la
frustration des chômeurs pour les faire décrocher »
Pour les
associations, ces personnes qui s’éloignent des institutions publiques sont
difficiles à accompagner. A Agir contre le chômage (AC !), on les voit de
temps en temps passer dans les permanences, mais elles prennent rapidement
leurs distances, déçues par les impasses ou les lenteurs de l’administration.
Ce
« ras-le-bol » toucherait de plus en plus de monde. Au Mouvement
national des chômeurs et précaires (MNCP), on voit même dans la complexité des
procédures un « mode de gestion » : « On compte sur la
frustration des chômeurs pour les faire décrocher. »
2
Ceux qui ont été radiés plus ou moins
sauvagement
Là, on entre dans un autre royaume. Celui des inscrits qui sont
menacés de radiation sans avoir vu passer la moindre convocation.
La
dématérialisation des dossiers peut aggraver le problème. Les messages tombent
dans un espace numérique que certains n’ont pas le réflexe de consulter. Au
MNCP, on constate que la convocation par e-mail n’est pas toujours doublée d’un
courrier. En cas de radiation, il faut serrer les dents pendant deux mois avant
d’être réintégré(e). Pas drôle.
Mais la
numérisation n’est pas la seule coupable. Chacun a sa petite expérience à
raconter, ainsi un jeune chômeur qui nous a contacté il y a quelques mois.
Bastien (prénom
changé) sort de ses études en septembre 2012 et s’inscrit dans la foulée à
Pôle emploi. Première rencontre avec sa conseillère :
« Elle est loin de saisir ce que
je lui raconte : journalisme, caméra, réalisation, documentaire... Mais ça
lui fait une pause café. Sans café.
Elle remplit sa fiche standardisée, on
philosophe deux minutes sur la situation économique en France. Du travail
propre, net et bien fait. Rapide et sans bavure. Efficace... »
Pendant quelques
mois, il « s’actualise » et le 5 mars dernier, un courriel
« tombe dans son espace personnel ». On le menace de radiation.
Motif : il n’était pas présent à son entretien de suivi.
« Ahhh... C’était donc ça le
message vocal dans lequel mon conseiller [...] me menaçait de me radier du
chômage. Je n’ai pas tout saisi. J’ai reçu des appels en numéro masqué. Puis en
08, qui me demandait de rappeler ce numéro. Sérieusement : je suis envahi
de publicité et d’un tas de conneries toute la journée, j’ai donc pris le
réflexe de ne plus répondre à ce type d’appels. »
En novembre,
43 200 personnes ont été comptabilisées sous la ligne
« radiations administratives ». Elles étaient
39 300 l’année précédente à la même époque. La première cause de
radiation est la non-réponse à une convocation.
3
Ceux qui ne se sont jamais inscrits
Par exemple, des jeunots fraîchement sortis d’études, qu’elles
soient longues ou courtes d’ailleurs. On leur a tellement répété que Pôle
Emploi ne pouvait rien pour eux qu’ils ne s’y inscrivent même plus.
Certains
s’arrangent pour allonger d’un ou deux ans leurs études, d’autres cherchent du
boulot, mais laissent perdurer le flou administratif qui entoure leur
situation. Au MNCP, on explique :
« Ce sont des jeunes rebutés par
la paperasserie et qui pensent qu’ils s’en sortiront mieux par l’entraide et la
débrouille. »
Même pour des
bac+5, le premier rendez-vous à Pôle emploi est reculé autant que possible.
D’autant que le premier de la promotion à sauter le pas dégoûte les autres avec
ce genre d’e-mails :
« [Je viens d’aller à Pôle emploi].
Ça sent un peu comme dans une animalerie, rayon rongeurs. Ma conseillère est
très gentille. Très lucide aussi. “Clairement, on le sait toutes les deux,
c’est pas moi qui vais vous trouver un job là où vous le souhaitez.”
Bilan ? J’ai pas assez bossé pour
avoir des allocs. Je suis trop jeune pour le RSA. Donc elle a dit “bon
courage”. »
Trois rendez-vous à vingt
minutes d’intervalle
Après cela, tu
renonces. Arnaud (le nom a été changé) a fait traîner autant que possible son
entrée à Pôle emploi. Au bout de quelques mois, il se décide à remplir un
dossier. Il raconte sur son blog :
« J’en suis donc arrivé à la
dernière étape : Pôle Emploi te propose un rendez-vous obligatoire où tu
es obligé d’aller si tu veux voir ton dossier validé. Il te propose trois
rendez-vous différents à trois créneaux différents afin de bien s’assurer de
tes disponibilités. Sauf que Pôle Emploi m’a proposé ces trois rendez-vous à
vingt minutes d’intervalle le même jour... »
4
Ceux qui font un stage pour éviter le
chômage
Tu veux éviter un trou dans ton CV et tu ne trouves rien à
croquer ? Fais un stage. Tania (le prénom a été changé) a un master
d’affaires publiques. A la sortie de ses études, elle part à l’étranger, en
stage dans une association qui se spécialise dans l’entrepreneuriat social.
« J’avais le sentiment d’une
véritable morosité ambiante à laquelle je souhaitais échapper. C’était
clairement pour moi un moyen de reporter mon entrée sur le marché du
travail. »
D’autres jeunes
partent à l’étranger dans le même but. C’est ce qu’a fait Adeline, qui parle
trois langues mais se retrouve à faire des intérims à la sortie de ses études.
Elle s’en va donner des cours de français en Irlande et revient au milieu de
cette année. Le problème n’a été que décalé : « J’ai même dû repartir
vivre chez mes parents, dix-huit ans après avoir quitté le cocon
familial. »
5
Ceux qu’on a sortis de la catégorie A
Tous les regards sont focalisés sur la catégorie A, qui ouvre le
rapport de la Dares. Du coup, les autres catégories servent à dégonfler un peu
la première. Ainsi, les emplois aidés ou les formations permettent le
basculement de quelques milliers de personnes.
Dans les témoignages
reçus par Rue89, beaucoup font état de transvasements un peu acrobatiques.
Ainsi, cet ancien conseiller Pôle emploi :
« Le mieux, ce sont les cours par
correspondance, la restauration ou les chantiers. Un chômeur travaille deux
heures dans le mois pour donner un cours de maths et il n’est plus comptabilisé
dans les A... »
De la même façon, Coralie a signé un contrat de sécurisation
professionnelle(catégorie D) :
« Je suis donc considérée comme
stagiaire de la formation continue et non comme chômeuse. »
Pourtant, la
jeune femme s’est vue refuser une formation de développement informatique en
raison d’un problème administratif. Depuis, elle est toujours considérée en
formation, même si elle n’en suit aucune. Un conseiller lui a conseillé de
laisser courir jusqu’à l’année prochaine.
6
Ceux qui vivent outre-mer
Lorsque le communiqué de presse tombe à 18 heures, toutes les
rédactions carburent autour des premiers paragraphes. Quelque chose
comme :
« Le nombre de demandeurs d’emploi
inscrits à Pôle emploi en catégorie A s’établit à 3 293 000 en
France métropolitaine fin novembre 2013. Ce nombre est en hausse par rapport à
la fin octobre 2013 (+0,5 %, soit +17 800). Sur un an, il croît
de 5,6 %. »
On parle plus
rarement de l’outre-mer, même si les statistiques sont également publiées. Rémi
s’est affûté dans l’expertise environnementale. A bac+5 en Guyane, il
enchaîne les petits boulots et recherche un emploi stable. Lui estime
qu’« il n’est pas le plus à plaindre », mais commence à être saoulé
des grands airs de la métropole :
« Ici,
il faudrait plus qu’une inversion pour que ça soit visible. Je viens de
regarder sur le site de l’Insee : “Au deuxième trimestre 2012, le taux de
chômage en Guyane s’élève à 22%. Les jeunes, avec un taux de chômage de 41%,
sont les plus touchés.”
Mais il semble que tout le monde s’en
fout en métropole : voit-on ces chiffres dans la presse nationale ?
Qu’en serait-il si c’était en métropole ? »
Ce ne sont que
des exemples. Les raisons de se retrouver galérien sous le radar sont
multiples. Faites-nous part de votre expérience dans les commentaires.
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