dimanche 8 décembre 2013

Durant cette année de chômage, j’ai plus appris sur moi qu’en dix ans

« Même si la société nous le rappelle à chaque instant, je désapprends le fait que je me résume à un métier, une fonction. »

« Qu’est-ce que j’ai envie de faire aujourd’hui que je n’ai jamais eu le temps de faire ? » C’est la phrase qui me vient à l’esprit lorsque que j’ouvre les yeux le matin.


Eliott (c’est un pseudo) a quitté son entreprise il y a un an via une rupture conventionnelle. Il touche les Assedic (1 400 euros mensuels) depuis un an et pour un an encore.

Je suis chômeur. Je préfère dire, comme c’est tendance (notamment sur les réseaux sociaux), que je suis en « recherche d’opportunité ». Pour me rassurer peut-être : malgré mon statut, je suis quelqu’un.

J’ai 32 ans, un âge où l’on s’imagine avoir une vie stable : un emploi que l’on aime, une maison, des enfants… Je suis aujourd’hui célibataire, locataire, sans progéniture, et sans emploi depuis plus d’un un an. Un chômeur dit « longue durée ».

Mon rêve de vie rangée m’était presque offert sur un plateau, étant employé depuis dix ans dans une société pour laquelle bon nombre de personnes rêvent de travailler (un grand groupe audiovisuel). Avec un BTS commercial (choisi par élimination plus que par envie), je ne pouvais pas prétendre à des postes surdimensionnés.

J’ai profité alors de la mobilité en interne pour évoluer « horizontalement » comme ils disent : j’ai exercé des postes pour lesquels j’avais la plus grande aversion – commercial sédentaire, chargé de réclamations...

Burn-out veut dire épuisement, dépression

On finit par s’étonner soi-même, la machine de l’entreprise est capable de créer des êtres « disciplinés » : on arrive à occuper un poste en décalage complet avec ses valeurs, sa personnalité. Jusqu’au moment où des situations de violence extrême surviennent dans les rapports humains : l’esprit, le corps ne suivent plus.

La pression du management, la surcharge de travail, l’absence de reconnaissance de sa hiérarchie, aucun sentiment de satisfaction en fin de journée, la répétition des tâches (la gestion de la réclamation est un puits sans fond)… Cela génère frustration, colère, incompréhension et bras de fer permanent entre collègues et sa hiérarchie.

On sombre alors dans le burn-out, cet anglicisme utilisé pour parler d’épuisement, de dépression. On ne s’en rend pas compte immédiatement. Cet état a pris possession de moi comme une petite torture. Je finis même par m’y habituer, pensant que c’est mon état normal.

Un projet de reconversion est mal vu

Il faut en passer par là pour que les choses changent. Le lien avec son entreprise est difficile à défaire, surtout quand on entend partout « chômage », « crise ». Il faut se faire violence pour oser une démarche de reconversion.

C’est la seule option de survie que j’ai trouvée : je veux devenir infographiste. Un métier que je souhaitais exercer tout jeune, mais difficile de trouver une école qui enseigne cette discipline dans une région où le secteur de l’industrie était prédominant.

Choix difficile car l’entreprise, quoi qu’on en dise, perçoit cela d’un mauvais œil. La reconversion est considérée comme un questionnement sur soi, donc une possible envie de partir. Peu importe, pour la première fois j’ai un objectif, j’arrive à me projeter… Ces journées qui n’avaient jusqu’ici aucun sens sont moins douloureuses à supporter, surtout quand on souhaite se diriger vers un métier créatif.

Je quitte tout, et même le cœur léger

Les démarches administratives passées, les remarques des collègues (qui vous prennent pour un fou) ignorées, les rendez-vous RH, écoles, organismes de financement... Rien ne m’arrête : je veux faire autre chose. Le retour sur les bancs de l’école n’est pas simple, je me retrouve avec des élèves qui ont fait les Beaux-arts.

Petit à petit, je trouve ma place. Je redouble d’effort pour tenter de rattraper mes lacunes. Je me sens légitime à exercer un tel métier. L’année passe à une vitesse folle. Je réintègre mon ancien poste, mais à la lumière de cette nouvelle expérience, je n’hésite plus : je quitte tout, et même le cœur léger. Je porte un regard presque peiné sur mes collègues dont la situation n’a pas évolué d’un iota alors qu’en neuf mois, j’ai appris tellement de choses !

Pour la première fois, je m’inscris à Pôle emploi. Le métier que je vise est touché de plein fouet par la crise. Les conseillers ne connaissent rien à l’infographie. Mes très rares rendez-vous ne ressemblent qu’à un contrôle du nombre de candidatures envoyées, seul indicateur de sa recherche d’emploi.

Je m’éparpille, je me perds, me retrouve

Retour à la réalité, remise en question et même regrets. Pourquoi suis-je parti ?

La recherche d’emploi est devenue un job à temps complet. Cela ne devrait pas être le cas. Moi, j’alterne travail et détente. C’est vital car au niveau du mental, c’est les montagnes russes.

Penser à soi, se recentrer sur sa personne. Je prends le temps de faire tout ce que je n’ai pas eu le temps de faire durant ces dix dernières années.

Je ne culpabilise plus du tout : dès que j’en ai l’opportunité, je voyage, je vais au musée, au théâtre. Je m’initie à des sports de combat et à la relaxation. Tout ça prend beaucoup de temps, je m’éparpille, je me perds, je me retrouve.

Je rencontre des personnes qui ont vécu les mêmes choses : je ne suis pas fou. Même si la société nous le rappelle à chaque instant, je désapprends le fait que je me résume à un métier, une fonction. Durant cette année de chômage, j’ai plus appris sur moi qu’en dix ans.


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