« Même si la société nous le rappelle à chaque instant,
je désapprends le fait que je me résume à un métier, une fonction. »
« Qu’est-ce que j’ai envie de faire aujourd’hui que je
n’ai jamais eu le temps de faire ? » C’est la phrase qui me vient à
l’esprit lorsque que j’ouvre les yeux le matin.
Eliott (c’est un pseudo) a quitté son entreprise il y a un
an via une rupture conventionnelle. Il touche les Assedic
(1 400 euros mensuels) depuis un an et pour un an encore.
Je suis chômeur. Je préfère dire, comme c’est tendance
(notamment sur les réseaux sociaux), que je suis en « recherche
d’opportunité ». Pour me rassurer peut-être : malgré mon statut, je
suis quelqu’un.
Mon rêve de vie rangée m’était presque offert sur un
plateau, étant employé depuis dix ans dans une société pour laquelle bon nombre
de personnes rêvent de travailler (un grand groupe audiovisuel). Avec un BTS
commercial (choisi par élimination plus que par envie), je ne pouvais pas
prétendre à des postes surdimensionnés.
J’ai profité alors de la mobilité en interne pour évoluer
« horizontalement » comme ils disent : j’ai exercé des postes
pour lesquels j’avais la plus grande aversion – commercial sédentaire, chargé
de réclamations...
Burn-out veut dire épuisement, dépression
On finit par s’étonner soi-même, la machine de l’entreprise
est capable de créer des êtres « disciplinés » : on arrive à
occuper un poste en décalage complet avec ses valeurs, sa personnalité.
Jusqu’au moment où des situations de violence extrême surviennent dans les
rapports humains : l’esprit, le corps ne suivent plus.
La pression du management, la surcharge de travail,
l’absence de reconnaissance de sa hiérarchie, aucun sentiment de satisfaction
en fin de journée, la répétition des tâches (la gestion de la réclamation est
un puits sans fond)… Cela génère frustration, colère, incompréhension et bras
de fer permanent entre collègues et sa hiérarchie.
On sombre alors dans le burn-out, cet anglicisme utilisé
pour parler d’épuisement, de dépression. On ne s’en rend pas compte
immédiatement. Cet état a pris possession de moi comme une petite torture. Je
finis même par m’y habituer, pensant que c’est mon état normal.
Un projet de reconversion est mal vu
Il faut en passer par là pour que les choses changent. Le
lien avec son entreprise est difficile à défaire, surtout quand on entend
partout « chômage », « crise ». Il faut se faire violence
pour oser une démarche de reconversion.
C’est la seule option de survie que j’ai trouvée : je
veux devenir infographiste. Un métier que je souhaitais exercer tout jeune,
mais difficile de trouver une école qui enseigne cette discipline dans une
région où le secteur de l’industrie était prédominant.
Choix difficile car l’entreprise, quoi qu’on en dise,
perçoit cela d’un mauvais œil. La reconversion est considérée comme un
questionnement sur soi, donc une possible envie de partir. Peu importe, pour la
première fois j’ai un objectif, j’arrive à me projeter… Ces journées qui
n’avaient jusqu’ici aucun sens sont moins douloureuses à supporter, surtout
quand on souhaite se diriger vers un métier créatif.
Je quitte tout, et même le cœur léger
Les démarches administratives passées, les remarques des
collègues (qui vous prennent pour un fou) ignorées, les rendez-vous RH, écoles,
organismes de financement... Rien ne m’arrête : je veux faire autre chose.
Le retour sur les bancs de l’école n’est pas simple, je me retrouve avec des
élèves qui ont fait les Beaux-arts.
Petit à petit, je trouve ma place. Je redouble d’effort pour
tenter de rattraper mes lacunes. Je me sens légitime à exercer un tel métier.
L’année passe à une vitesse folle. Je réintègre mon ancien poste, mais à la
lumière de cette nouvelle expérience, je n’hésite plus : je quitte tout,
et même le cœur léger. Je porte un regard presque peiné sur mes collègues dont
la situation n’a pas évolué d’un iota alors qu’en neuf mois, j’ai appris
tellement de choses !
Pour la première fois, je m’inscris à Pôle emploi. Le métier
que je vise est touché de plein fouet par la crise. Les conseillers ne
connaissent rien à l’infographie. Mes très rares rendez-vous ne ressemblent
qu’à un contrôle du nombre de candidatures envoyées, seul indicateur de sa
recherche d’emploi.
Je m’éparpille, je me perds, me retrouve
Retour à la réalité, remise en question et même regrets.
Pourquoi suis-je parti ?
La recherche d’emploi est devenue un job à temps complet.
Cela ne devrait pas être le cas. Moi, j’alterne travail et détente. C’est vital
car au niveau du mental, c’est les montagnes russes.
Penser à soi, se recentrer sur sa personne. Je prends le
temps de faire tout ce que je n’ai pas eu le temps de faire durant ces dix
dernières années.
Je ne culpabilise plus du tout : dès que j’en ai
l’opportunité, je voyage, je vais au musée, au théâtre. Je m’initie à des
sports de combat et à la relaxation. Tout ça prend beaucoup de temps, je m’éparpille,
je me perds, je me retrouve.
Je rencontre des personnes qui ont vécu les mêmes
choses : je ne suis pas fou. Même si la société nous le rappelle à chaque
instant, je désapprends le fait que je me résume à un métier, une fonction.
Durant cette année de chômage, j’ai plus appris sur moi qu’en dix ans.
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