Le banquier de Terra Nova contre les « lanceurs d’alerte autoproclamés » : le cas Hannezo
par Anne-Sophie Jacques le 27/12/2013
Terra Nova aux mains des financiers ? On savait déjà que le cercle de réflexion proche du Parti socialiste était hermétique aux critiques sur les choix économiques du gouvernement mais on ignorait que ce think tank dit progressiste était un repaire de banquiers influents. Dans une enquête parue dans Charlie Hebdo cette semaine, le journaliste Laurent Léger révèle la mise au placard d'une note sur les paradis fiscaux ainsi que les appétits des cols blancs qui sévissent à Terra Nova.
Souvenez-vous : en novembre, Juliette Méadel, secrétaire nationale au Parti socialiste, fut remerciée de la direction de Terra Nova pour avoir publié sur le site Internet de ce think tank proche du PS une note très critique sur la réforme bancaire alors en discussion au Parlement. Malgré un coup de fil du cabinet du ministre de l’économie exigeant le retrait de cette note, Méadel n’a pas plié, et son impétuosité lui a probablement coûté son poste. C’est en tout cas ce qu’affirme l’auteur de cette note, l’économiste Gaël Giraud, lors de notre émission sur les impôts. De son côté, Méadel, invitée à son tour sur notre plateau consacré au Parti politique Nouvelle Donne, n’a pas réfuté cette version des faits.
Hannezo est un digne représentant du pantouflage, pratique qui consiste à passer des grandes écoles publiques au secteur privé. Selon Terra Nova, cet ancien de l’ENA "a été conseiller technique au cabinet de Pierre Bérégovoy, puis conseiller économique à l’Elysée sous François Mitterrand. Directeur financier des AGF puis de la Compagnie générale des eaux/Vivendi universal, il crée en 2003 une «boutique» de conseil en fusions acquisitions intégrée depuis 2007 dans la banque Rothschild". Il est par ailleurs vice-président du conseil de surveillance de Libération. Un CV en or, et une vision très personnelle du monde de la finance qu’il tente d’instiller à Terra Nova comme le prouve le journaliste de Charlie Hebdo. En effet, Léger a pu consulter les commentaires rédigés par Hannezo sur le projet d’une note consacrée à l’évasion fiscale.
SECRET BANCAIRE MON AMI
Une note pourtant peu sévère : rédigée par Guy Flury, expert-comptable associé du cabinet PricewaterhouseCoopers, elle préconisait "la transparence des multinationales" et militait pour la "connaissance des propriétaires et bénéficiaires réels des sociétés écrans". Pas de quoi fouetter un chat. Pourtant Hannezo dézingue le document qu’il considère bien documenté mais cédant "un peu à la tentation de tout mettre dans le même sac et d’en appeler à l’indignation vertueuse plutôt qu’aux solutions pratiques". Le banquier estime que "l’échange d’informations entre administrations fiscales sera un plus, mais cela ne va pas changer la donne, et s’il en reste, c’est parce qu’il y a des criminels". Le journaliste fait alors remarquer qu’Hannezo semble oublier le cas Cahuzac. Mieux : le banquier ne veut pas "jeter aux orties le secret bancaire [inventé pour protéger la vie des gens et les protéger des dictatures de leur pays d’origine], ni laisser n’importe quel lanceur d’alerte autoproclamé vendre des relevés bancaires, vrais ou faux, à la presse à scandale". Un dernier pour la route ? Que les multinationales s’installent au Luxembourg pour être moins taxées, "c’est normal" selon le banquier.
Vous vous en doutez : avec de tels commentaires, la note n’a jamais été publiée. Tout comme les autres projets de note consacrés aux class actions – les recours collectifs en justice – ou encore aux conséquences d’une sortie de l’euro. Pour Léger, "depuis que les administrateurs de Terra Nova fraient avec le pouvoir, rien ne va plus". Le "cercle de réflexion ne réfléchit plus vraiment" et fourmille "de cols blancs qui veulent se placer". Plus surprenant, même la veuve d’Olivier Ferrand, fondateur de Terra Nova et ancien directeur mort brutalement en juin 2012, semble avoir des velléités : selon le journaliste de Charlie, cette responsable du groupe Pinault "tient en réalité les rênes". N’était-ce pas le cas du temps de son mari ? Non me répond un expert proche du think tank qui préfère rester anonyme, "elle n'est apparue qu’à son décès où elle s'est désignée présidente d'honneur. Elle n'a d’ailleurs pas de formation politique ou économique". Nous n’en saurons pas davantage : en plus d’être anonyme, cet expert est peu prolixe. Mais il est le seul à avoir daigné nous parler : Guillaume Hannezo n’a pas répondu à notre message. Quant à Juliette Méadel, elle ne souhaite pas faire de commentaires.
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