Les associations ont souffert sous la présidence Sarkozy. Vont-elles expirer avec Hollande ? 30 000 à 40 000 emplois devraient être supprimés en 2014, dans un secteur associatif qui en compte 1,8 million. Les raisons de cette gigantesque vague de licenciements : la baisse des budgets des collectivités locales, qui n’ont plus les moyens de soutenir les associations. Et la politique de l’État qui oriente ses subventions et ses appels d’offre vers les plus grosses structures, transformées en prestataires de services. Une politique jugée « aveugle et suicidaire » par nombre de représentants du secteur. Enquête.
En Seine-Maritime, même processus. Le nombre d’éducateurs de
rue est divisé par deux suite à la décision du conseil général de réduire les
subventions de 6,8 millions d’euros à 3,5 millions d’euros. Cette coupe budgétaire
a un impact immédiat sur les associations de prévention, financées à 90% par le
département : 74 emplois supprimés sur les 140 que compte le secteur. Une
rallonge de 500 000 euros du conseil général servira à solder les
licenciements.
La prévention spécialisée n’est pas la seule touchée. En
Isère, le Planning familial est dans une situation très difficile depuis
l’annonce par le conseil général d’une diminution des subventions de 98 000
euros. Plus de la moitié des centres sont concernés, avec à la clé la fermeture
du centre d’Eybens, près de Grenoble.
Un plan social invisible
On ne compte plus les associations dont les comptes virent
au rouge, plombés par les mesures d’austérité. Décidées au niveau national, ces
coupes dégringolent en cascade jusqu’aux finances locales. Au bout de la
chaîne, des associations mettent la clé sous la porte ou se séparent de leurs
permanents. « Entre 2010 et 2012, le secteur associatif a perdu 11
000 emplois alors qu’il représente aujourd’hui un emploi sur dix du secteur
privé », confirme Valérie Fourneyron, ministre des Sports, de la Jeunesse,
de l’Éducation populaire et de la Vie associative.
Ce n’est que le début. L’année 2014 s’annonce très rude.« Compte
tenu des 14 milliards d’économie annoncée par le gouvernement, dont 1,5
milliard de baisse de la dotation des collectivités locales, le monde
associatif subira un plan social invisible de 30 000 à 40 000 emplois l’année
prochaine », s’alarme Didier Minot [1],
du collectif des associations citoyennes (CAC). La lutte contre le
déficit public oblige les collectivités à se recentrer sur leurs compétences
obligatoires au détriment des actions en faveur de la vie associative en
général, de l’environnement, de l’éducation populaire, de la défense des droits,
de la culture et du sport. Une restructuration économique qui demeurera
invisible. Les petites associations étant majoritairement concernées, il n’y
aura pas de plan social massif mais une multitude de licenciements épars, dans
un secteur qui emploie 1,8 million de salariés à temps plein ou partiel, en
plus des 16 millions de bénévoles actifs.
Ministre contre ministre
Créé en 2010, le CAC multiplie les actions, les rendez-vous,
et recense les associations en difficulté. Un appel à mobilisation a été lancé
(voir ici).
Il a recueilli 7 500 signatures dont une centaine de réseaux nationaux,
200 associations régionales et départementales, et plus de 700 associations
locales. Nouvelle preuve que le secteur est sinistré, les signatures continuent
d’affluer.
« Il y a deux langages au sein de l’État, constate
Didier Minot. Un discours de dialogue porté par Valérie Fourneyron. Et un
autre discours, porté par le ministère des Finances ou par Matignon, qui tend à
accroître la complexité des procédures, à considérer toujours plus les
associations comme des entreprises. Et surtout à diminuer les financements
associatifs. Quand on regarde sur plusieurs années, cela s’apparente à une
strangulation. »
Politique « aveugle et suicidaire »
À Saumur (Maine-et-Loire), la Maison des jeunes et de la
culture (MJC) s’est vue refuser une subvention de l’État de 7 000 euros.
Du coup la Ville, qui subordonnait son financement à celui de l’État, refuse de
mettre la main au portefeuille. Les 7 000 euros en font 15 000 de
moins. Cette situation met en déséquilibre le poste de directeur qui va être
supprimé. « Pour 7 000 euros, on va envoyer au chômage une
personne qui coûtera bien plus cher aux comptes sociaux. Et on met en péril le
fonctionnement d’une MJC », s’indigne Didier Minot. Nous sommes dans
des mécanismes complètement incompréhensibles. Creuser le déficit public, alors
qu’on prétend le combler, est une position aveugle et suicidaire ! »
D’où vient cette restructuration ? En juin 2008, le
rapport « Pour un partenariat renouvelé entre l’État et les
associations » est remis à Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé,
de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative. « Ce dernier
propose de rompre avec la culture de la subvention et suggère que la
distribution des subventions laisse désormais la place à un système de commande
publique », expliquent Viviane Tchernonog et Jean-Pierre Vercamer, auteurs
d’une étude sur le sujet [2].
En janvier 2010, la circulaire Fillon enfonce le clou : elle affirme que
la grande majorité des activités exercées par les associations peuvent être
considérées comme des « activités économiques » et entrent donc dans
le champ concurrentiel. En clair, une association devient une banale
entreprise, prestataire de services.
Fini le collectif, place au Social Business
Après la « modernisation » de l’État, qui
s’inspire des modèles de gestion pratiqués au sein des grandes entreprises
privées (et dont la révision générale des politiques publiques – RGPP – a
marqué le commencement), c’est au tour des associations de devoir se convertir
au modèle de gestion anglo-saxon, au « lean management » et à la
performance chiffrable. « C’est l’idée selon laquelle les associations
sont certes sympathiques, mais souffrent d’amateurisme, analyse le chercheur
Jean-Louis Laville. Elles doivent donc moderniser leur fonctionnement en
empruntant les formes de management des grandes entreprises privées. Pour être
modernes, les associations doivent se convertir en ce que Mohamed Yunus a
désigné comme “Social business”, c’est-à-dire des entreprises à but social
fonctionnant comme des entreprises, adossées à de grands groupes privés qui
vont leur permettre de gagner en performance. »
Le modèle concurrentiel introduit par les appels d’offre
fait déjà de gros dégâts. Car ce sont les associations les plus grosses et les
plus institutionnalisées qui raflent les marchés. La fédération Leo Lagrange,
issue de l’éducation populaire, est forte de 8 000 salariés dont
3 000 équivalents temps plein. 150 millions d’euros de chiffres
d’affaires, 13% de croissance en 2012, avec de plus en plus de demande de
services sur la petite enfance ! « On est en train de devenir le
premier opérateur de berceaux, on commence à gérer de plus en plus de
crèches », déclarait fièrement Bruno Le Roux, président de Léo Lagrange,
lors d’une visite de Michel Sapin, ministre du Travail, au siège de la
fédération. Léo Lagrange s’est engagée à embaucher 150 emplois d’avenir sur les
trois prochaines années. Bruno Le Roux est par ailleurs député PS et président
du groupe socialiste à l’Assemblée nationale...
Économie « sociale » : les gros écrasent les
petits
Avant, les dirigeants venaient du métier ou de l’association
elle-même. Aujourd’hui, une partie des structures sont administrées par des
gestionnaires professionnels. Elles sont munies de services très performants
qui épluchent les appels d’offre publics. Leur taille leur permet de réaliser
des économies d’échelle dans un contexte où la commande publique se contente
souvent du moins-disant. Résultat, les petites associations locales ne font
plus le poids et mettent la clé sous la porte. « Je connais une
fédération de la Ligue de l’enseignement en région parisienne qui fait du marketing
auprès de toutes les communes pour gagner des parts de marché sur les autres
organisations d’éducation populaire. Ils ont maintenant un quasi monopole sur
toute la vie scolaire », illustre Didier Minot.
Le centre social Accueil Goutte d’Or, dans le 18ème
arrondissement de Paris, en sait quelque chose. En 2012, il a perdu le suivi
socioprofessionnel d’une centaine d’allocataires du RSA, qu’il assurait depuis
1996. Les critères de sélection des financeurs donnaient la part belle aux
structures intervenant sur plusieurs territoires. « Ces critères ne
sont pas adaptés à une petite association comme la nôtre, dont l’efficacité
vient de sa proximité au quartier et de sa connaissance proche de ses
habitants », déplore Christine Ledésert, directrice du centre social.
67 millions pour les associations... du ministère des
Finances !
L’État préfère les grosses structures associatives. En 2011,
il a consacré 1,2 milliard d’euros aux associations, par des subventions
directes. Deux tiers de ces aides sont allées à seulement 342 structures (sur
les 21 119 subventions répertoriées). Et 3,5% des associations
subventionnées reçoivent les trois quarts de l’appui public. « De
très grosses associations sont très fortement financées et une poussière de
petites associations reçoivent une poussière de petites aides, qui sont
néanmoins vitales pour elles », commente un observateur. D’autre part, 42%
de ces financements sont destinées à des organisations para-publiques :
centres de formation, établissements d’enseignement supérieur, fondations
politiques, musées, grandes institutions culturelles, de la Croix-Rouge aux
instituts techniques agricoles, en passant par les orchestres nationaux.
Un comble : les structures associatives les plus
subventionnées en France se trouvent... au ministère des Finances ! À
quelques étages sous le bureau du ministre de l’Economie Pierre
Moscovici ! La cantine de Bercy est une association. Le comité des œuvres
sociales du ministère est une association. Et le total des aides qui leur sont
versées atteint 67 millions d’euros ! Si l’on retire le demi-milliard d’euros
ainsi consacré à des organismes para-publics ou de cogestion, il reste 700
millions pour les associations, orientés en priorité vers les plus grosses, les
mieux à même de répondre à un appel d’offre.
Destruction du projet associatif
De nombreux responsables d’associations sont convaincus que
le système des appels d’offre détruit les projets associatifs. Avec les appels
d’offre, les besoins ne sont pas définis par rapport à une situation réelle
rencontrée localement, mais à partir d’un cahier des charges élaboré par le
financeur, souvent en décalage avec les réalités du terrain. Exemple au nord de
Paris, à la Porte Montmartre, où s’est installé un marché informel
« légalisé », le Carré des biffins.
Des personnes très démunies et vivant dans une précarité
extrême y vendent objets de récupération et vêtements le plus souvent récoltés
dans les poubelles. La mairie de Paris a lancé en octobre 2009 un appel d’offre
afin de répondre aux besoins d’insertion et d’accès aux droits de ces
personnes. Mais le cahier des charges comporte une bizarrerie relevée par
Pascal Nicolle, président de la section locale de la Ligue des droits de
l’Homme :« Ce sont les travailleurs sociaux qui font à la fois le
travail de placiers, pour placer les pauvres derrière leur stand, et le travail
d’accompagnement social. Certains matins, cela tourne vite à la bagarre entre
les inscrits, les non inscrits et les biffins qui se remplacent. Et c’est aux
éducateurs d’appeler la police. Comment voulez-vous, dans ces conditions, que
les biffins aient confiance en leurs travailleurs sociaux ? »
Objectifs quantitatifs contre travail de proximité
À partir du moment où il n’y a plus que des relations
commerciales avec les financeurs, la relation de confiance n’existe plus. Et
qu’en est-il de la relation entre les usagers et les travailleurs
sociaux ? « Le suivi du travail d’insertion ne se fonde plus que
sur des critères quantitatifs, regrette Bernard Masséra, membre du CAC et
vice-président de l’association Accueil Goutte d’Or. Les financeurs
demandent : “Vous avez envoyé combien de convocations pour que votre
bénéficiaire vienne ? Ah, il n’est pas venu deux fois : vous devez le
rayer. » Exit le travail de proximité et l’accompagnement social
véritablement personnalisé.
« Certains allocataires du RSA que nous suivions
dorment dans des voitures. On ne se contentait pas de leur envoyer une
circulaire pour leur dire de venir. Quand quelqu’un ne venait pas, on se
mobilisait, on prévenait les gens qui connaissaient cette personne. On se
demandait aussi pourquoi cette personne n’était pas venue. Ce travail-là n’est
pas possible avec une grosse structure de 1 000 salariés et un DRH qui
gère ça depuis là-haut. » Dans les associations aussi, le travail réel et
ses contraintes devient invisible aux yeux des managers.
Des associations dans le secteur concurrentiel
« Nous demandons au Premier ministre d’infléchir le
plan de rigueur pour permettre aux collectivités de continuer à financer
l’action associative » , explique Didier Minot. Le CAC estime qu’il
faut sortir du champ concurrentiel un certain nombre d’activités associatives,
qui ne rendent pas le même service que les entreprises privées, à l’exemple des
crèches parentales, différentes d’une garde privée d’enfants. « Il
faudrait en France une loi qui protège ces structures du champ de la
concurrence, comme l’a fait l’Allemagne », poursuit Didier Minot.
L’inverse de ce qui se passe actuellement en France.
La loi de 1901 définit l’association comme une convention
par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, de façon
permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de
partager des bénéfices. Cela n’implique pas l’absence d’échanges monétaires,
mais interdit toute lucrativité. On trouve ainsi dans le champ associatif des
compagnies de théâtre, des structures qui assurent des formations
professionnelles, qui gèrent des maisons de retraite, proposent des aides à
domicile ou œuvrent dans le secteur médico-social.
Intelligence collective
Autant de secteurs où elles se retrouvent désormais en
concurrence avec des entreprises privées, depuis que celles-ci ont investi ces
nouveaux « marchés », traditionnellement couverts par les
associations, comme ceux des services à la personne. Une concurrence jugée déloyale
par le privé. Les associations, y compris celles qui sont devenues des quasi
entreprises, bénéficient du régime fiscal dérogatoire des organismes non
lucratifs, comme la non soumission aux impôts commerciaux. Et ce, quel que soit
le montant de son budget ou de leur chiffre d’affaires.
Quelle différence alors entre une association et un
prestataire privé ? Entre une régie associative de quartier qui entretient
des espaces verts et une entreprise de nettoyage ? « Une association
va le faire avec des travailleurs en insertion, à qui elle propose des actions
de formation et d’accompagnement social, précise Didier Minot. Sa finalité
n’est pas le profit, sa finalité se situe dans des missions d’intérêt général
reconnues, au service de la collectivité. » Fabriquer de l’intelligence
collective sans forcément vendre un business plan sera-t-il encore possible
dans un monde privé de ses associations ?
Nadia Djabali
Notes
[1] Sur ce sujet, Didier Minot vient de publier l’ouvrage Des
associations citoyennes pour demain, Editions Charles Léopold Mayer, septembre
2013, 20 euros.
[2] Les associations entre mutations et crise économique –
État des difficultés (octobre 2012), étude nationale par réalisée par
Deloitte et le CNRS-Centre d’économie sociale.
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