lundi 16 novembre 2015

Refuser la rhétorique de guerre

Par Frédéric Lutaud

Ce n’est pas jouer sur les mots que de réfuter la rhétorique belliqueuse du gouvernement. Bien sûr, il y a les explosifs et les kalachnikovs. Il y a les victimes innocentes de la barbarie de Daesh, auxquelles nous exprimons notre solidarité, ainsi qu’à leurs proches. Mais nous n’oublierons jamais que s’il y eut des morts, ce ne fut pas au combat, ce fut des civils abattus froidement par des fanatiques atteints par le délire djihadiste sanguinaire. Comme l’explique à justes titre la juge Marc Trévidic du pôle anti-terrorisme : « Ceux qui partent faire le jihad agissent à 90 % pour des motifs personnels : pour en découdre, pour l'aventure, pour se venger, parce qu'ils ne trouvent pas leur place dans la société... Et à 10 % seulement pour des convictions religieuses : l'islam radical. La religion n'est pas le moteur de ce mouvement et c'est ce qui en fait sa force ». Les 10 % de "théologiens" fondamentalistes pervertissent une religion séculaire porteuse d’une immense culture autant du point de vue social qu’artistique. Ceux-là n’ont pas plus à voir avec l’Islam que le Ku Klux Klan avec le protestantisme. Notre devoir est de ne pas confondre le croyant et le fanatique, mais aussi de distinguer ce qui relève d’une logique de guerre ou du crime terroriste. C’est une erreur impardonnable de voir dans ces attentats odieux une quelconque guerre de religion ou de civilisation, et une terrible injustice pour des millions de musulmans d’être assimilés à de telles atrocités. Ceux qui se prêtent au massacre sur le sol français, nous le savons, sont soit en rupture de bancs avec la société, soit des esprits influençables sous l’emprise d’un endoctrinement psychologique. Ce ne sont pas des soldats et encore moins des guerriers. Ce sont des assassins, et c’est leur faire trop d’honneur que de leur accorder le moindre mérite militaire. En cela nous ne sommes pas en guerre.

Un État responsable ne déclare pas la guerre à la terreur, n’encourage pas l’escalade de la violence, on a vu les résultats désastreux de cette politique aux États-Unis.

Mais surtout, en déclarant la guerre, nous légitimons les origines du conflit syrien (mais c’est peut-être le but recherché). Le terroriste islamiste devient un ennemi national comme les autres qu’il faut combattre avec des moyens militaires, alors que celui-ci est une créature enfantée par l’occident. Le wahhabisme, dont découlent tous les mouvements radicaux de l’Islam, est l’émanation des régimes réactionnaires ultra-conservateurs de l’Arabie Saoudite, du Qatar et d’autres fidèles alliés de l’Occident dans le Golfe. Comme l’a rapporté l’ancien chef de la DGSE, Alain Chouet : « nous sommes à contre-emploi de manière systématique et dans toutes les situations d’affrontement militaire, puisqu’au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène terroriste ». Dans les années 1980, les Etats-Unis ont financé les moudjahidines pour mener la guerre en Afghanistan contre l’URSS. Ensuite ce fut l’invasion de l’Irak, puis la guerre en Lybie où la responsabilité de la France est largement engagée, et maintenant en Syrie dont on sait, grâce aux archives déclassifiées, que les milices de l’Etat Islamique ont été financées par le Pentagone en coordination avec les États du Golfe et la Turquie pour renverser le président Assad. « C’est la non-intervention et la passivité de la communauté internationale et en premier lieu des États-Unis en Syrie qui ont favorisé l’offensive de l’EIIL, déclare la politologue française Myriam Benraad. D’abord parce qu'on a laissé pourrir la situation alors que l’on pouvait armer une partie de l’opposition, ensuite parce que l'on a, de fait, envoyé le signal à l’EIIL qu’il avait le champ libre, que les États-Unis souhaitaient de toute manière rester en retrait. »
Nous savons aussi que la France a livré des armes à l’opposition « modérés » depuis 2012. « Le Front El Nosra fait du bon boulot en Syrie » déclara Fabius avant de le classer comme organisation terroriste. Ces guerres nous ont toutes menées là où nous sommes, c’est-à-dire à l’horreur. Un État responsable ne déclare pas la guerre à la terreur, n’encourage pas l’escalade de la violence, on a vu les résultats désastreux de cette politique aux États-Unis. Elle ne peut que nous aliéner les populations. S’il y a une seule guerre à faire, c’est contre nous-mêmes, contre les politiques impérialistes qui ont apporté le chaos au Moyen Orient et jusque dans nos villes.

le fondamentalisme religieux est aussi l’exacerbation d’un fascisme ordinaire qui prospère sur les inégalités sociales en Orient comme en Occident.

Si l’Irak et la Lybie furent le théâtre d’opérations pour le contrôle du pétrole, la Syrie est un point de transit incontournable pour l'énergie dans la région par son ouverture méditerranéenne. « On croit faire la guerre pour la patrie et on la fait pour des industrielles » disait Anatole France, rien est plus vrai encore aujourd’hui. On finance des extrémistes au nom de la rébellion pour mieux les combattre au nom du terrorisme, ainsi se fait le partage du monde entre grandes puissances capitalistes sans que puisse émerger dans ces pays la démocratie. Les appels à la guerre de nos dirigeants drapés dans leurs postures martiales, à l’abri des murs feutrés de l’Elysée et de Matignon, feraient mieux de se muer en une diplomatie efficace, de préférence non alignée sur l’OTAN, afin que cesse l’injection massive de pétrodollars dans les réseaux islamistes, afin de ne pas pousser les peuples du Moyen Orient dans les bras des extrémistes. Car le fondamentalisme religieux est aussi l’exacerbation d’un fascisme ordinaire qui prospère sur les inégalités sociales en Orient comme en Occident. Que cesse le pillage des ressources naturelles, le soutien aux dictatures du Golfe, l’occupation de la Palestine et apportons notre plein soutien aux réfugiés.

 La France n’a pas besoin de nouvelles lois sécuritaires mais de moyens pour sa justice comme pour sa police d’investigation.

Quant à la prolongation de six mois de l’état d’urgence sur le territoire Français, il stigmatise insidieusement un peu plus la population musulmane en désignant un ennemi intérieur. Restreindre le périmètre de nos libertés n’a jamais été une solution. La France n’a pas besoin de nouvelles lois sécuritaires mais de moyens pour sa justice comme pour sa police d’investigation. Evidemment, cela rentre en contradiction avec la politique d’austérité appliquée jusqu’à maintenant. Il y a de l’argent pour intensifier les frappes aériennes sur Daesh, mais les caisses sont vides pour soutenir l’économie, pour augmenter le salaire des fonctionnaires ou maintenir le niveau des retraites. Non, Mr Hollande, nous n’avons pas besoin d’une guerre, mais d’une politique sociale progressiste qui ne laisse pas sur le bord de la route nos banlieues et six millions de chômeurs, qui ne fasse pas subir à nos concitoyens ce que finalement subit l’immense majorité de la population mondiale avec les conséquences que nous observons.

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