jeudi 26 novembre 2015

Du suicide politique du PS aux représailles terroristes

Par Frédéric Lutaud

Quel rapport y a t’il entre la politique de François Hollande et les attentats parisiens du 13 Novembre ? Aucun en apparence. Le Président aurait même été à la hauteur de la situation en décrétant la prolongation de l’état d’urgence et l’intensification des frappes aériennes sur Daesh. Si l’on en croit les sondages, la popularité de François Hollande a fait un bond de 10 points. On ne peut accuser le gouvernement d'avoir participé à l’invasion de la Libye par Sarkozy qui a déstabilisé la Moyen Orient et Villepin avait, en son temps, refusé de participer à l’invasion de l’Irak. La France n’a-t-elle pas rempli son devoir en soutenant l’Armée syrienne libre (ASL) lors du printemps arabe afin d’établir la démocratie ? A l’évidence, la politique étrangère du gouvernement ne peut être tenue pour responsable des représailles de Daesh. Les attentas abjectes perpétués sur notre territoire méritent une condamnation sans appel et d’ailleurs les reproches de la droite portent essentiellement sur un manque de fermeté vis-à-vis de la communauté musulmane radicalisée. Des critiques que s’est empressé d’étouffer François Hollande par la mise en place d’une politique sécuritaire ovationnée par le parlement. Cette lecture de la situation exonère le gouvernement de toute responsabilité dans la mécanique infernale qui a fait tant de victimes innocentes… et pourtant.

Le symptôme générationnel d’une désillusion

A la tribune, François Hollande et Manuel Valls ont toujours été sans concession avec l’intégrisme religieux et la montée du Front national qui participent, rappelons-le, du même processus de radicalisation : le repli identitaire. Religieux ou nationaliste, celui-ci dénote du même malaise social sur le territoire de la République. Le djihadisme et le racisme prospère sur le désespoir d’une génération qui engendre la violence, le mécréant remplaçant l’immigré ou le juif selon les cas. Finalement rien que de très banal si ce n'est la montée en puissance d'un nihilisme assassin. Tous les spécialistes en conviennent, « le problème essentiel pour la France n’est donc pas le califat du désert syrien, qui s’évaporera tôt ou tard comme un vieux mirage devenu cauchemar, le problème, c’est la révolte de ces jeunes [1] ». 60% des jeunes djihadistes n’ont rien à voir avec l’Islam, ils sont de famille catholique, athée ou même juive (3%). Et les djihadistes de référence musulmane proviennent dans leur majorité écrasante de familles non pratiquantes. Ils ne lisent pas, ne s’intéressent pas à la théologie, ils sont dépolitisés et en rupture de ban avec leur communauté. Ce n’est donc en aucun cas une guerre de religion ni de civilisation. «L'Etat islamique propose une vie plus excitante que de travailler au McDonald's [2]» et comble le vide idéologique laissé par une gauche de transformation sociale divisée et démissionnaire. « Dans les années 70, ils auraient pu devenir skinhead ou punk, ou même terroriste d’extrême gauche ! [3] » et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui leur révolte s’accomplit sous le signe du suicide. Ils auraient pu crier « no futur ! » mais choisissent, bardés d’explosifs, la voie du martyre à la gloire d’un dieu qui pourtant ne leur a rien demandé. Ces jeunes sont le symptôme générationnel d’une désillusion qu’ils essaient de transcender dans la mort.

Quand la gauche socialiste perd sa boussole

Depuis trois ans que le candidat du Parti socialiste est au pouvoir, la France connaît 1 million de chômeurs supplémentaires (plus de 6 millions au total) et les chiffres d'octobre sont calamiteux avec la plus forte hausse enregistrée depuis deux ans (cela avant les attentats). La proportion de sans domicile fixe n’a cessé d’augmenter. Elle a plus que doublé depuis 2011 (dont 30 000 enfants) et l’on évalue la mortalité dans cette catégorie de la population à 2000 décès en moyenne chaque année. Par ailleurs, selon une étude récente, le chômage et ses conséquences tuent 14 000 français par an. Quand Pôle Emploi enregistre une baisse de 5000 inscrits, ce sont 50 000 personnes qui arrivent en fin de droit. Les jeunes sont les premières victimes du chômage et de la précarité avec plus de 50 % de CDD. La précarité est d’ailleurs une stratégie du gouvernement pour dissimuler les chiffres du chômage [4] tandis que Macron s’attaque au code du travail et préconise ouvertement un libéralisme dérégulateur asservi à loi du marché. Parmi ceux qui bénéficient encore d’un emploi, un sur quatre sont touchés par la souffrance au travail et 3 millions de Français sont au bord du burnout. Tout cela au bénéfice des plus grosses fortunes économiques du pays qui ont vu leur richesse s’accroître considérablement [5]. Le transfert du travail au capital bat son plein au nom de la croissance et de la compétitivité, la colère sociale aussi. Voici ce que rapporte une note de synthèse confidentielle émanant des préfets : « le mélange de mécontentement latent et de résignation s'exprime de façon éruptive à travers une succession d'accès de colère soudains, presque spontanés et non au sein de mouvements sociaux structurés », autrement dit un mécontentement susceptible d'échapper au contrôle des appareils.

Quand la gauche au pouvoir perd sa boussole au point d’épouser le corpus idéologique de ses adversaires, elle enfante des monstres aussi bien sur son territoire qu’à l’extérieure de ses frontières. Il suffit pour s'en convaincre d'écouter le journaliste Jean-Jacques Bourdin qui demande « est-ce qu’il n’est pas indécent de se réjouir de la signature de contrats commerciaux avec l’Arabie Saoudite, qui a exécuté 134 personnes depuis le début de l’année, qui bombarde au Yémen avec nos armes des populations civiles, qui condamne à la peine de mort un jeune homme de vingt et un an ? », et Manuel Valls lui répondre « mon rôle à moi est de faire en sorte que les industries, les entreprises françaises, l’économie de notre pays soit la plus performante. Est-ce que nous oublions pour autant nos valeurs ? » La réplique de Valls mérite-t-elle vraiment une réponse ? L’Arabie Saoudite, un Deash qui a réussi [6] publiait dernièrement le New York Times. Mais pour Valls « avec l’Arabie Saoudite nous avançons en confiance, nous approfondissons une relation économique que nous tournons résolument vers l’avenir. Venez investir dans notre pays au cœur de l’Europe, c’est le moment, plus que jamais ». Nous assistons du coup à « une politique schizophrène qui consiste à vouloir imposer la démocratie dans certains pays en maintenant une alliance entre nos démocraties et la démocratie qui est la plus grande du monde, et les états théocratiques les plus réactionnaires de la région [7]», comme l’a souligné Alain Chouet, ancien chef du service de renseignements de sécurité à la DGSE. Nos partenaires saoudiens et du Qatar ont largement pris leur part dans le financement de Daesh afin d’empêcher le projet d’un oléoduc sur le sol syrien qui s'avère concurrentiel pour leurs livraisons de gaz et de pétrole. L'Arabie Saoudite a notoirement racheté le pétrole de Deash pour le blanchir dans ses raffineries, il n'en reste pas moins fréquentable. Aussi, ce n’est pas un simple manque de discernement qui égare la France dans ses alliances stratégiques. Alain Chouet témoigne : « La réaction que j’avais en général, en rentrant de Syrie, où je venais un peu raconter ce que j’avais vu, ce que j’avais entendu, les messages qu’on avait essayé de me faire passer. La réaction, une fois, la plus caricaturale, a été “écoute tu ne vas pas nous embêter avec la Syrie, c’est même pas le PNB de la Slovénie, alors on a mieux à faire avec nos amis Qataris et Saoudiens !”». Tout le monde a joué avec Daesh, la France y compris. Elle a livré officieusement des armes aux djihadistes (tout comme les États-Unis) pour empêcher la progression de l’armée de Bachar contre Jabhat al-Nosra et Daesh, des armes financées avec nos impôts et sans la moindre consultation démocratique. Il faut dire que le Moyen Orient représente un marché juteux pour nos industriels de l'armement. « Auprès des pays arabes, la France jouit également de son statut de plan B : contrariés par la politique américaine au Moyen-Orient (le refus de «punir» Bachar al-Assad par exemple), ils choisissent le made in France, explique Lucie Béraud-Sudreau [8] et parle d’une “stratégie contre les Etats-Unis”». Privilégiant les intérêts économiques et militaires sur toutes considérations éthiques et sociales, la gauche socialiste s’est fourvoyée jusqu’à payer le prix fort en contribuant à la création d’un monstre qui aujourd’hui leur échappe. Daesh, c'est aussi la faillite morale et politique de la gauche socialiste.

La fuite en avant

La trahison suicidaire de l’exécutif est un puit sans fond et s’illustre maintenant dans le volt face obscène de sa politique intérieure et extérieure suite aux attentats. La prolongation inutile de trois mois de l’état d’urgence, le député PS, Pouria Amishahi l’a dénoncée [9] à l’occasion de son vote contre au parlement : « nous disposons d’un arsenal judiciaire et répressif très dense, révisé plus de 11 fois en 10 ans. Sait-on par exemple que les investigations qui ont conduit aux opérations de police mercredi à Saint-Denis ont été menées indépendamment de l’état d’urgence, dans un strict cadre judiciaire et d’enquête pénale ? ». Le gouvernement a repris à son compte des mesures sécuritaires de la droite et de l’extrême droite alors que nous savons que « La DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), c'est 3.500 personnes. On a augmenté un petit peu les moyens judiciaires et massivement les moyens en renseignement. C'est l'inverse qu'il fallait faire. C'est une question d'équilibre. Et d'efficacité ! Le renseignement doit être au service du judiciaire. Pas l'inverse [10] ». Quant à l’intensification des bombardements sur Deash, elle est contre-productive : « Les frappes françaises c’est 3 % du total de toutes les frappes de la coalition qui n’a pas détruit l’État Islamique. Des 200 et quelques frappes que nous avons réalisées, en réalité c’est un petit coup porté à l’État Islamique, donc on peut imaginer d’augmenter les doses je dirais, mais fondamentalement ça ne va pas changer grand-chose. […] cette campagne de frappes c’est un sergent recruteur remarquable pour l’État Islamique. La campagne aérienne, la coalition dans son ensemble a peut-être tué 400 civils. Donc tout ça, ça alimente globalement le ressentiment sur place, ça alimente l’idée que ce sont toujours les arabes sunnites qui se prennent des bombes dessus [11] ». La riposte militaire est bien le piège qui nous est tendu comme en témoigne Abou Khaled, djihadiste repenti : « Le recrutement est important car il est en baisse depuis la chute de Kobane : en septembre 2014 on comptait jusqu’à 3000 nouvelles recrues par jour, mais seulement de 50 à 60 ces derniers temps. L'EI se retrouve avec un problème de troupes, d'où sa nouvelle stratégie : multiplier les cellules dormantes à l’étranger, et encourager les sympathisants à perpétrer des attentats chez eux [12] ».

Certains y verront une stratégie habile de politique intérieure pour museler la droite et l’extrême-droite et rassurer la population, Hollande ne manquant pas d’adresse pour manipuler ses détracteurs et calmer l’opinion. Mais, le fait est, qu’en rétablissant le contrôle aux frontières ; en se prononçant pour l’extension de la déchéance de la nationalité ; en autorisant les policiers nationaux à conserver leurs armes sur eux en dehors du service, au mépris de la prévention du suicide chez les policiers et des bavures ; en retirant le droit de manifester à l'occasion de la COP21 et au moment où se préparent d'importantes lois pour le monde du travail ; en prolongeant des mesures dangereuses parce que ce sont des atteintes fortes à nos libertés… bref, en cautionnant le recours à l’Etat policier, il légitime le discours de l’extrême-droite et par ce bais aussi ses valeurs. L’ennemi de la République et de la démocratie n’est donc pas là où il prétend être. Daesh n’est qu’une atrocité de plus dans un monde frappé par la crise sociale et écologique que nous impose une oligarchie internationale et son personnel politique. Ce dernier par contre s'agite sous nos yeux. Il dirige nos États de droit, utilise la peur et la vengeance pour justifier ces aventures belliqueuses et tellement lucratives. Il sait tirer parti du désordre pour asseoir son autorité et faire taire les oppositions de classe. Et quand la gauche, l’autre gauche, vote l'état d'urgence, elle désespère un peu plus les nouvelles générations qui ont besoin d'un engagement politique fiable. Elle ferait mieux de de ne pas accompagner ce mouvement délétère et de s'unir, car ce ne sont pas les fous de Daesh qui prospèrent électoralement mais bien le fascisme larvé du nationalisme, et cela dans toute l'Europe.

Notes

[1] Il ne s’agit pas de la radicalisation de l’islam, mais de l’islamisation de la radicalité,
Le Monde, Olivier Roy, politologue, spécialiste de l’islam, 2015.

[2] L'Etat islamique propose une vie plus excitante que de travailler au McDonald's
Jason Burke est l’un des meilleurs spécialistes anglo-saxons du terrorisme islamiste. Il explique l’attrait de l’idéologie du djihad auprès des jeunes Européens issus de l’immigration, 2015.

[3] Ne pas confondre jihadisme et néofondamentalisme
Raphael Liogier, philosophe et sociologue du fait religieux, 2015.

[4] Inquiétude autour des chiffres du chômage
Frédéric Lutaud, 2015.

[5] Les 500 plus grosses fortunes de France ont grossi de 25 % en 2013 et 15 % en 2014.

[6] L’Arabie Saoudite, un Deash qui a réussi
Libération, Lucie Béraud-Sudreau, doctorante à Paris-II-Panthéon-Assas sur les politiques d’exportation d’armement, 2015.

[9] Pourquoi j'ai voté contre la prolongation à 3 mois d’un état d’urgence
Pouria Amirshahi, 2015.

[10] La religion n'est pas le moteur du jihad
Marc Trévidic, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris au pôle antiterrorisme, Le Télégramme, 2015.

[11] Daesh, autopsie d’un monstre
l’ancien colonel de marine Michel Goya, Secret d’info, 2015.

[12] L'incroyable récit d'un ancien maître espion de l'Etat islamique
  The Daily Beast, Michael Weiss et Abou Khaled, 2015.

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