Par Thomas Clerc | 27 novembre 2015
Entre les jeunes marginaux de l’Occupation et les terroristes, la même logique du traître opportuniste est à l’œuvre.
Le terrorisme s’est toujours appuyé sur des pauvres types pour exercer sa terreur. Il suffit d’observer le profil des jeunes recrues, des frères Kouachi au converti «bien de chez nous» Fabien Clain [le jihadiste qui a revendiqué les attentats pour l’Etat islamique, ndlr], pour retrouver en eux le trait spécifique de ce que Marx appelait le «lumpenproletariat», cette racaille dépolitisée et sans travail prête à se vendre à l’oppresseur. Issue du peuple mais dépourvue de conscience de classe, cette frange de marginaux rejoint les rangs de l’Ordre, qui l’instrumentalise contre les siens et lui offre un but. L’islamisme radical recrute parmi ces égarés ; or il a été historiquement précédé par une mafia nationale qui devrait faire taire l’idée que les barbares, c’est seulement «eux» et pas «nous».
Sous l’Occupation allemande, déjà, les services paramilitaires de la Milice, forces françaises de Vichy alliées aux nazis, recrutèrent des jeunes gens (environ 30 000 hommes) dépourvus d’avenir, têtes brûlées auxquelles la violence tenait lieu de discours, en plus d’une prime et d’une reconnaissance sociale soudaine. Une idéologie totalitaire nourrit la Milice comme l’islamisme, mais les jeunes engagés étaient avant tout des paumés sans idéologie qu’il était facile d’endoctriner à l’aide de quelques formules chocs.
Un film l’a très bien vu il y a quarante ans, Lacombe Lucien (1974), de Louis Malle, qui brisa le consensus national véhiculé par le pouvoir gaulliste et communiste selon lequel les Français avaient été résistants. Non seulement cela était faux, mais Lacombe Lucien montrait en outre que l’engagement du jeune paysan dans la Milice avait été le fruit d’une déception, celle de n’avoir pu entrer dans la Résistance. Alors qu’elle est parfaitement plausible, cette volte-face heurta les intellectuels d’alors, notamment Michel Foucault et les Cahiers du cinéma qui, en pleine période maoïste, attaquèrent un chef-d’œuvre dont le scénariste était un jeune écrivain peu connu, Patrick Modiano, intéressé par la figure historique du traître. Contrairement à ce que croient certains idéologues, les gens qui s’engagent pour une cause ne le font qu’accessoirement «pour» cette cause : ils le font «parce que» c’est une cause. Les musulmans radicaux se sont embringués dans l’islamisme parce qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’opter pour la République. La République française se veut intégratrice ; tout le monde sait qu’elle n’inclut que les inclus.
Les Hasna Ait Boulahcen et autres Ismaël Omar Mostefaï sont les Lacombe Lucien d’aujourd’hui, comme l’islamisme est le nihilisme contemporain. La question qui intéresse la police est de savoir combien «ils» sont ; la nôtre est de savoir comment on produit ces gens «made in France». On peut certes rappeler leur débilité : dans le film de Malle, Lacombe Lucien ne sait même pas ce que signifie «juif». Les tueurs de Charlie ignorent les fondements de leur propre religion, et ceux du vendredi 13 novembre «lisent» la violence du Coran au premier degré. Mais cette animalité a elle-même des causes politiques : leur éducation littéraire n’a pas été faite, et leur désœuvrement rendu officiel sous le nom de chômage de masse. Ajoutez à cela qu’ils sont musulmans, c’est-à-dire disqualifiés d’office par une France apeurée qui glisse vers le Front national. Quant à ceux qui les «protègent», les islamo-gauchistes, ils les enfoncent de facto en brandissant le mot d’islamophobie à toutes les sauces, ce qui reconduit une logique d’exclusion.
Tant qu’on considérera l’islam comme une religion inintégrable, elle sera inintégrée : pour rendre un élève mauvais, il suffit de lui dire qu’il est mauvais. La performativité est totale en ce cas, et l’on ne peut que s’étonner du faible nombre d’attentats commis depuis des décennies par les rejetons dégénérés d’une population humiliée au quotidien. Le parallèle que j’établis se discute puisque les miliciens émanaient de l’Etat français alors que les recrues de Daech sont financées par l’Etat islamique : il n’en reste pas moins qu’entre ces jeunes marginaux de l’Occupation auxquels le pouvoir de mort fut brusquement offert comme une «divine surprise» et les terroristes, la même logique du traître opportuniste est à l’œuvre. L’islamisme est antimoderne, ses premières victimes sont les rénovateurs de l’islam ; mais la France, en renonçant à sa vocation universaliste au profit du pur Profit, se trahit elle-même, produisant un ressentiment puissant contre ce qu’elle est censée incarner. Les Lacombe «Jihad» Lucien prospèrent sur le terreau de la démocratie livrée au marché mondial : «On va faire des braquages à Damas !» claironnait Abaoud ; fin 44, la Milice pillait l’or national. A nihilisme, nihilisme et demi.
Le terrorisme s’est toujours appuyé sur des pauvres types pour exercer sa terreur. Il suffit d’observer le profil des jeunes recrues, des frères Kouachi au converti «bien de chez nous» Fabien Clain [le jihadiste qui a revendiqué les attentats pour l’Etat islamique, ndlr], pour retrouver en eux le trait spécifique de ce que Marx appelait le «lumpenproletariat», cette racaille dépolitisée et sans travail prête à se vendre à l’oppresseur. Issue du peuple mais dépourvue de conscience de classe, cette frange de marginaux rejoint les rangs de l’Ordre, qui l’instrumentalise contre les siens et lui offre un but. L’islamisme radical recrute parmi ces égarés ; or il a été historiquement précédé par une mafia nationale qui devrait faire taire l’idée que les barbares, c’est seulement «eux» et pas «nous».
Sous l’Occupation allemande, déjà, les services paramilitaires de la Milice, forces françaises de Vichy alliées aux nazis, recrutèrent des jeunes gens (environ 30 000 hommes) dépourvus d’avenir, têtes brûlées auxquelles la violence tenait lieu de discours, en plus d’une prime et d’une reconnaissance sociale soudaine. Une idéologie totalitaire nourrit la Milice comme l’islamisme, mais les jeunes engagés étaient avant tout des paumés sans idéologie qu’il était facile d’endoctriner à l’aide de quelques formules chocs.
Un film l’a très bien vu il y a quarante ans, Lacombe Lucien (1974), de Louis Malle, qui brisa le consensus national véhiculé par le pouvoir gaulliste et communiste selon lequel les Français avaient été résistants. Non seulement cela était faux, mais Lacombe Lucien montrait en outre que l’engagement du jeune paysan dans la Milice avait été le fruit d’une déception, celle de n’avoir pu entrer dans la Résistance. Alors qu’elle est parfaitement plausible, cette volte-face heurta les intellectuels d’alors, notamment Michel Foucault et les Cahiers du cinéma qui, en pleine période maoïste, attaquèrent un chef-d’œuvre dont le scénariste était un jeune écrivain peu connu, Patrick Modiano, intéressé par la figure historique du traître. Contrairement à ce que croient certains idéologues, les gens qui s’engagent pour une cause ne le font qu’accessoirement «pour» cette cause : ils le font «parce que» c’est une cause. Les musulmans radicaux se sont embringués dans l’islamisme parce qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’opter pour la République. La République française se veut intégratrice ; tout le monde sait qu’elle n’inclut que les inclus.
Les Hasna Ait Boulahcen et autres Ismaël Omar Mostefaï sont les Lacombe Lucien d’aujourd’hui, comme l’islamisme est le nihilisme contemporain. La question qui intéresse la police est de savoir combien «ils» sont ; la nôtre est de savoir comment on produit ces gens «made in France». On peut certes rappeler leur débilité : dans le film de Malle, Lacombe Lucien ne sait même pas ce que signifie «juif». Les tueurs de Charlie ignorent les fondements de leur propre religion, et ceux du vendredi 13 novembre «lisent» la violence du Coran au premier degré. Mais cette animalité a elle-même des causes politiques : leur éducation littéraire n’a pas été faite, et leur désœuvrement rendu officiel sous le nom de chômage de masse. Ajoutez à cela qu’ils sont musulmans, c’est-à-dire disqualifiés d’office par une France apeurée qui glisse vers le Front national. Quant à ceux qui les «protègent», les islamo-gauchistes, ils les enfoncent de facto en brandissant le mot d’islamophobie à toutes les sauces, ce qui reconduit une logique d’exclusion.
Tant qu’on considérera l’islam comme une religion inintégrable, elle sera inintégrée : pour rendre un élève mauvais, il suffit de lui dire qu’il est mauvais. La performativité est totale en ce cas, et l’on ne peut que s’étonner du faible nombre d’attentats commis depuis des décennies par les rejetons dégénérés d’une population humiliée au quotidien. Le parallèle que j’établis se discute puisque les miliciens émanaient de l’Etat français alors que les recrues de Daech sont financées par l’Etat islamique : il n’en reste pas moins qu’entre ces jeunes marginaux de l’Occupation auxquels le pouvoir de mort fut brusquement offert comme une «divine surprise» et les terroristes, la même logique du traître opportuniste est à l’œuvre. L’islamisme est antimoderne, ses premières victimes sont les rénovateurs de l’islam ; mais la France, en renonçant à sa vocation universaliste au profit du pur Profit, se trahit elle-même, produisant un ressentiment puissant contre ce qu’elle est censée incarner. Les Lacombe «Jihad» Lucien prospèrent sur le terreau de la démocratie livrée au marché mondial : «On va faire des braquages à Damas !» claironnait Abaoud ; fin 44, la Milice pillait l’or national. A nihilisme, nihilisme et demi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos réactions nous intéressent…