Par David Cayla | 20 novembre 2015
David Cayla, économiste, membre du CA des « Économistes atterrés », est enseignant-chercheur à l’université d’Angers et donc fonctionnaire. David a écrit cet article pour le prochain numéro de la revue Démocratie&Socialisme.
Les attentats de Paris ont montré les capacités de la France et des Français à faire face à l’horreur. Les personnels hospitaliers, les pompiers, la police ont réussi, par leur professionnalisme, à gérer un évènement dramatique exceptionnel. Dans les prochains mois, on peut s’attendre à ce que tous les services publics : la justice, l’armée, mais aussi (et surtout) les services sociaux, les personnels éducatifs, les fonctionnaires territoriaux, les agents qui gèrent les services indispensables à nos concitoyens, soient mis à contribution pour réparer un pays meurtri et une société fragilisée par la violence.
Les fonctionnaires rempliront leur fonction, sans prime au mérite, en semaine et les week-ends, sans compter leurs heures, comme ils le font la plupart du temps, comme le font les enseignants, les personnels hospitaliers, les agents de police.
Pourtant, avant les attentats, on expliquait partout, jusqu’aux membres éminents de notre gouvernement, que la fonction publique était inefficace, que ses agents étaient privilégiés, qu’elle était trop nombreuse et coûtait cher. D’ailleurs, depuis 2010, les salaires de la fonction publique sont gelés et il n’est pas question de hausse avant 2017. Le gouvernement, qui se targue pourtant de démocratie sociale, n’a jamais cherché à négocier sérieusement avec les syndicats de la fonction publique. L’État est un employeur irresponsable qui refuse de s’appliquer les règles qu’il impose aux employeurs privés. Tout juste a-t-il admis la nécessité de revoir les grilles indiciaires qui sont devenues absurdes : le SMIC finit par se généraliser dans la fonction publique à force de rattraper les premiers échelons des carrières les moins rémunérées.
Du côté des collectivités territoriales, des hôpitaux, des opérateurs publics, l’austérité imposée par Bruxelles et avalisée par le gouvernement conduit à dégrader jusqu’à l’absurde les conditions de travail. Dans telle école maternelle on supprime des postes d’assistant d’éducation, dans tel hôpital des aides-soignants, au CNRS les secrétaires sont moins nombreux à traiter toujours davantage de dossiers. Les emplois disparaissent et ne sont pas remplacés. Ce sont le plus souvent des catégories C, les fonctionnaires les plus fragiles, les moins rémunérés, les emplois les plus féminisés aussi, qui font les frais de ces économies.
Il faut le répéter : les emplois publics sont utiles, nécessaires à l’économie. Dans l’imaginaire des libéraux, la fonction publique est perçue comme un coût pour la société financé par les travailleurs du privé. Rien n’est plus éloigné de la réalité. Les fonctionnaires produisent de la richesse, une richesse non marchande, essentielle et complémentaire de la production marchande. Pour 2014, l’INSEE a calculé que les administrations publiques ont produit 360 milliards d’euros de valeur ajoutée, soit 17% du PIB, et financé au total 516 milliards d’euros de dépenses de consommation collective. Un tiers de cette dépense a été consacrée aux services publics non individualisables (entretien de la voirie, fonctions régaliennes…). Le reste, soit 334 milliards d’euros, est allé aux services dont bénéficient directement les ménages, principalement sous forme de services de santé et d’éducation.
Ces prestations ne sont pas payées par les usagers, ou alors à un tarif très inférieur à son coût de production. Elles sont financées essentiellement par l’impôt. Mais elles contribuent incontestablement au bien-être. Il suffit de comparer ce que dépense un ménage américain qui n’en profite pas pour comprendre à quel point les services publics sont utiles aux Français. Ainsi, aux États-Unis, l’assurance santé pour une famille de quatre personnes coûte plus de 15 000 dollars par an. Pour un an à l’université, il faut compter entre 20 000 et 50 000 dollars. Toutes ces dépenses contribuent à accentuer les inégalités et poussent de nombreuses familles dans le surendettement, notamment les étudiants. En France, au contraire, les services publics réduisent les inégalités. Dans une étude de 2009, l’INSEE évaluait que les services publics contribuaient à près de la moitié (43%) de la consommation effective des catégories les plus pauvres (1er quintile) [1] . Cette même étude montrait que les services publics sont plus progressifs que les impôts et les prestations monétaires.
Il est plus que temps de réaffirmer l’importance des services publics. Face aux discours libéraux ou démagogiques, l’efficacité économique et le souci de la cohésion sociale convergent. Les services publics doivent être renforcés pour être efficaces. Les fonctionnaires doivent enfin être considérés à la mesure des services qu’ils rendent à la population. Ce ne sont ni des privilégiés ni des parasites. Ils sont les garants des droits sociaux et économiques essentiels de la population. Leur statut protège leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et leur capacité à remplir ces missions.
Aujourd’hui plus que jamais, la France a besoin de ses fonctionnaires.
David Cayla, économiste, membre du CA des « Économistes atterrés », est enseignant-chercheur à l’université d’Angers et donc fonctionnaire. David a écrit cet article pour le prochain numéro de la revue Démocratie&Socialisme.
Les attentats de Paris ont montré les capacités de la France et des Français à faire face à l’horreur. Les personnels hospitaliers, les pompiers, la police ont réussi, par leur professionnalisme, à gérer un évènement dramatique exceptionnel. Dans les prochains mois, on peut s’attendre à ce que tous les services publics : la justice, l’armée, mais aussi (et surtout) les services sociaux, les personnels éducatifs, les fonctionnaires territoriaux, les agents qui gèrent les services indispensables à nos concitoyens, soient mis à contribution pour réparer un pays meurtri et une société fragilisée par la violence.
Les fonctionnaires rempliront leur fonction, sans prime au mérite, en semaine et les week-ends, sans compter leurs heures, comme ils le font la plupart du temps, comme le font les enseignants, les personnels hospitaliers, les agents de police.
Le gouvernement, qui se targue pourtant de démocratie sociale, n’a jamais cherché à négocier sérieusement avec les syndicats de la fonction publique.
Pourtant, avant les attentats, on expliquait partout, jusqu’aux membres éminents de notre gouvernement, que la fonction publique était inefficace, que ses agents étaient privilégiés, qu’elle était trop nombreuse et coûtait cher. D’ailleurs, depuis 2010, les salaires de la fonction publique sont gelés et il n’est pas question de hausse avant 2017. Le gouvernement, qui se targue pourtant de démocratie sociale, n’a jamais cherché à négocier sérieusement avec les syndicats de la fonction publique. L’État est un employeur irresponsable qui refuse de s’appliquer les règles qu’il impose aux employeurs privés. Tout juste a-t-il admis la nécessité de revoir les grilles indiciaires qui sont devenues absurdes : le SMIC finit par se généraliser dans la fonction publique à force de rattraper les premiers échelons des carrières les moins rémunérées.
Du côté des collectivités territoriales, des hôpitaux, des opérateurs publics, l’austérité imposée par Bruxelles et avalisée par le gouvernement conduit à dégrader jusqu’à l’absurde les conditions de travail. Dans telle école maternelle on supprime des postes d’assistant d’éducation, dans tel hôpital des aides-soignants, au CNRS les secrétaires sont moins nombreux à traiter toujours davantage de dossiers. Les emplois disparaissent et ne sont pas remplacés. Ce sont le plus souvent des catégories C, les fonctionnaires les plus fragiles, les moins rémunérés, les emplois les plus féminisés aussi, qui font les frais de ces économies.
Les fonctionnaires produisent de la richesse, une richesse non marchande, essentielle et complémentaire de la production marchande.
Il faut le répéter : les emplois publics sont utiles, nécessaires à l’économie. Dans l’imaginaire des libéraux, la fonction publique est perçue comme un coût pour la société financé par les travailleurs du privé. Rien n’est plus éloigné de la réalité. Les fonctionnaires produisent de la richesse, une richesse non marchande, essentielle et complémentaire de la production marchande. Pour 2014, l’INSEE a calculé que les administrations publiques ont produit 360 milliards d’euros de valeur ajoutée, soit 17% du PIB, et financé au total 516 milliards d’euros de dépenses de consommation collective. Un tiers de cette dépense a été consacrée aux services publics non individualisables (entretien de la voirie, fonctions régaliennes…). Le reste, soit 334 milliards d’euros, est allé aux services dont bénéficient directement les ménages, principalement sous forme de services de santé et d’éducation.
En France, au contraire, les services publics réduisent les inégalités.
Ces prestations ne sont pas payées par les usagers, ou alors à un tarif très inférieur à son coût de production. Elles sont financées essentiellement par l’impôt. Mais elles contribuent incontestablement au bien-être. Il suffit de comparer ce que dépense un ménage américain qui n’en profite pas pour comprendre à quel point les services publics sont utiles aux Français. Ainsi, aux États-Unis, l’assurance santé pour une famille de quatre personnes coûte plus de 15 000 dollars par an. Pour un an à l’université, il faut compter entre 20 000 et 50 000 dollars. Toutes ces dépenses contribuent à accentuer les inégalités et poussent de nombreuses familles dans le surendettement, notamment les étudiants. En France, au contraire, les services publics réduisent les inégalités. Dans une étude de 2009, l’INSEE évaluait que les services publics contribuaient à près de la moitié (43%) de la consommation effective des catégories les plus pauvres (1er quintile) [1] . Cette même étude montrait que les services publics sont plus progressifs que les impôts et les prestations monétaires.
Il est plus que temps de réaffirmer l’importance des services publics. Face aux discours libéraux ou démagogiques, l’efficacité économique et le souci de la cohésion sociale convergent. Les services publics doivent être renforcés pour être efficaces. Les fonctionnaires doivent enfin être considérés à la mesure des services qu’ils rendent à la population. Ce ne sont ni des privilégiés ni des parasites. Ils sont les garants des droits sociaux et économiques essentiels de la population. Leur statut protège leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et leur capacité à remplir ces missions.
Aujourd’hui plus que jamais, la France a besoin de ses fonctionnaires.
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