Entretien avec Isabelle Attard Propos recueillis par Barnabé Binctin | 21-11-2015
Isabelle Attard est députée « citoyenne » du Calvados. Elle a récemment quitté EELV puis Nouvelle Donne. Elle est l’une des six députés à avoir voté contre la loi de prolongation de l’état d’urgence.
Pourquoi avoir voté contre la loi prolongeant l’état d’urgence ?
Isabelle Attard | Tout ce qui a été fait jusqu’à aujourd’hui pouvait l’être sans décréter l’état d’urgence, que ce soit les perquisitions de jour ou de nuit, les assignations, les expulsions d’imams dangereux... C’est un problème de moyens : on a peu de juges en France et on ne renouvelle pas les postes, du coup tout ça prend plus du temps. Et du coup, on estime qu’il faut s’en passer pour aller plus vite encore !
Craignez-vous des déviances sur les écoutes,
Isabelle Attard est députée « citoyenne » du Calvados. Elle a récemment quitté EELV puis Nouvelle Donne. Elle est l’une des six députés à avoir voté contre la loi de prolongation de l’état d’urgence.
Pourquoi avoir voté contre la loi prolongeant l’état d’urgence ?
Isabelle Attard | Tout ce qui a été fait jusqu’à aujourd’hui pouvait l’être sans décréter l’état d’urgence, que ce soit les perquisitions de jour ou de nuit, les assignations, les expulsions d’imams dangereux... C’est un problème de moyens : on a peu de juges en France et on ne renouvelle pas les postes, du coup tout ça prend plus du temps. Et du coup, on estime qu’il faut s’en passer pour aller plus vite encore !
Craignez-vous des déviances sur les écoutes,
la surveillance, etc. ?
Vous savez, les écoutes sont déjà généralisées par la loi sur le renseignement… Mais j’estime qu’on avait encore un minimum de justice dans notre pays jusqu’au 13 novembre. Depuis, on a atteint quasiment 500 perquisitions en quatre jours. Qu’est-ce que ça veut dire ? Soit qu’on n’a absolument rien fait depuis le mois de janvier. Soit que, depuis quelques jours, on fait n’importe quoi et que les perquisitions ne concernent pas seulement le terrorisme. Et ça, malheureusement, on sait que c’est un risque. C’est très inquiétant. Depuis vendredi soir, les services de renseignement peuvent pêcher au chalut, en eau profonde, avec des filets très larges. Et avec des innocents, forcément, au milieu. Mais il faut croire que tout le monde s’en fout.
L’état d’urgence est encadré, y a-t-il véritablement
autant de risques ?
Mais bien sûr, c’est évident ! Très concrètement, l’état d’urgence signifie qu’on n’a plus besoin de la validation d’un juge pour faire une perquisition, donc on enchaîne les perquisitions. Lisez les réactions du syndicat de la magistrature, des bâtonniers, d’anciens juges antiterroristes, etc : on est en train de supprimer la justice. C’est très grave.
De surcroit, la loi introduit de nouvelles possibilités, notamment dans le domaine de l’Internet et du numérique. Prenons l’association La Quadrature du Net, qui s’est souvent illustrée dans la défense des libertés fondamentales. Comme ils font la promotion de la cryptographie, ils peuvent être perquisitionnés demain, en l’absence de juges. On peut aller fouiller leurs ordinateurs, leurs cloudset autres – car ça ne concerne pas seulement le matériel physique.
Est-ce la fin de l’État de droit ?
S’il n’y a plus de séparation des pouvoirs, vous n’avez plus la justice pour contrôler l’exécutif, c’est effectivement un danger pour la démocratie.
Mais on peut aussi considérer que l’état d’urgence a permis l’intervention mercredi 18 novembre à Saint-Denis : ne trouvez-vous aucune justification à ce dispositif ?
Je suis totalement favorable à cette mesure annoncée il y a une semaine. Aucun écologiste n’a d’ailleurs émis la moindre critique lorsque le président de la République a décrété l’état d’urgence. Quand c’est le chaos, on doit effectivement se donner les moyens d’agir très vite. Mais quand on est un responsable politique, on doit aussi réfléchir et utiliser son cerveau, non surfer sur l’émotion des gens une semaine plus tard. C’est ce que je reproche au gouvernement et au président de la République : au lieu de mettre l’émotion de côté, on tombe dans la démagogie en jouant la peur contre la peur.
Le gouvernement avait tout en main pour réagir dans l’immédiateté et rassurer les Français, sans prolonger l’état d’urgence. On n’est même pas encore dans la limite des douze jours. Il faut garder la tête froide, on ne peut pas légiférer dans l’urgence, François Hollande lui-même l’a dit. Là, on apprend qu’on va armer les policiers municipaux, sans aucune réflexion en amont, aucune étude d’impact – combien cela va-t-il coûter, est-ce efficace, qui l’a fait ailleurs ? Rien.
C’est donc la durée de cet état d’urgence qui pose problème ?
Après le 11 Septembre, le Patriot Act de Bush devait être temporaire. Il est toujours en vigueur, personne ne l’a démonté. Et à quoi a-t-il servi ? À mettre sur écoute le monde entier. À surveiller les écologistes et les associations citoyennes. Sûrement pas à lutter contre le terrorisme – le patron de la NSA l’a reconnu il y a peu devant le Congrès. On serait naïf de ne pas se faire de souci !
Chaque fois qu’il y a eu des modifications de la Constitution en France, le temporaire a eu tendance à durer très longtemps. La Constitution a été modifiée en 1962 pendant la guerre d’Algérie : on a encore la même aujourd’hui, et on en souffre.
Honnêtement, je n’ai pas un seul exemple historique à vous donner de situation où on a voté pour accorder ce genre de pouvoirs à la police et gendarmerie et où ça finit bien. Pas un seul exemple positif dans toute l’histoire de l’humanité !
Ne peut-on pas en tirer les leçons ? C’est honteux. Moi, j’ai honte pour mes collègues. On nous accuse d’être irresponsable parce qu’on n’a pas voté l’état d’urgence, mais ce sont eux, les irresponsables. Je suis atterrée par ce que j’ai entendu ces derniers jours à l’Assemblée nationale. J’ai eu l’impression de vivre des jours totalement surréalistes.
N’est-ce pas l’ « Union nationale »…
Une union nationale ? Au nom de quoi, pour quoi faire ?! Pour lutter contre le terrorisme, oui ! Mais pas pour faire n’importe quoi ! On a un cerveau, quand on est député, on ne le perd pas à l’entrée de l’Assemblée.
Et justement, que fait-on pour lutter contre Daech ?
Il faut assécher son financement. Il faut de la coopération internationale à l’ONU pour les services de renseignement. Surtout, il faut en finir avec l’hypocrisie de nos relations avec les émirats arabes. On sait que ce sont des mécènes des pays du Golfe qui financent Daech. Et nous, on continuerait à accueillir sur notre sol les Émirats, le Qatar, l’Arabie saoudite, parce qu’ils ont de l’argent, dans le cadre de relations commerciales et militaires ? Tout en détournant notre regard du financement de Daech ? La Suède a arrêté sa coopération militaire avec l’Arabie saoudite au mois de mars. Et nous, on fait quoi ? J’attends une réponse claire du président de la République à ce sujet.
Quid d’une intervention militaire, aérienne ou au sol, en Syrie ?
C’est l’intervention militaire américaine en Irak qui a créé Daech ! Ce sont les prisons américaines qui ont donné naissance à l’État islamique ! Comment cautionner, alors, une intervention militaire ? Pour créer un monstre militaire pire que Daech ? Non, je ne suis pas d’accord avec l’intervention militaire sur place.
Mais à court-terme, n’y a-t-il pas besoin d’affaiblir Daech ?
Il faut plus de coopération internationale, plus de moyens pour la justice, plus de juges et de magistrats… Il faut faire exister une coalition internationale, non pas pour faire la guerre, mais pour clore les relations financières avec les émirats. Et vous verrez que dans six mois, quand Daech aura moins d’argent pour acheter des armes, on aura moins d’attentats. C’est un travail collectif, mais il faut le décréter.
Je suis horrifiée d’entendre des propos guerriers inutiles. On va rassurer les Français en allant faire la guerre en Syrie ? C’est irresponsable, et ceux qui tiennent ces propos savent très bien comment l’État islamique est né. La gesticulation intempestive des torses bombés et va-t-en-guerre au son du « nous sommes la France et dans trois mois, c’est terminé », on a connu ça en 1914 et en 1939. On a vu ce que ça donnait.
On se doit d’être honnêtes avec les gens : contre les kamikazes, on ne peut rien faire, par contre, on peut se battre collectivement pour empêcher les kamikazes d’acheter des armes. Ce n’est pas utopique de dire ça. Ce n’est même pas être pacifique, c’est juste être réaliste.
Vous savez, les écoutes sont déjà généralisées par la loi sur le renseignement… Mais j’estime qu’on avait encore un minimum de justice dans notre pays jusqu’au 13 novembre. Depuis, on a atteint quasiment 500 perquisitions en quatre jours. Qu’est-ce que ça veut dire ? Soit qu’on n’a absolument rien fait depuis le mois de janvier. Soit que, depuis quelques jours, on fait n’importe quoi et que les perquisitions ne concernent pas seulement le terrorisme. Et ça, malheureusement, on sait que c’est un risque. C’est très inquiétant. Depuis vendredi soir, les services de renseignement peuvent pêcher au chalut, en eau profonde, avec des filets très larges. Et avec des innocents, forcément, au milieu. Mais il faut croire que tout le monde s’en fout.
L’état d’urgence est encadré, y a-t-il véritablement
autant de risques ?
Mais bien sûr, c’est évident ! Très concrètement, l’état d’urgence signifie qu’on n’a plus besoin de la validation d’un juge pour faire une perquisition, donc on enchaîne les perquisitions. Lisez les réactions du syndicat de la magistrature, des bâtonniers, d’anciens juges antiterroristes, etc : on est en train de supprimer la justice. C’est très grave.
De surcroit, la loi introduit de nouvelles possibilités, notamment dans le domaine de l’Internet et du numérique. Prenons l’association La Quadrature du Net, qui s’est souvent illustrée dans la défense des libertés fondamentales. Comme ils font la promotion de la cryptographie, ils peuvent être perquisitionnés demain, en l’absence de juges. On peut aller fouiller leurs ordinateurs, leurs cloudset autres – car ça ne concerne pas seulement le matériel physique.
Est-ce la fin de l’État de droit ?
S’il n’y a plus de séparation des pouvoirs, vous n’avez plus la justice pour contrôler l’exécutif, c’est effectivement un danger pour la démocratie.
Mais on peut aussi considérer que l’état d’urgence a permis l’intervention mercredi 18 novembre à Saint-Denis : ne trouvez-vous aucune justification à ce dispositif ?
Je suis totalement favorable à cette mesure annoncée il y a une semaine. Aucun écologiste n’a d’ailleurs émis la moindre critique lorsque le président de la République a décrété l’état d’urgence. Quand c’est le chaos, on doit effectivement se donner les moyens d’agir très vite. Mais quand on est un responsable politique, on doit aussi réfléchir et utiliser son cerveau, non surfer sur l’émotion des gens une semaine plus tard. C’est ce que je reproche au gouvernement et au président de la République : au lieu de mettre l’émotion de côté, on tombe dans la démagogie en jouant la peur contre la peur.
Le gouvernement avait tout en main pour réagir dans l’immédiateté et rassurer les Français, sans prolonger l’état d’urgence. On n’est même pas encore dans la limite des douze jours. Il faut garder la tête froide, on ne peut pas légiférer dans l’urgence, François Hollande lui-même l’a dit. Là, on apprend qu’on va armer les policiers municipaux, sans aucune réflexion en amont, aucune étude d’impact – combien cela va-t-il coûter, est-ce efficace, qui l’a fait ailleurs ? Rien.
C’est donc la durée de cet état d’urgence qui pose problème ?
Après le 11 Septembre, le Patriot Act de Bush devait être temporaire. Il est toujours en vigueur, personne ne l’a démonté. Et à quoi a-t-il servi ? À mettre sur écoute le monde entier. À surveiller les écologistes et les associations citoyennes. Sûrement pas à lutter contre le terrorisme – le patron de la NSA l’a reconnu il y a peu devant le Congrès. On serait naïf de ne pas se faire de souci !
Chaque fois qu’il y a eu des modifications de la Constitution en France, le temporaire a eu tendance à durer très longtemps. La Constitution a été modifiée en 1962 pendant la guerre d’Algérie : on a encore la même aujourd’hui, et on en souffre.
Honnêtement, je n’ai pas un seul exemple historique à vous donner de situation où on a voté pour accorder ce genre de pouvoirs à la police et gendarmerie et où ça finit bien. Pas un seul exemple positif dans toute l’histoire de l’humanité !
Ne peut-on pas en tirer les leçons ? C’est honteux. Moi, j’ai honte pour mes collègues. On nous accuse d’être irresponsable parce qu’on n’a pas voté l’état d’urgence, mais ce sont eux, les irresponsables. Je suis atterrée par ce que j’ai entendu ces derniers jours à l’Assemblée nationale. J’ai eu l’impression de vivre des jours totalement surréalistes.
N’est-ce pas l’ « Union nationale »…
Une union nationale ? Au nom de quoi, pour quoi faire ?! Pour lutter contre le terrorisme, oui ! Mais pas pour faire n’importe quoi ! On a un cerveau, quand on est député, on ne le perd pas à l’entrée de l’Assemblée.
Et justement, que fait-on pour lutter contre Daech ?
Il faut assécher son financement. Il faut de la coopération internationale à l’ONU pour les services de renseignement. Surtout, il faut en finir avec l’hypocrisie de nos relations avec les émirats arabes. On sait que ce sont des mécènes des pays du Golfe qui financent Daech. Et nous, on continuerait à accueillir sur notre sol les Émirats, le Qatar, l’Arabie saoudite, parce qu’ils ont de l’argent, dans le cadre de relations commerciales et militaires ? Tout en détournant notre regard du financement de Daech ? La Suède a arrêté sa coopération militaire avec l’Arabie saoudite au mois de mars. Et nous, on fait quoi ? J’attends une réponse claire du président de la République à ce sujet.
Quid d’une intervention militaire, aérienne ou au sol, en Syrie ?
C’est l’intervention militaire américaine en Irak qui a créé Daech ! Ce sont les prisons américaines qui ont donné naissance à l’État islamique ! Comment cautionner, alors, une intervention militaire ? Pour créer un monstre militaire pire que Daech ? Non, je ne suis pas d’accord avec l’intervention militaire sur place.
Mais à court-terme, n’y a-t-il pas besoin d’affaiblir Daech ?
Il faut plus de coopération internationale, plus de moyens pour la justice, plus de juges et de magistrats… Il faut faire exister une coalition internationale, non pas pour faire la guerre, mais pour clore les relations financières avec les émirats. Et vous verrez que dans six mois, quand Daech aura moins d’argent pour acheter des armes, on aura moins d’attentats. C’est un travail collectif, mais il faut le décréter.
Je suis horrifiée d’entendre des propos guerriers inutiles. On va rassurer les Français en allant faire la guerre en Syrie ? C’est irresponsable, et ceux qui tiennent ces propos savent très bien comment l’État islamique est né. La gesticulation intempestive des torses bombés et va-t-en-guerre au son du « nous sommes la France et dans trois mois, c’est terminé », on a connu ça en 1914 et en 1939. On a vu ce que ça donnait.
On se doit d’être honnêtes avec les gens : contre les kamikazes, on ne peut rien faire, par contre, on peut se battre collectivement pour empêcher les kamikazes d’acheter des armes. Ce n’est pas utopique de dire ça. Ce n’est même pas être pacifique, c’est juste être réaliste.
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