L'Insee publie ce mercredi un dossier sur « trente
ans de vie économique et sociale ». On y découvre la formidable montée en
puissance d'un capitalisme qui avantage la rente et les dividendes servis aux
actionnaires.
C’est un ouvrage remarquable que publie ce mercredi 29
janvier l’Institut national de la statistique et des études économiques
(Insee) : pour la première fois, il présente et met en forme des séries
statistiques sur une longue période, ce qui permet d’appréhender – c’est
le titre du document – « trente ans de vie économique et
sociale ». Agrémenté d’innombrables graphiques, le travail des
statisticiens permet de cerner les mutations profondes du capitalisme français
ces trois dernières décennies et d’appréhender les fortes inégalités qu’elles
ont charriées. Avec à la clef, notamment, un partage des richesses qui avantage
de plus en plus le capital au détriment du travail et qui pousse à une
véritable explosion des dividendes servis aux actionnaires.
Juste pour donner un aperçu de l’utilité du travail de mise
en perspective qu’a réalisé l’Insee, arrêtons-nous sur ce que révèlent les
séries longues qu’il fournit sur le partage capital-travail. La présentation
sur trois décennies des évolutions internes du capitalisme français devient
saisissante : on se rend compte à quel point de nombreux dirigeants
politiques, de droite comme de gauche, enjolivent les choses quand ils
prétendent que la France a été, en partie, à l’abri de certaines des inégalités
charriées par la mondialisation néolibérale et qu’elle a su protéger son modèle
social.
En réalité, les statistiques disent tout l’inverse. Elles
confirment que la France n’a pas été à l’abri de ces mutations, mais qu’elle en
a même été l’un des acteurs clés, avançant à vive allure vers un capitalisme
patrimonial, ou si l’on préfère, un capitalisme d’actionnaires. C’est ce
qu’établissent ces séries : la tyrannie de plus en plus forte exercée par
le capital sur le travail.
Observons ainsi un premier graphique, celui qui présente
l’évolution du « taux de marge » des entreprises, c’est-à-dire la
part de l’excédent brut d’exploitation dans la valeur ajoutée des entreprises.
Le constat saute tout de suite aux yeux. Pendant les Trente
Glorieuses, ce taux de marge est confortable, sans être exorbitant. Nous sommes
à l’époque du capitalisme dit « rhénan », qui autorise un partage
capital-travail ou, si l’on préfère, un partage salaire-profit, relativement
équilibré. En somme, c’est un capitalisme qui accepte le compromis social, et
le partage capital-travail se fait en fonction des rapports de force politiques
ou sociaux du moment.
Envolée de la précarité du travail
Mais après une période de décrochage, du second choc
pétrolier jusqu’au virage de la rigueur, au cours de laquelle le taux de marge
pique du nez, ce dernier finit par se redresser vivement. Au lendemain du
tournant de la « rigueur », sous les effets de la politique de désindexation
des salaires conduite (déjà !) par les socialistes, ce taux de marge
grimpe ensuite à des niveaux historiques. Et dans la période récente, il n’a
que peu faibli, sous les effets de la crise financière.
Dans ce graphique transparaît donc, à partir du milieu des
années 1980, ce que sera la formidable montée en puissance en France d’un
nouveau capitalisme importé des pays anglo-saxons : le capitalisme
d’actionnaires. Un autre graphique, sur la part des dividendes nets dans
l’excédent brut d’exploitation, vient confirmer ce constat :
On y découvre en effet que le basculement de la France dans
un type de capitalisme à l’anglo-saxonne a induit un partage des richesses
encore plus violent qu’on ne le dit le plus souvent. Car le partage des
richesses créées par les entreprises a été déformé, comme on vient de le voir,
à l’avantage du capital et au détriment du travail. Mais au sein même du
capital, le capitalisme d’actionnaires a poussé à un nouveau mode de partage,
au détriment de l’investissement et à l’avantage des dividendes. C’est ce que
montre cette infographie de manière spectaculaire puisque la part des
dividendes grimpe de 12 ou 13 % en 1980 à près de 30 % aujourd’hui.
Et ce qu’il faut bien prendre en compte, c’est que l’évolution ne concerne pas
que les grands groupes, ceux du CAC 40. Non ! L’Insee parle ici de toutes
les entreprises (non financières).
Cette infographie permet donc de comprendre la raison pour
laquelle ce capitalisme peut être baptisé de capitalisme d’actionnaires ou
capitalisme de rente.
Mais on se doute bien que si, dans le partage des richesses,
le capital a été outrageusement avantagé, le travail, lui, en a fait fortement
les frais. On peut en prendre une première mesure dans ce nouveau tableau, sur
le pouvoir d’achat :
Sans grande surprise, on découvre donc que si tout au long
des Trente Glorieuses, le pouvoir d’achat a été soutenu (avec des hauts et des
bas), il est entré dans les années 1980 dans une phase beaucoup plus
dépressive, avant même de régresser sous les effets de la crise.
Autre graphique, même évolution : l’Insee fournit de
nombreuses statistiques montrant à quel point la montée en puissance du
capitalisme patrimonial a contribué à une envolée spectaculaire de toutes les
formes de travail précaire.
Les deux graphiques ci-dessous mettent en évidence cette
même tendance : la précarité a totalement envahi le monde du travail.
On comprend donc que ces mises en perspective sont très
précieuses pour éclairer le débat public. Soit dit en passant, elles permettent
aussi de comprendre les graves conséquences que risquent d’avoir les cadeaux
que François Hollande fait aux entreprises : ils vont encore accentuer ces
tendances. Avec, pour les actionnaires, des perspectives de dividendes encore
plus formidables…
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