Par Jean-Pierre Corniou, directeur général adjoint du
cabinet de conseil Sia Partners.
Plus de 1 000 usines fermées et 120 000 emplois perdus. Tel
est le constat dressé par une étude publiée par Trendeo. Faut-il croire qu'il y
a trop d'emplois dans le secteur industriel et que le phénomène est amené à se
poursuivre ?
Jean-Pierre Corniou : Toutes les études publiées
depuis quelques années illustrent l’ampleur de la réduction des effectifs
industriels en France depuis 30 ans. De 1980 à 2007, donc avant la crise,
la France a perdu 36% de ses effectifs industriels. Ce phénomène s’est accéléré
depuis 2000, et s'est encore accru depuis 2008 sous l’effet de la crise. La
part de l’industrie (hors construction) dans la valeur ajoutée totale, en France, est
passée de 18 %, en 2000, à un peu plus de 12,5 %, en 2011. Mais il faut
souligner qu’une partie de l’emploi naguère considéré comme industriel est
désormais externalisé auprès d’entreprises de services spécialisés. Il y a donc
une partie de destruction nette, et une part de transfert vers des activités de
service.
Faut-il croire qu'il
y a "trop" d'emplois dans l'industrie par rapport aux besoins. Par
conséquent, les emplois perdus pourront-ils être recréés ?
La notion de surcapacité est toute relative : elle dépend de
la nature de l’offre, de l’intensité de la demande, désormais mondiale, mais
surtout de la productivité du travail. D’une part pour toutes les catégories
d’actifs, la part du travail dans la vie va continuer à diminuer. Depuis le
début du XXe siècle, la durée moyenne, toutes catégories confondues, du travail
effectif est passée de 200 000 heures à 67 000 heures. Nous vivons
désormais grâce à l’allongement de la vie, et à l’amélioration de l’efficacité
productive, deux vies complètes, une vie de travailleur et une vie de
rentier. Comme on a gagné plusieurs centaines de milliers d’heures de vie
en un siècle pour vivre désormais 700 000 heures, le travail ne représente
plus que 12% de notre existence, contre 40% à la fin du XIXe siècle. Cette
réalité bouleverse nos conceptions souvent moralisatrices quant au temps de
non-travail.
Dans ce vaste mouvement de reflux de la place du travail, le
travail industriel va continuer sa contraction. Le développement des robots,
l’usage encore plus intense des technologies de l’information, la
multiplication des outils connectés directement à internet sans intervention
humaine va accroître la productivité du travail industriel, mais aussi de plus
en plus celle des services. Il faudra moins de travail pour produire les objets
du futur, même s’ils sont produits en France, ce qu’autorisera une robotisation
accrue de nos industries.
Comment l'industrie
française peut-elle inverser la tendance ?
Soyons lucides. Le temps des grandes concentrations
industrielles est révolu en Europe. La mécanisation, puis l’automatisation et
enfin l’informatisation ont cassé le lien linéaire entre le volume de travail
et le volume de production. La croissance économique s’est construite par la
réduction du volume de travail, qui est le produit du nombre de travailleurs
par la durée du travail pour une technique donnée.
L’industrie a alimenté son essor par la maîtrise de ce
processus de transformation. L’automobile illustre clairement ce phénomène. Au
début du XXe siècle les premières voitures automobiles étaient construites à
l’unité à la main. C’étaient des produits artisanaux, extrêmement coûteux,
réservés à une élite. Il a fallu Henry Ford dès 1908 pour comprendre que ce
produit rencontrerait une demande forte si on en abaissait considérablement le
prix de production, et pour cela il fallait casser le modèle de production
unitaire pour passer à la grande série. Standardisation et mise en place de
chaînes d’assemblage servies par des ouvriers exécutant des tâches simples et
répétitives ont permis le décollage de cette industrie. Ce processus s’est
amplifié avec la robotisation qui a conduit à un accroissement de la qualité, à
la réduction de la pénibilité du travail et, in fine, à la contraction du
nombre de travailleurs. Le volume de travail direct engagé pour construire une
voiture moderne est très faible. L’usine Renault de Flins est passée de 21 000
salariés dans les années 70 à moins de 3 000 aujourd’hui pour une production
seulement inférieure de 50 %.
La désindustrialisation affecte la plupart des grandes
nations industrielles, sauf l’Allemagne qui a su résister par une offre de
biens industriels, notamment d’équipement, qui a trouvé dans la croissance des
BRIC des débouchés naturels.
L’industrie française peut continuer son développement grâce
au renouvellement de son offre dans les secteurs puissants comme l’industrie du
transport ou l’agro-alimentaire. L’exemple de l’aéronautique démontre que
l’effet qualité de l’offre l’emporte sur les effets coûts de main d’œuvre, qui
sont aujourd’hui globalement de même niveau que dans l’industrie allemande.
Grâce aux pôles de compétitivité, et aux investissements d’avenir, notamment,
le renouvellement de cette offre fait l’objet d’un intense effort collectif.
Elle doit s’accompagner pour être efficace d’un renouvellement de l’appareil
industriel, vieilli, et le développement de la robotisation de la production
indispensables à l’efficience du processus industriel et à la qualité des
produits. Le stock de robots installés au 31 décembre 2011 était plus de quatre
fois supérieur en Allemagne et presque deux fois supérieur en Italie. La France
ne comptait alors que 34 500 robots, contre 62 300 en Italie et 157 200 en
Allemagne et 29 900 en Espagne.
C’est au prix de ce double effort que la France pourra
maintenir une offre industrielle compétitive au plan mondial, créatrice de
valeur ajoutée, d’emplois qualifiés et de revenus fiscaux et
sociaux. Néanmoins, les nouvelles activités productives feront moins appel
à la main-d’œuvre qu’au « cerveau d’œuvre ». Design, intelligence
fonctionnelle, qualité, durabilité, efficience énergétique seront les
caractéristiques des produits industriels de demain qui pourront sans
difficulté être produits en France dans des unités petites, réparties sur le
territoire, hautement productives et faisant moins appel à une main-d’œuvre
généraliste, mais pilotées par des techniciens et ingénieurs mettant en œuvre
des techniques et des outils automatisés.
Propos recueillis par Olivier Harmant
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