vendredi 31 janvier 2014

Rapport biaisé sur le rapport de l'IRES

Par notre camarade Yannick Chevalier

Le but de ce billet n'est pas d'être une relecture scientifique et objective du rapport de l'IRES, mais une lecture politique et subjective. J'ai essayé autant que possible de séparer mes commentaires du contenu du rapport lorsqu'il y a divergence d'opinions, mais de toutes manières j'en encourage la lecture malgré sa taille indigeste. Je passe sur le premier chapitre, sur la compétitivité prix et les hausses de salaires, qui montre que la différence entre la France et l'Allemagne s'explique essentiellement par une compression de la demande (investissements et salaires) )plus forte en Allemagne qu'en France. Malgré l'intérêt politique de ce chapitre au niveau européen, je ne considère pas qu'il soit éclairant (au même titre que le reste du rapport) sur les raisons du marasme économique actuel.

Entreprises et Capitalisme financier

Les auteurs commencent par décrire le modèle classique des sociétés des 30 glorieuses, une technostructure dans laquelle les dirigeants des entreprises ont comme principale motivation d'étendre le champ de leur activité. C'est l'époque des mastodontes industriels, des conglomérats tels que Samsung qui font des voitures, des téléphones, des réfrigérateurs, des bateaux,... Dans la technostructure, ce n'est pas la recherche du profit mais la croissance qui oriente l'activité des entreprises.

Les auteurs remarquent ensuite (p. 58) que depuis la fin simultanée des accords de Bretton Woods (qui in fine limitaient le capital disponible en le liant à la quantité physique d'or) et du premier choc pétrolier, les économies développées ont vécu un divorce entre les profits des entreprises et l'accumulation du capital, qui représente l'enrichissement de l'entreprise et ses investissements. Depuis ce divorce, les économies occidentales sont dirigées comme des entreprises crépusculaires (en fin de vie) : tous les profits sont redistribués, et plus aucun investissement n'est fait, car le modèle de l'entreprise est condamné, et qu'elle sait qu'elle devra fermer à terme. Un exemple français typique serait celui d'une entreprise commercialisant des services sur le Minitel. Elle a su bien avant l'extinction des derniers feu que son activité s'arrêterait, et que sans changer fondamentalement (ce qu'a fait Illiad) d'activité, elle n'a pas de futur.

Ce divorce est expliqué par un passage des technostructures vers un capitalisme financier dans lequel ce n'est plus la croissance qui est le moteur des décisions des dirigeants, mais le retour sur investissement de chaque décision. Si un investissement pourrait rapporter de l'argent, mais moins que les critères demandés par les actionnaires, il est tout simplement délaissé. De même, plutôt que de faire du fordisme en considérant que les salaires sont de la consommation future (par le principe d'équilibrage dans une économie entre ce qui est gagné et ce qui est dépensé), les entreprises préfèrent comprimer les salaires.

Entre parenthèses, sur ce point, il semble qu'il y ait une logique entre le passage d'une technostructure ayant un spectre large d'activités, et donc pour laquelle le circuit de retour des salaires dans les revenus de l'entreprise est relativement court), et ceux d'une entreprise spécialisée, pour laquelle les salaires n'ont plus qu'une relation très ténue avec les recettes. La mondialisation accentue cette distance entre salaires et recettes car les producteurs sont souvent éloignés des consommateurs, et que seule une analyse au niveau mondial pourrait encore justifier le fordisme.

Mais alors qu'en temps normal les salaires payés reviennent ensuite aux entreprises par la consommation des ménages, le paiement de rentes retire à la consommation ce qui est payé aux financiers et aux détenteurs de capital (qui sont en grande partie des détenteurs de parts dans des fonds de pension). Un des problèmes est que le capital est international, et qu'il y a un déséquilibre entre les pays ayant de puissants fonds de pension et qui profitent globalement de cette rente prélevée sur tous les producteurs, et les pays dans lesquels la rente payée disparait du circuit économique (car migrant vers d'autres horizons). Le capitalisme d'actionnaires est différent du capitalisme classique des trentes glorieuses (p. 64) car il demande aux entreprises de compenser la différence entre ce que payent les retraités aux fonds de pension et ce que ces retraités reçoivent en retour, et que cette différence n'est pas forcément compensée au sein de chaque économie. Et même dans les économies dans lesquelles les fonds de pension sont très puissants, leur coût de fonctionnement (les bonii, comme diraient les Guignols) reste une ponction des classes pauvres et moyennes vers les plus riches. Cette différence a été en partie compensée au niveau du PIB par l'endettement des entreprises et des ménages, et par les bulles spéculatives (p. 67).

Ma remarque est que de ce point de vue, on peut voir l'action des banques centrales comme une tentative de stabiliser cette compensation alors que les revenus des travailleurs chutent. Elles favorisent l'endettement et les bulles spéculatives pour préserver le paiement des rentes et l'industrie financière. Ce faisant, elles perpétuent le creusement des inégalités (entre ceux qui gèrent le capital ponctinné et ceux qui subissent cette ponction), alors même que ce creusement, en plus des faibles investissements des entreprises, est un frein à la consommation.

Les auteurs concluent (p. 70) ce chapitre en comparant la politique des banques centrale comme la pose de dérivations sur une plomberie défaillante, et ces dérivations qui sautent les unes après les autres.

Calcul de la rente et surcoût du capital

Les auteurs remarquent qu'il ne faut pas identifier la rente avec le surcoût du capital, car une partie des frais sont justifiés par la rareté du capital et de l'intérêt de chacun à le préserver. Les auteurs définissent le surcoût du capital (p. 94) comme le coût supplémentaire par rapport à celui prenant en compte les risques de mal-investissement et de liquidité (le risque de ne pas pouvoir de l'argent quand on en a envie). Ce surcoût est distingué du poids de la rente (somme du profit des banques et des intérêts perçus par les individus). Les chiffres donnés par pays sont hallucinants (p. 97) : en France, ce poids était négatif dans les années 70, et est passé à 15% du PIB dans les années 90. En Allemagne, ce poids est passé dansd le même temps de 3% à 7%, et aux USA il culmine seulement à 10% dans les années 90. Il est remarquable que cette croissance s'est produite en même temps que les taux d'intérêts baissaient fortement, avec un pic au début des années 80 suivi d'une longue descente à 0% aujourd'hui. La baisse des taux d'intérêt n'euthanasie pas le rentier, elle le fait prospérer !

Un second calcul de la rente, partant de la comptabilité du pays, aboutit à une rente 2 fois plus élevée en Allemagne qu'en France (17% contre 8,5%), mais prend en compte les retraites (beaucoup plus par capitalisation en Allemagne qu'en France, apparement). Les auteurs n'éclaircissent pas cette différence, et on peut se demander si elle n'est pas dûe à la redistribution internationale par les fonds de pension des profits des profits de l'ensemble des industries nationales vers les pays où la capitalisation est la plus développée. Si c'est le cas, la retraite par capitalisation serait un moyen de prédation, pour chaque pays, de la production d'autres pays...

On arrive enfin au calcul du surcoût du capital par rapport au capital ajouté chaque année par la production des entreprises. En étant caricatural, ce surcoût passe de 0% à 1973 à 100% en 1995. En essayant de trouver des périodes, les auteurs y voient :
« Une fois le redressement de l’inflation opéré, le tournant de la financiarisation se manifeste bien autour des années 81-82. Le surcoût total du capital (courbe noire), qui s’élevait en moyenne à 26,4 % de la FBCF sur la période 61-81, s’est mis à grimper très rapidement durant les années suivantes, pour atteindre un nouveau plateau tournant autour de 70,6 % dans la période 1987-2011. (p. 108) »

Les corrections apportées dans la suite du chapitre modifient les niveaux, mais pas les profils de ces courbes.

Autrement dit, c'est à partir du reflux des taux d'intérêts du maximum Volcker (1981) que la financiarisation prend son envol. Mon analyse de ce phénomène est toujours la même : cette baisse a entraîné une augmentation du capital disponible (par effet de levier) pour les acteurs de la finance. En suivant un effet Cantillon classique, ils ont utilisé leur "pouvoir d'achat" supérieur pour acheter des entreprises et récupérer ainsi des revenus de la production supérieurs aux taux d'intérêts payés. La magie de l'effet de levier a fait le reste.

En disant cela, je diverge des auteurs qui, p. 111, pensent qu'il faut réduire les autres coûts pour faire de la place à l'investissement (BCE qui maintiendrait ses taux à 0% sur une longue période pour aider les entreprises), mais la vérité est que l'Histoire ne nous a pas encore dit si la financiarisation est dûe à des taux bas (comme je le pense) ou en baisse, comme ils l'ont été depuis 1980. Dit autrement, est-ce qu'il existe un régime stable de l'industrie financière avec des taux à 0%, ou est-ce que des taux aussi bas entraînent une augmentation de l'effet de levier dans l'industrie financière telle que le système devient instable, et susceptible d'exploser à chaque surprise négative ?

Mais la conclusion est la même dans les 2 cas (p.113):
« Quelle que soit l’importance que l’on donne au point de vue social, on devra convenir que la rente en est venue à constituer une surcharge considérable pour l’entreprise. En majorant à ce point le coût de mise en œuvre des moyens de production, la rente contribue à placer bien trop haut le critère financier qui décide de la mise en œuvre ou non de tout projet d’investissement ou d’entreprise. »

Tentatives d'explications de ce surcoût

Dans le chapitre 4, les auteurs tentent d'expliquer comment cette exigence de rentabilité financière, ou surcoût du capital, en est venu à contaminer toutes les entreprises, y compris les petites et les moyennes. Un point intéressant est la concurrence, pour le placement de fonds, entre les grandes entreprises côtées en bourse, et les moyennes. S'il y a un meilleur rendement en bourse, il n'y a pas de raisons d'investir dans une petite société. La part des LBOs y est jugée modeste (donc j'aurai tort sur ce point), mais sans plus de précisions. En particulier, la description du fonctionnement d'un LBO est celle des LBOs originaux, du début des années 90, dans lesquels les fonds espéraient redresser l'entreprise pour la revendre plus cher (p. 122,123). C'est assez éloigné de la description qu'en fait Stockman dans "The Great Deformation" (Stockman fut associé d'un tel fond, nommé BlackRock). D'après la Banque de France, il n'y aurait que quelques centaines ou milliers de telles opérations par an, ce qui rendrait le phénomène négligeable (p.123). Cependant, ces chiffres correspondent à environ 1% des entreprises de taille intermédiaire passant, tous les ans, sous le contrôle de la finance. Enfin, comme pour la détention de capital, la concurrence pour l'endettement obligerait aussi les entreprises moyennes à redistribuer trop d'argent par rapport à l'investissement.

On peut noter que pour 4500 ETI, il y a 40000 entitées sociales (sociétés) qui sont notament utilisées pour faire de l'optimisation fiscale (p.125). Mais les auteurs considèrent surtout que les dirigeants français de ces entreprises sont d'abord soucieux de vendre leur société à de grands groupes plutôt que de les développer par croissance organique. La conclusion de cette analyse des canaux de transmissions (p. 127) introduit une notion de "souffle financier" qui régnerait sur l'économie, en dehors des effets directs (LBO) à travers la concurrence pour les fonds propres et les emprunts. C'est ce souffle qui conduirait à délaisser l'investissement pour ne plus garder que les activités les plus rentables, dans un schéma classique d'exclusion de tout ce qui est en dessous de la norme. En plus du chômage créé par cette réduction de la voilure industrielle, il faut aussi considérer (p. 129) les effets sociaux au sein des entreprises, en particulier sur la sous-traitance comme moyen d'éviter les CE et les syndicats. de tout ce qui est en dessous de la norme. En plus du chômage créé par cette réduction de la voilure industrielle, il faut aussi considérer (p. 129) les effets sociaux au sein des entreprises, en particulier sur la sous-traitance comme moyen d'éviter les CE et les syndicats. Les effets sur l'économie en général sont, d'après un modèle formulé par les auteurs (conclusions p. 132) un ralentissement de la croissance économique et une réduction des salaires, c'est-à-dire exactement ce qui est reproché à l'économie financiarisée.

Le coût social du surcoût du capital

Enfin, les auteurs concluent qu'au delà des déséquilibres introduits en Europe par la modération salariale allemande et des différences de compétitivité entre industries, c'est d'abord le surcoût du capital qui explique le manque d'investissement, et donc le chomage (pp.137, 138) :
« on fait clairement apparaître que les conditions de mise en œuvre du capital productif, en particulier celles qui ont trait à son financement, peuvent rendre très onéreux l’ensemble des projets de création de richesse, au point de constituer un véritable frein au développement économique, social et écologique.
[...]
Le rôle du bon réformateur, et de tous les acteurs qui recherchent le progrès économique et social devrait être, selon Keynes, de faire baisser ce surcoût du capital, jusqu’à ce que le développement des forces productives soit suffisant pour assurer le plein emploi.»

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