mardi 28 octobre 2014

Les robots vont-ils tuer la classe moyenne?

Les automates supprimeraient 3 millions d’emplois en France d’ici à 2025, selon une étude exclusive de Roland Berger. Notre modèle social va devoir se réinventer.

Aux caisses des supermarchés, dans les entrepôts, au chevet des malades à l'hôpital, dans les cabinets d'avocats, au guichet de Pôle emploi… Ils sont partout. Des robots qui assurent des tâches jusqu'ici dévolues aux humains, au cœur d'une ville lambda, dans un futur proche. Certains hommes décident d'apprendre à vivre avec, d'autres s'y opposent en créant un mouvement extrême "100 % humain". Ce scénario, établi dans la série suédoise Real Humans (Arte), pourrait devenir bien réel d'ici à dix ans. C'est ce que démontre le cabinet Roland Berger dans une étude dévoilée au JDD.
Son constat est édifiant : avec 20% de tâches automatisés d'ici à 2025 – un scénario que l'étude juge tout à fait probable – les robots mettraient sur le tapis plus de 3 millions de salariés en France. Agriculture, bâtiment, industrie, hôtellerie, administration publique, comme l'armée et la police, hôtellerie, services aux entreprises et aux particuliers… Tous les secteurs perdraient des emplois, sauf l'éducation, la santé et la culture. Le taux de chômage, en pertes brutes, s'élèverait à 18%. Seuls 500.000 postes seraient créés dans le domaine de l'environnement, des nouvelles technologies, de la relation clients. Les tâches restantes seraient très polarisées : d'une part, de la maintenance de robots, à faible valeur ajoutée. D'autre part, des métiers très pointus, avec une forte compétition au niveau mondial.

Après la mondialisation, le spectre de la robotisation

Cette nouvelle ère sera-t-elle celle des "robots tueurs"? Pour Hakim El Karoui, associé au cabinet Roland Berger, qui a piloté l'étude, "la robotisation pourrait être aux cols blancs ce que la mondialisation fut aux cols bleus". "Elle va toucher les classes moyennes, y compris les classes moyennes supérieures, souligne-t-il. C'est-à-dire certaines professions intellectuelles, dont on va pouvoir automatiser certaines tâches, comme les comptables, les juristes, les journalistes… La machine saura faire sans l'homme à très court terme."



VIN (Viticulture intelligente naturelle), le robot-vigneron. (Stéphane Audras/REA)

Avec des conséquences en cascade sur l'économie française. Les robots assurant désormais les tâches des humains, des gains de productivité seront dégagés : cela permettra, selon l'étude, d'engranger 30 milliards d'euros de recettes fiscales et d'économies budgétaires, et de dégager des investissements privés de l'ordre de 30 milliards d'euros. Les entreprises mobiliseraient, en outre, quelque 60 milliards pour s'automatiser. Bonne nouvelle : ce bouleversement libérera également 13 milliards d'euros de pouvoir d'achat, sous forme de redistribution de dividendes et de baisse des prix.

Mais la population, soumise à une inactivité forcée, pourra-t-elle réellement en profiter ? Charles-Édouard Bouée, PDG du cabinet et auteur de l'ouvrage Confucius chez les automates*, prédit "une énorme déflagration économique". "Nous aurons plus de temps libre pour nos loisirs, mais moins de travail", assure-t-il. Cet accroissement des inégalités pourrait conduire, si rien n'est fait, à une explosion sociale. "Le numérique crée peu de croissance – c'est la surprise de la décennie – et peu d'emplois, complète Hakim El Karoui. Le système fiscal n'est pas adapté pour prélever une partie de la richesse engendrée ; l'effet de redistribution est donc très limité. C'est une industrie très inégalitaire, même si tout le monde peut se lancer en partant de zéro." Exemple : l'application américaine de messagerie WhatsApp, qui pèse 19 milliards de dollars et emploie seulement 55 salariés… devenus millionnaires à coup de stock-options !

La presse et la musique, premières victimes

Les défis posés à notre modèle social sont donc immenses. D'autant que la classe moyenne des services représente le "cœur de la démocratie", précise Hakim El Karoui. Selon lui, si on ne fait rien, la défiance envers les élites va encore augmenter, avec des impacts politiques graves. Le numérique a déjà remis en cause le modèle de la presse et de la musique. "On fait comme s'il s'agissait de cas isolés, regrette-t-il. Il n'y a aucun débat politique sur le sujet, alors qu'il faudrait anticiper, qualifier, dire la vérité… Il faut créer un électrochoc dans l'opinion dès maintenant, expliquer qu'un grand nombre de métiers seront potentiellement touchés. Lorsqu'un élu perdra une entreprise du tertiaire, dans sa ville, à cause des robots, il réagira peut-être. Mais ce sera trop tard."

* Grasset, 18 €.


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