Entretien avec Benoît Hartmann
Propos recueillis par Pierric Marissal
Mardi, 30 Septembre, 2014
Le projet de loi sur la transition énergétique est présenté
ce mercredi à l’Assemblée nationale. Un texte vidé de beaucoup de mesures, ce
que Benoît Hartmann, porte parole de France Nature Environnement, explique par l’influence
des lobbies.
Comment jugez-vous ce projet de loi sur la transition
énergétique?
C’est pourquoi nous voulons poser la question : pourquoi une mesure qui est dans l’intérêt de tous n’avance pas. Qui n’a pas intérêt à ce que ça change ? Il faut interroger le rôle des lobbies, particulièrement dans le secteur énergétique, qui n’ont pas intérêt à ce qu’on consomme moins, qu’on se déplace autrement, qu’on se chauffe autrement.
Quels lobbies avez-vous identifié ?
Benoît Hartmann. Il y en a qui sont faciles à comprendre,
comme Total. Plus je vais à la pompe à essence, plus ils gagnent de l’argent,
et plus ils ont intérêt à ce que j’y aille souvent. Pour le rôle d’Areva ou
d’EDF, c’est moins évident. Surtout qu’Areva a dépensé des sommes astronomiques
en communication pour faire passer le message qu’elle produit de l’électricité
propre et sûre, alors que c’est un mythe. Et EDF est encore perçue comme une
entreprise publique, de bon père de famille. Mais quand EDF pousse à passer au tout
chauffage électrique, à équiper les habitations de ballons d’eau chaude qui
chauffent toute la journée plutôt que simplement lorsqu’on en a besoin, on est
loin de l’intérêt général. Il faut pousser à ce que ces acteurs économique
évoluent, qu’ils se tournent vers les énergies renouvelables par exemple. Pour
nous, EDF, Areva et Total sont les symboles du blocage. Pour comprendre leur
rôle, il suffit de se rendre compte que quand nous consommons moins, ils
gagnent moins.
Pourtant, la première chose à réussir pour démarrer cette transition énergétique, c’est réduire drastiquement notre consommation. Et si on veut fournir de l’énergie propre, renouvelable pour tout le monde, il faut consommer moins.
Pourtant, la première chose à réussir pour démarrer cette transition énergétique, c’est réduire drastiquement notre consommation. Et si on veut fournir de l’énergie propre, renouvelable pour tout le monde, il faut consommer moins.
Pouvez-vous développer l’exemple de Total ?
Benoît Hartmann. Ce groupe, le plus gros chiffre d’affaire
français, la seule entreprise du pays sur ce secteur, a un poids considérable.
Surtout lorsqu’il fait du chantage à l’emploi. C’est aussi un très gros
annonceur dans les médias. Je devais par exemple enregistrer un certain nombre
de spots radios que je n’ai jamais pu diffuser. Même en achetant de l’espace
publicitaire, je n’arrive pas à communiquer sur ces sujets là. Je ne peux que
me demander si le fait que ces radios acceptent des annonceurs plus réguliers
et plus riches que moi ne joue pas sur le fait que la communication de France
Nature Environnement n’est jamais retenue…
L’intérêt de Total c’est de vendre le plus de pétrole possible au plus grand nombre possible au prix le plus cher possible. Notre intérêt à tous, dans le cadre de la transition énergétique, est de limiter notre dépendance aux hydrocarbures, d’en consommer le moins possible au meilleur prix possible. Et notre intérêt est gigantesque, puisque notre facture d’hydrocarbures est supérieure à notre déficit commercial : 65,8 milliards d’euros de commande d’hydrocarbure contre 61 milliards de déficit.
L’intérêt de Total c’est de vendre le plus de pétrole possible au plus grand nombre possible au prix le plus cher possible. Notre intérêt à tous, dans le cadre de la transition énergétique, est de limiter notre dépendance aux hydrocarbures, d’en consommer le moins possible au meilleur prix possible. Et notre intérêt est gigantesque, puisque notre facture d’hydrocarbures est supérieure à notre déficit commercial : 65,8 milliards d’euros de commande d’hydrocarbure contre 61 milliards de déficit.
Vous voyez également le poids des lobbies en matière de
rénovation et d’isolation thermique…
Benoît Hartmann. Il y a une convergence d’un certain nombre
d’acteurs pour ne pas isoler. Si on ne fait pas beaucoup d’isolation thermique,
cela veut dire qu’on consomme beaucoup de fuel et d’électricité pour se
chauffer. Et ces acteurs ont d’autant moins intérêt à ce que les bâtiments
demain se mettent à produire eux même de l’énergie. C’est une nouvelle fois une
convergence d’intérêts contraires à l’intérêt collectif. Y compris pour
l’industrie du bâtiment, qui eux préfèrent faire du neuf que de la
réhabilitation, puisque c’est moins cher et que cela fait plus de chiffre.
Et pour la question des transports ?
Benoît Hartmann. C’est pareil, les plus vertueux ne sont pas
récompensés. Plutôt que de développer et accompagner les plans de transports
interentreprises systématiques, le covoiturage ou les plans vélo, on préfère
subventionner le changement de voitures, un peu plus propres. On voit bien
qu’on reste dans un système trop favorable au transport en camions et à la
voiture individuelle. Le texte de loi n’aborde quasiment pas non plus les
alternatives aux hydrocarbures telles que le bio-méthane. Lorsqu’on voit cela,
on se dit que la transition énergétique n’est pas vraiment désirée. On ne peut
pas prouver qu’il y a eu des pressions de la part de Total ou d’autres acteurs
pour que ces alternatives ne soient pas présentent dans le texte, mais il se
trouve que c’est à eux que cela bénéficie.
Si ces entreprises ont des intérêts contraires à l’intérêt général, est-ce qu’il ne faut pas poser clairement la question d’un service public de l’énergie ?
Benoît Hartmann. Oui bien sûr, c’est particulièrement évident
avec le cas d’EDF, entreprise non publique, mais possédée à 83 % par l’Etat.
Est-ce qu’on peut être à la fois une entreprise qui a une obligation à
promouvoir les économies d’énergie, comme l’ordonne une directive européenne,
et à la fois être obligée de faire rentrer le plus de dividendes possible, y
compris sous la pression d’un Etat actionnaire complètement schizophrène. EDF
doit à la fois faire des économies d’énergie drastiques et faire consommer pour
gagner le plus d’argent possible.
Outre les grands industriels, vous évoquez également
l’influence du lobby bancaire…
Benoît Hartmann. Les banquiers ont pesé fort sur ce texte
pour qu’il n’y ait pas de possibilité de tiers financement. Par exemple si une
collectivité veut lancer un grand programme éolien ou d’efficacité énergétique,
elle a besoin de lever des fonds. Mais comme c’est souvent le cas sur ces
projets là, les banques refusent de prêter. Ce que devait initialement proposer
le texte, c’est que si les banques font obstacle, on leur demande de renoncer à
leur monopole sur le prêt et on fait en sorte que ce soient des sociétés à
capital d’Etat qui prêtent. Là, l’union bancaire à dit : non seulement on ne
veut pas prêter, mais en plus on interdit à tout autre de le faire. Et la
possibilité d’un tiers financeur est pour l’instant bloqué sous pression du
lobby bancaire.
Ce mercredi matin, plusieurs militants de la FNE entendent
s’enchaîner symboliquement devant l’Assemblée Nationale, avec des boulets sur
lesquels seront inscrit les logos de Total, EDF et Areva et ce message : il
faut se libérer des boulets de l’énergie. Le but est d’interpeler les
parlementaires qui commenceront alors à étudier le projet de loi sur la
transition énergétique, pour leur faire comprendre que s’ils écoutent ces gros
acteurs économiques, il n’y aura jamais de transition énergétique. « C’est aux
hommes et aux femmes politique de défendre l’intérêt collectif, même si cela
oblige certains acteurs économiques à évoluer » insiste Benoît Hartman. « Regagnez
du crédit politique en défendant nos intérêts », interpelle-t-il les
parlementaires.
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