ENTRETIEN | PIERRE DE GASQUET | LE
24/09 À 18:50 |
Etes-vous surpris par l’ampleur de la stagnation en Europe
et la récession en Italie ?
Non. Je ne suis pas du tout surpris par cette «triple dip»
recession (double rechute) qui s’installe dans une partie de l’Europe. C’est le
résultat logique de politiques inadaptées et de structures défaillantes de la
zone euro. C’était prévisible car les projections de la BCE et du FMI étaient
excessivement optimistes. On oublie d’ailleurs qu’elle a commencé avant la
crise ukrainienne. Et les problèmes avec la Russie risquent encore de
l’exacerber.
Dans quelle mesure Matteo Renzi peut-il rompre avec les politiques d’austérité de ses prédécesseurs?
Je ne vois pas encore de tournant significatif. Car Angela
Merkel maintient sa rhétorique de la rigueur et de l’équilibre budgétaire. Les
principaux efforts doivent être accomplis au niveau européen : la marge de
manœuvre des pays individuels est très limitée. L’espoir est que la France et
l’Italie puissent faire évoluer les choses. Mais ils ont encore les mains liées
par l’immobilisme d’Angela Merkel. Il n’y a pas encore de signe de flexibilité
malgré des avertissements sévères tels que la percée du Front National en
France. Les progrès de l’Union bancaire en Europe sont encore douteux. Je suis
déçu par l’absence de réaction plus forte face à l’ensemble des clairs signaux
de l’échec avéré des politiques d’austérité, années après années. Si l’on voit
un début de reprise aux Etats-Unis, alors même que ce pays était à l’origine de
la crise, pourquoi l’Europe reste confrontée à une «triple dip recession» ?
Pensez-vous que la France soit dans une meilleure position
que l’Italie en termes de potentiel de réformes?
Le parcours de la France a été encore pire. J’ai été
vraiment très déçu par François Hollande. Un des principes de base de
l’économie est celui du «balanced budget multiplier» : si vous augmentez les
impôts et les dépenses, cela stimule l’économie et cela crée plus d’emplois
sans augmenter le déficit. Hollande a fait exactement l’opposé : il a baissé
les impôts et réduit les dépenses publiques. Cela entraîne une «balanced
budget contraction». Il s’est embarqué dans une série de politiques que nombre
d’économistes considèrent comme incohérentes. Ses mains étaient liées, mais il
n’avait pas à adopter ces politiques qui ont affaibli la position de la France.
Il n’y a pas de signe que les baisses d’impôts pour les entreprises vont
contribuer à relancer l’investissement. Ce sont ces politiques qui sont à
l’origine des problèmes. Avant 2008, la France était dans une position
relativement bonne et avait un des niveaux de productivité (par heure
travaillée) parmi les meilleurs du monde. La machine productive fonctionnait.
Il y avait de bonnes universités, surtout les grandes écoles. La France devenue
l’ «homme malade» de l’Europe est un phénomène post-crise. C’est l’effet
conjugué des erreurs des «policy-makers» et de l’impact de l’euro. Sans les
erreurs politiques, l’économie française serait relativement en bonne forme. La
productivité du système de santé est deux fois plus élevée en France qu’aux
Etats-Unis. La France a la capacité d’innovation.
Pensez-vous que la réforme du droit du travail soit
prioritaire en Italie et en France?
Faire des réformes lorsqu’une économie est très malade, à
cause de l’euro et de l’austérité, est très difficile. Dans un contexte de
récession, les réformes de l’emploi sont très difficiles. La flexibilisation du
marché du travail est beaucoup plus acceptable dans un concept de croissance.
Dans le contexte d’une profonde récession, on met la pression à la baisse sur
les salaires ce qui exacerbe les inégalités. La plupart des réformes envisagées
sont sous l’angle de l’offre («supply-side reforms»). A ce stade, le problème
majeur en France et en Italie est celui de la demande, pas de l’offre. C’est
pourquoi je pense que ce n’est pas le moment de faire les réformes de l’emploi.
Si la demande n’est pas là, vous créez plus de chômage. C’est peut-être le
moment juste pour mettre en place un cadre pour garantir la flexibilité quand
le retour au plein emploi sera là. Mais créer un environnement où les salaires
baissent et le chômage augmente n’est pas un moyen d’assainir une économie.
C’est pourquoi le "modèle espagnol" est tout sauf un modèle. Ils célèbrent la
fin d’un déclin. Mais arrêter le déclin n’a rien à voir avec une reprise
robuste. Le coût de ce prétendu « turnaround » est énorme: vous détruisez une
génération.
Quel sera le test crucial pour relancer l’économie en Europe
?
Il faut que l’Allemagne change sa position sur le « fiscal
compact», la réalisation d’une vraie Union bancaire et le lancement des
«euro-bonds» qui ne sont toujours pas sur la table. Faute de progrès, ma
prévision est que l’économie va rester stagnante. S’il voit effectivement le
jour, le plan d’investissement de 300 milliards d’euros de la Commission
Juncker pourrait avoir un impact positif. Mais ce n’est pas un montant considérable.
Les Etats-Unis ont dégagé 700 millions de dollars et cela n’a pas été
suffisant. En outre, la politique monétaire de la BCE a un effet limité pour
ressusciter une économie. QE2 («Quantitative easing») n’a pas été très efficace
aux Etats-Unis. Le circuit du crédit n’a pas été réparé. L’Europe est dans une
situation similaire. Les banques en Espagne et en Italie n’ont pas desserré les
robinets du crédit. Baisser les taux d’intérêt ne résout pas le problème de
l’offre de crédit. C’est pourquoi une Union bancaire aurait été utile.
Le risque d’un recours à la Troïka évoqué par Mario Draghi
reste-t-il d’actualité pour l’Italie ?
Si cela devenait le problème de l’Italie, cela deviendrait
le problème de toute la zone euro. Ce serait un tel avertissement («wake up
call») que cela voudrait dire qu’il faut réformer la zone euro dans son
ensemble.
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