Par Denis Clerc, né en 1942 (l’année où il y eut le moins de
naissances déclarées en France depuis la fondation de l’Etat-civil), il est
économiste.
Il n’est désormais question dans la presse que de « ras l’bol fiscal », de « matraquage fiscal », voire d’« assommoir fiscal ». Le quotidien Les Echosdont je suis un fidèle lecteur, car c’est le journal de référence en économie et qu’il est remarquablement informé, n’y échappe pas. Voici quelques titres de « Une » : le 14 octobre, « Impôts : le cri d’alarme des banques », et en sous-titre « Leur taux d’imposition bat des records ». Le 9 octobre : « Le ras-le-bol fiscal mobilise 2 000 patrons à Lyon », le 8 octobre : « L’impôt sur les sociétés porté à un niveau record ». Le 10 octobre, Eric Le Boucher, éditorialiste, affirme que « l’impératif budgétaire écrase tout, jusqu’au bon sens ». Le 17 octobre, Xavier Fontanet, chroniqueur (et professeur à HEC) parle de « l’effarante montée des impôts » qui « assomment les assujettis », reprenant ainsi un thème qu’il avait déjà développé les 3 et 10 octobre où il proposait d’aligner la dépense publique française (56 % du PIB) sur la moyenne OCDE (45 %). Edouard Tétreau, autre chroniqueur régulier, dénonce le 9 octobre les « faux emplois subventionnés à profusion et de moins en moins qualifiés, financés par des taxes sans fin ». Mais le champion toute catégorie, véritable sniper tirant sur tout impôt qui bouge, c’est Jean-Francis Pécresse, dont tous les éditoriaux depuis un mois et demi portent sur ce thème. Ainsi, le 9 octobre, il écrit : « quand 2 % des ménages acquittent à eux seuls 40 % du produit de l’impôt sur le revenu – eux qui ne perçoivent que 13 % des revenus -, la moindre hausse de la pression fiscale a des effets d’éviction passifs. »
Il n’est désormais question dans la presse que de « ras l’bol fiscal », de « matraquage fiscal », voire d’« assommoir fiscal ». Le quotidien Les Echosdont je suis un fidèle lecteur, car c’est le journal de référence en économie et qu’il est remarquablement informé, n’y échappe pas. Voici quelques titres de « Une » : le 14 octobre, « Impôts : le cri d’alarme des banques », et en sous-titre « Leur taux d’imposition bat des records ». Le 9 octobre : « Le ras-le-bol fiscal mobilise 2 000 patrons à Lyon », le 8 octobre : « L’impôt sur les sociétés porté à un niveau record ». Le 10 octobre, Eric Le Boucher, éditorialiste, affirme que « l’impératif budgétaire écrase tout, jusqu’au bon sens ». Le 17 octobre, Xavier Fontanet, chroniqueur (et professeur à HEC) parle de « l’effarante montée des impôts » qui « assomment les assujettis », reprenant ainsi un thème qu’il avait déjà développé les 3 et 10 octobre où il proposait d’aligner la dépense publique française (56 % du PIB) sur la moyenne OCDE (45 %). Edouard Tétreau, autre chroniqueur régulier, dénonce le 9 octobre les « faux emplois subventionnés à profusion et de moins en moins qualifiés, financés par des taxes sans fin ». Mais le champion toute catégorie, véritable sniper tirant sur tout impôt qui bouge, c’est Jean-Francis Pécresse, dont tous les éditoriaux depuis un mois et demi portent sur ce thème. Ainsi, le 9 octobre, il écrit : « quand 2 % des ménages acquittent à eux seuls 40 % du produit de l’impôt sur le revenu – eux qui ne perçoivent que 13 % des revenus -, la moindre hausse de la pression fiscale a des effets d’éviction passifs. »
L’affirmation de Jean-Francis Pécresse sur la part de
l’impôt (sur le revenu) acquitté par les 2 % les plus aisés n’est pas fausse.
Elle est seulement insuffisante. Car ce cinquantième le plus riche de la
population – 1,3 millions de personnes, 600 000 ménages – détient aussi un
quart du patrimoine total et, s’il payait en 2011 en moyenne 38 000 €
d’impôt (sur le revenu et l’habitation) par an et par ménage, c’est parce que
son revenu avant impôts était en moyenne de 300 000 €. Après impôts, il
lui restait donc, en revenu disponible, 262 000 €, un peu plus de 20 000 €
par mois. Soit 8 fois plus que le ménage moyen, et 25 fois plus que chacun des
ménages du dixième le plus pauvre. J.-F. Pécresse préfèrerait-il que l’impôt
pèse sur ce dixième le plus pauvre (mais à eux tous, ces pauvres n’ont pas de
quoi payer moitié de l’impôt et il ne leur resterait rien pour vivre) ? Ou
même, peser d’un montant égal sur chacun des ménages (chacun verrait alors son
revenu annuel amputé de 2200 €) ? Que les 2 % les plus riches payent 3
fois plus d’impôts que leur part dans le revenu disponible des ménages ne me
paraît pas anormal : c’est l’objet même d’un impôt progressif. Est-ce
trop ? Je ne le pense pas. Mais sans doute, si j’étais dans ces 2 %, mon
appréciation rejoindrait celle de J.-F. Pécresse. Au fond, y a-t-il un seul
ménage en France qui ne se trouve trop imposé par rapport aux autres ?
Ceci dit, les prélèvements obligatoires augmentent, c’est
vrai : en 2014, ils devraient représenter 46 % du PIB, contre 43 % en 2008[1].
Soit un des plus hauts niveaux de l’Union européenne (avec le Danemark). Mais
si , dans l’OCDE, les dépenses publiques sont moindres qu’en France, cela tient
essentiellement au fait que certaines dépenses – en matière de santé,
d’éducation ou d’assurance vieillesse – sont nettement moins socialisées qu’en
France. Par exemple, selon l’OCDE, 77 % des dépenses de santé sont couvertes
par les prélèvements obligatoires en France, contre 48 % aux Etats-Unis. Même
chose pour les retraites publiques : elles pèsent 6 % du PIB aux
Etats-Unis, 12 % en France. Ces deux seuls postes représentent donc, pour les Etats-Unis,
une « économie » apparente de dépenses publiques de l’ordre de 10 %
du PIB. Mais en contrepartie, les ménages doivent en assumer la charge sous
forme de dépenses privées qui réduisent d’autant leur niveau de vie effectif.
Contrairement à ce que laissent penser les partisans d’une
baisse drastique de la dépense publique, celle-ci devrait donc porter
essentiellement sur la protection sociale. Certes, on peut sans doute réduire
quelque peu la dépense publique sans toucher à la qualité des services
publics, notamment en réduisant le fameux « mille-feuilles
administratif ». Mais ne nous leurrons pas. Les économies possibles dans
ce domaine portent au plus sur 2 à 3 points de PIB[2] :
au-delà, c’est forcément la qualité des services publics qui se dégraderait.
Selon la comptabilité nationale, hors protection sociale et santé, la dépense
publique française représentait 24 % du PIB en 2012 (dont 6 % pour
l’enseignement), une proportion similaire à celle des autres pays de l’OCDE. En
revanche, nos dépenses sociales (protection sociale et santé), représentent 32
% du PIB, contre 22 % dans l’ensemble de l’OCDE. Dans le domaine de la santé et
de la retraite, une part des dépenses plus élevée qu’ailleurs est socialisée.
Ce qui permet de réduire les inégalités et d’assurer à peu près à tous un accès
aux soins et à une retraite acceptable. Si les dépenses publiques dans ces deux
domaines étaient réduites de 10 points de PIB, elles ne disparaitraient pas,
mais seraient transférées aux ménages, et la partie la plus modeste d’entre eux
ne pourrait sans doute pas les assumer, ce qui réduirait leur accès aux soins
et à une retraite décente.
Certes, en théorie, réduire de 10 points de PIB les prélèvements
obligatoires finançant la santé et les retraites, serait une opération
blanche : par exemple, le salaire net serait majoré du montant des
cotisations qui ne seraient plus prélevées sur le brut, ce qui permettrait de
cotiser à des organismes privés assurant les mêmes garanties. Passons sur le
fait que ces organismes privés, en concurrence, seraient sans doute plus
coûteux (les frais de gestion de l’assurance maladie publique en France sont,
proportionnellement, cinq fois moins coûteux que ceux des complémentaires
santé). Car ce n’est qu’un aspect secondaire du problème.
En fait, si la partie la plus aisée de la population met en
cause la protection sociale, c’est que celle-ci comporte un aspect
redistributif relativement important, même dans sa partie
« assurantielle » (comme les retraites ou la santé). En gros, les
couches populaires (le dernier tiers de la population) payent nettement moins
pour leur protection sociale qu’elles ne perçoivent, tandis que c’est l’inverse
dans le tiers le plus favorisé de la population. Et ce caractère redistributif
(présent dès la création des « assurances sociales » en 1945) s’est
accentué au fil du temps, en bas de l’échelle par le biais de cotisations de
plus en plus réduites pour les plus modestes (exonération de CSG pour les plus
pauvres, fortes réductions de cotisations patronales pour les salaires proches
du Smic), et de financements de plus en plus élevés pour les mieux lotis
(plafonnement du quotient familial, mise sous condition de ressources de
certaines prestations familiales, hausse des prélèvements sociaux sur les
revenus de placement, etc.). Ce tiers favorisé accepte de moins en moins de
payer pour les autres et, du coup, la protection sociale qui repose largement
sur des formes plus ou moins accentuées de mutualisation (très forte pour
l’aide sociale, forte pour les prestations familiales et la santé, moindre pour
les retraites) est aujourd’hui au cœur de la contestation fiscale. Les pigeons,
poussins et autres volatiles s’estiment plumés, ils le disent haut et fort, et
ce discours trouve un écho même dans les couches moyennes (le tiers central de
la distribution), voire populaires, qui ont tendance à s’estimer victimes
également, mais au bénéfice des immigrés, ce qui fait les affaires du FN.
La question de la dette publique, on le voit, dépasse
beaucoup en réalité l’aspect comptable apparent, et met désormais en jeu la
cohésion sociale tout entière. Dénoncer le « matraquage fiscal », en
réalité, c’est refuser la solidarité.
[1] Les
recettes non fiscales – revenus du domaine public, remboursement de prêts
publics, participation des ménages à certaines dépenses publiques comme les
inscriptions à l’Université ou en bibliothèque municipale par exemple –
représentent chaque année entre 7 et 8 % du PIB, si bien que 56 % de dépenses
publiques devraient être couvertes par 49 % de prélèvements obligatoires (au
lieu de 46 % actuellement) pour qu’il n’y ait pas de déficit public. Un
« détail » qu’omet Xavier Fontanet dans sa chronique.
[2] Ce
qui, entre parenthèses, signifie que la suppression du déficit public
(actuellement de 4,5 % du PIB) ne peut passer que par une hausse des
prélèvements, et pas seulement par une baisse des dépenses, sauf à retrouver
rapidement un rythme plus élevé de croissance économique sensible (1 point de
croissance économique engendre 0,5 point de PIB de recettes publiques), soit, à
défaut, à faire porter la hache sur la protection sociale (retraites
notamment).
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