Il faut désormais tirer au plus vite les conséquences du
fait que les pays riches ne retrouveront plus jamais les forts taux de
croissance qui avaient façonné le consensus social des Trente Glorieuses.
Par Alain Caillé* | Mardi 3 Septembre 2013
Par Alain Caillé* | Mardi 3 Septembre 2013
Le croissance en France depuis 1960 - source Insee |
On doit se réjouir que le gouvernement, qui semblait animé
par la certitude toute énarchique que les problèmes français ne sont que des
problèmes techniques, affecte de lever un peu le nez du guidon pour
s'interroger sur l'horizon 2025. Tout porte à craindre néanmoins que cet
exercice ne se borne à étendre sur un laps de temps un peu plus vaste ce qu'on
pourrait appeler la « pensée boîte à outils ». Celle qui croit que tout se
résout, en amont, par une série de rapports, d'expertises et de décrets, et, en
aval, par des subventions plus ou moins judicieusement distillées. La seule
ambition clairement affichée est de retrouver enfin, d'ici à dix ans, les
ressorts de la croissance perdue, vue comme l'unique remède à tous nos maux.
Et, assurément, il est urgent de sortir du marasme récessionniste que la dictature des « marchés financiers » nous impose. Mais la véritable perspective dans laquelle il nous faut réfléchir est la suivante : il nous faut désormais tirer au plus vite les conséquences du fait que nous (les pays riches) ne retrouverons plus jamais les forts taux de croissance qui avaient façonné le consensus social des Trente Glorieuses. Et qu'en tout état de cause ils ne sont pas généralisables à l'échelle planétaire sous peine de catastrophe écologique. Il nous faut donc inventer une société harmonieuse, vivante et dynamique, où l'on vive mieux, même sans croissance (« sans dot », serait-on tenté de dire).
Et, assurément, il est urgent de sortir du marasme récessionniste que la dictature des « marchés financiers » nous impose. Mais la véritable perspective dans laquelle il nous faut réfléchir est la suivante : il nous faut désormais tirer au plus vite les conséquences du fait que nous (les pays riches) ne retrouverons plus jamais les forts taux de croissance qui avaient façonné le consensus social des Trente Glorieuses. Et qu'en tout état de cause ils ne sont pas généralisables à l'échelle planétaire sous peine de catastrophe écologique. Il nous faut donc inventer une société harmonieuse, vivante et dynamique, où l'on vive mieux, même sans croissance (« sans dot », serait-on tenté de dire).
LE PIB NE FAIT PAS LE BONHEUR
Est-ce possible ? Imaginable ? Oui, assurément, si l'on
comprend bien pourquoi depuis les années 70 il n'y a plus de corrélation - ou
alors négative - entre accroissement du PIB et sentiment de bien-être moyen.
Accroissement du PIB, cela veut dire accroissement du pouvoir d'achat monétaire
créé. Personne, à coup sûr, ne crachera dessus. Mais il y a d'autres facteurs
du bien-être que l'argent : le sentiment que ce qu'on fait a un sens, par
exemple, la fiabilité des amitiés ou des affections, etc.
Et, pour en rester au seul plan économique, comprenons qu'il est possible de jouir de biens et de services toujours plus utiles ou désirables même avec un pouvoir d'achat moindre dès lors que leurs fonctionnalités s'accroissent en même temps que leurs prix diminuent, comme c'est le cas par exemple des smartphones ou tablettes numériques. Encore faut-il que ce pouvoir d'achat soit équitablement distribué et contribue à un sentiment de justice partagé.
Et, pour en rester au seul plan économique, comprenons qu'il est possible de jouir de biens et de services toujours plus utiles ou désirables même avec un pouvoir d'achat moindre dès lors que leurs fonctionnalités s'accroissent en même temps que leurs prix diminuent, comme c'est le cas par exemple des smartphones ou tablettes numériques. Encore faut-il que ce pouvoir d'achat soit équitablement distribué et contribue à un sentiment de justice partagé.
OPTER POUR DES RÉFORMES QUI FONT SENS
Réformer, dans l'imaginaire technocratique, cela veut dire
se demander dans quoi on va investir et à quel taux de rendement. Et, comme il
n'y a plus d'argent dans les caisses, le plus souvent on n'investit rien du
tout. Or, le plus important est bien plutôt d'imaginer des réformes qui fassent
sens.
Par exemple, parmi les plus urgentes : procéder à une
véritable réforme durable et équitable du système fiscal, bien au-delà du
gadget électoraliste des 75 % sur les hauts revenus ; en finir avec une
politique d'incarcération qui génère toujours plus de récidives ; cesser de
faire des universités des parkings à chômeurs que fuient de plus en plus
d'étudiants au profit de multiples écoles privées ; pour cela, rompre avec le
système quasi monarchique qui pourvoit au recrutement, microscopique, de nos
élites à partir de cinq ou six classes préparatoires ; affronter résolument le
découragement de nombre des enfants issus de l'immigration ; s'attaquer pour de
bon au mille-feuille administratif ; se détacher au plus vite du néomanagement et
du reporting qui font des ravages tels que la France est à peu près dernière au
monde (avec l'Angola) pour le taux de confiance et de satisfaction dans le
travail. Etc.
De telles réformes, essentielles, ne demandent guère
d'argent. Juste de l'imagination et du courage politiques. C'est ce qui manque
le plus. Et, si elles étaient entreprises, peut-être la croissance serait-elle
en effet de retour !
*Alain Caillé, Directeur de la Revue du Mauss. Dernier livre (collectif) paru : Manifeste convivialiste. Déclaration d'interdépendance, (Le Bord de l'eau)
*Alain Caillé, Directeur de la Revue du Mauss. Dernier livre (collectif) paru : Manifeste convivialiste. Déclaration d'interdépendance, (Le Bord de l'eau)
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