Par Olivier Passet 27/11/2014
Directeur des synthèses économiques de Xerfi
Le Royaume-Uni comme les Etats-Unis font aujourd’hui
cavalier seul en termes de croissance, avec des rythmes qui avoisinent 3 %
et une dynamique solide de l’emploi. Les deux économies sont passées sous la
barre des 6 % de chômage cet été. Principale anomalie au tableau
cependant, en dépit de leur taux de chômage relativement faible, elles ne
développent aucun des symptômes qui caractérisent le voisinage du plein-emploi.
Aucune tension sur les prix ni sur les salaires ne se dessine qui permettrait
de donner un nouveau souffle au mouvement de reprise.
Découragement
Autre chiffre notable : le volume d’heures travaillées
par tête a diminué de 3 % avec l’extension du temps partiel pour motif
économique. Et, au total, le volume d’heures mobilisé par l’économie
américaine, rapporté au nombre des personnes en âge de travailler, s’est
effondré de 13 % depuis 2000. Bref, l’ampleur de la dégradation est
saisissante et n’a pas d’équivalent dans le monde développé. Et si le taux de
chômage en porte peu la marque, c’est que le découragement à l’embauche a
augmenté dans des proportions équivalentes.
En définitive, le marché du travail américain n’a plus les
vertus inclusives qu’on lui prête. Les interprétations qui sous-tendent cette
évolution sont multiples. Une abondante littérature s’est développée aux
Etats-Unis, pointant l’impact de la « numérisation des tâches » et du
déversement accéléré de l’emploi industriel de qualification intermédiaire sur
les métiers de services peu qualifiés.
Les années 1990 et 2000 ont été soit portées par des
bulles financières, soit maintenues à flot par des bulles
Mais une seconde grille d’interprétation mérite attention.
Elle découle du discours sur la « stagnation séculaire ». Que l’on y
adhère ou non, elle a au moins le mérite d’éclairer d’un jour nouveau les
ressorts de la croissance américaine au cours des deux dernières
décennies : les années 1990 et 2000 ont été soit portées par des
bulles financières, soit maintenues à flot par des bulles, frôlant le
plein-emploi sans jamais véritablement franchir le seuil de la surchauffe. Larry
Summers, figure emblématique de ce courant pessimiste, décrit ainsi une
économie qui aurait été en sous-emploi structurel sans le ressort des
débordements de la finance. En somme, le plein-emploi américain tiendrait en
partie de l’illusion. Une illusion qui aurait atteint son paroxysme avec le
« dopage » de la bulle Internet de la fin des années 1990.
Une économie sous anabolisant
Bref, l’économie américaine, sous anabolisant à l’image de
ses héros hollywoodiens de l’époque, ne renouera pas avec ce type de
performance. Et le plein-emploi, perçu alors comme la manifestation d’un
équilibre sur un marché du travail érigé en modèle d’efficience, peut être
analysé a posteriori comme le résultat d’un déséquilibre sur les marchés
financiers. Il est frappant de constater que le point d’inflexion du taux
d’emploi se situe précisément en 2000, moment où le rapport entre le niveau des
cours boursiers et les profits se normalise.
Or, cette dimension de la performance de l’emploi demeure
occultée dans l’analyse des performances comparées de l’emploi au sein des pays
développés. Il fut un temps où les travaux de l’OCDE accordaient un rôle
décisif au poids de la fiscalité pesant sur le travail (le coin socialo-fiscal)
dans l’explication des écarts de taux d’emploi et considérait que la rigueur de
la réglementation creusait l’écart d’emploi entre les insiders (les jeunes en
particulier) et les outsiders. Il serait intéressant d’éprouver la résistance
de ces résultats lorsque l’on tient compte de l’impact des bulles sur les
niveaux d’emploi.
Crise du travail au Royaume-Uni
L’économie britannique offre un tableau plus nuancé sans
lever pour autant toutes les suspicions sur l’effet dopant des bulles.
Contrairement au cas américain, la décrue du chômage est bien accompagnée d’une
remontée du taux d’emploi, qui flirte avec ses plus hauts historiques et
culmine 4 points au-dessus du taux américain. Une performance qui recouvre
malgré tout une chute de 15 points du taux d’emploi des 15-25 ans
depuis 2000. Une performance qui doit aussi beaucoup à la proportion record des
temps partiels courts, à l’explosion du statut de l’auto-entrepreneuriat et un
développement mal estimé des contrats « zéro heure ». Depuis 2008,
l’Office national des statistiques (ONS) estime que deux tiers des emplois
créés l’ont été sous le statut d’auto-entrepreneur, avec un revenu médian qui a
chuté de 27 % depuis le début de la crise. Une proportion croissante de
cols blancs a basculé sous ce statut avec des durées de travail accrues et des
rémunérations moindres.
En définitive, pas plus que les autres économies
développées, les pays anglo-saxons n’ont trouvé la martingale du plein-emploi.
Et lorsqu’ils s’en rapprochent sur certains aspects (notamment le chômage),
c’est en commuant la crise de l’emploi en crise du travail.
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