Par Michel Santi, économiste | 02/12/2014 |
Alors que la politique monétaire montre ses limites,
l'importance de la politique budgétaire, corsetée par les traités européens,
apparaît plus que jamais évidente.
Les discussions et les questionnements sont sans fin quant à
l'efficacité des baisses de taux quantitatives (Quantitative easing, QE), quant
à savoir si elles sont dangereuses pour l'économie dans le sens où elles
favoriseraient les bulles spéculatives. Mais en premier lieu, leurs détracteurs
brandissent l'argumentation asymétrique selon laquelle il vaudrait mieux que
nos économies connaissent une légère déflation de 1% (c'est-à-dire une
inflation négative de -1%) sans QE qu'une inflation de 3% en présence de QE,
qui dépasserait donc le plafond de 2% usuellement toléré par les banques centrales.
D'une certaine manière, cette opposition aux QE est compréhensible car la
création monétaire est - intuitivement - inflationniste. Pour autant, et en
dépit des milliers de milliards crées, imprimés, recyclés dans les Bons du
Trésor et injectés dans les banques, l'inflation peine considérablement à se
matérialiser au sein des nations dont la banque centrale a entrepris ces QE
(parfois dans le cadre de multiples programmes comme aux Etats-Unis ou au
Japon). Elle cède même la place en bien des pays à la déflation.
Depuis 2008 aux Etats-Unis, en réalité depuis le début des
années 2000 au Japon qui fut le premier pays à les avoir inauguré, toutes
ces années d'une expérience inédite et révolutionnaire de QE commandent
aujourd'hui de se poser une question simple, mais terriblement déstabilisante:
et si les taux d'intérêt bas étaient en réalité promoteurs de déflation?
Inversement, et si - sous certaines conditions et dans un certain contexte-, la
hausse des taux stimulait la croissance économique? L'inflation reste-t-elle
basse - voire la déflation survient-elle - précisément car les taux d'intérêt
sont à zéro? Les précieuses inflation et reflation sont-elles directement
proportionnelles aux taux d'intérêt? En d'autres termes, redémarrent-elles à
mesure que les taux sont remontés? Questions légitimes, débat de spécialiste
sans fin, qui tétanisent tant les banques centrales que les experts qui les
conseillent, et qui contribuent à retarder d'autant la reprise de nos économies
en crise depuis 2007.
Utiliser aussi le levier de la politique budgétaire
Cependant, il existe une solution maintes fois mise en œuvre
et qui permet de relancer avec certitude et l'économie et l'inflation. Cette
voie alternative - nullement dépendante des banques centrales - consiste en
l'adoption d'une politique budgétaire appropriée, que tout le monde devine, que
les étudiants en sciences économiques apprennent dès leur première année, mais
que nul n'ose évoquer, et encore moins recommander! Nos nations occidentales
n'ont ainsi pas lésiné à faire un usage combiné de la politique monétaire (donc
à faire appel à leur banque centrale) et de la politique budgétaire dans la
gestion de leurs économies respectives tout au long des années 1950, 60 et 70.
Elles ne reléguèrent pas, par la suite, la politique budgétaire au second rang,
non parce qu'elles la jugèrent inefficace, mais parce que la politique
monétaire se révélait être un levier plus efficient pour la relance et surtout
un instrument plus pratique à l'usage. En réalité, la méfiance vis-à-vis de la
relance budgétaire masquait une aversion profonde envers l'État: de cet État
qui ne pourrait qu'occuper une place prépondérante dans l'économie s'il était
appelé à la soutenir massivement.
Deux leviers complémentaires
La bonne gouvernance exige pourtant de faire appel aux deux
leviers qui sont évidemment complémentaires. Il revient en effet à l'État
d'intervenir et d'appliquer une politique budgétaire expansionniste afin
d'atténuer les effets de la récession, dès que la banque centrale se retrouve
prise au piège du taux zéro. Pour autant, le comble de la schizophrénie ne fut
atteint qu'avec l'Union européenne qui, à la faveur du lancement de l'euro,
devait inaugurer une formule étrange et aberrante selon laquelle la politique
monétaire serait définie par un organisme supra-national (la Banque centrale
européenne).
Le seul et unique instrument autorisant le contrôle de la
demande agrégée encore à disposition des États étant la politique budgétaire
encadrée par des critères dont l'objectif non avoué était de leur interdire
d'en faire usage pour soutenir une économie à la dérive. Cette architecture
européenne, qui faisait donc totalement fi du levier budgétaire, consacrait
ainsi un authentique fétichisme des déficits qui se devaient - quoiqu'il arrive
- d'être maintenus en deçà de limites très claires. Cette paralysie de facto
sur le plan budgétaire des nations européennes combinée à leur privation et à
leur abdication de tout pouvoir monétaire (monopole de la BCE) parvint à
enfanter une sorte de clone, pur produit de cette Europe néo libérale.
Des États sans pouvoirs
En effet, les États n'avaient dès lors plus aucun pouvoir,
et notamment plus celui de dépenser pour soutenir leurs citoyens et leur
économie lorsque la conjoncture se dégradait. Tant pis si cette super
orthodoxie - qui consacrait donc le dogme de l'équilibre budgétaire - faisait
mine d'ignorer qu'il est pourtant si précieux pour un gouvernement de faire
usage du levier fiscal et budgétaire et, ce, dans les deux sens: pour
stabiliser et stimuler une économie en récession, mais également pour la
tempérer en cas de surchauffe.
Les États et leurs gouvernements respectifs étaient donc
priés de se comporter comme une bonne ménagère économe qui gérait
parcimonieusement son budget. Il leur fut donc impossible de mettre à profit le
levier fiscal dans le cadre de la crise financière, alors même que ce puissant
instrument fonctionne admirablement. N'a-t-il en effet pas produit des effets
catastrophiques en contribuant de manière décisive à faire plonger les
économies en récession? C'est évidemment de l'austérité qu'il s'agit ici, qui
se révèle - en creux - la démonstration la plus parfaite de l'efficacité du
levier fiscal et budgétaire... Du reste, ne nous y trompons surtout pas car
l'accalmie décisive et définitive de la crise financière et des dettes
souveraines européennes n'est en rien redevable à cette rigueur budgétaire,
voire à cette famine budgétaire s'agissant des nations européennes
périphériques. Elle doit en revanche tout aux discours et aux actions
déterminées de la BCE et de son Président.
Que la macro-économie récupère son instrument fiscal !
Certains estiment - peut-être à raison ? - que les banques
centrales en ont trop fait et que les baisses de taux quantitatives ne sont
plus optimales, car leurs effets sont déjà escomptés, et donc naturellement
moins efficaces, dans un monde où pratiquement tout est anticipation et
extrapolation. Que ces mêmes opposants farouches aux QE et à l'activisme des
banques centrales plaident alors pour une politique budgétaire et fiscale
appropriée. Ou alors que cette dernière ne soit à tout le moins pas retournée
contre l'économie par austérité interposée...
Que la macro économie récupère son instrument fiscal lui
ayant été confisqué par les fétichistes des déficits! Car, en période où les
taux d'intérêts sont au zéro absolu comme ils le sont aujourd'hui, seuls des
stimuli fiscaux et budgétaires sont susceptibles de ressusciter les
fondamentaux de notre économie. Quant aux fameux critères et règles budgétaires
dont l'écrasante majorité des européens est persuadée qu'ils se doivent être
respectés. Quant à la signature de la France, ou de l'Italie, ou de l'Espagne
apposée au bas d'une page d'un Traité qu'il faut honorer. Comme les lois qui
font la promotion de la récession et de la misère sont de mauvaises lois, elles
doivent être à l'évidence modifiées, car il arrive aussi aux faiseurs de lois
de se tromper.
Michel Santi est
directeur financier et directeur des marchés financiers chez Cristal Capital S.A. à Genève. Il a
conseillé plusieurs banques centrales, après avoir été trader sur les marchés
financiers. Il est l'auteur de : "Splendeurs et
misères du libéralisme", "Capitalism
without conscience" et "L'Europe,
chroniques d'un fiasco économique et politique".
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