Wolfgang Münchau, rédacteur en chef adjoint du Financial
Times, n’est pas un suppôt de la gauche radicale. Son dernier éditorial, dans
lequel il affirme que celle-ci a raison à propos de la dette de l’Europe, n’en
est que plus significatif.
Éditorialiste du Financial Times en matière
d’économie européenne, Wolfgang Münchau est peu suspect de complaisance envers
une gauche radicale européenne qu’il qualifie volontiers de « dure ». Dans sa
contribution du lundi 24 novembre, reproduite ci-dessous, il estime
pourtant qu’elle seule prône les politiques économiques qui s’imposent.
(traduction Bernard Marx)
Vous seriez sans doute surpris de constater que vous n’avez
pas beaucoup de choix. En Allemagne, le seul qui se rapproche d’un tel
programme est Die Linke, les anciens communistes. En Grèce, ce serait
Syriza ; et en Espagne, Podemos, qui est sorti de nulle part et est
maintenant en tête dans les sondages d’opinion. Vous pouvez ne pas vous
considérer comme un partisan de la gauche radicale. Mais si vous viviez dans la
zone euro et que vous étiez favorable à cette politique, ce serait votre seul
choix possible.
« L’establishment espagnol craint que le programme de
Podemos transforme le pays en une version européenne du Venezuela »
Qu’en est-il des partis de centre-gauche, les
sociaux-démocrates et socialistes ? Ne soutiennent-ils pas un tel
programme ? Cela leur arrive lorsqu’ils sont dans l’opposition. Mais une
fois au pouvoir, ils ressentent le besoin de devenir respectables, à un point
tel qu’ils se découvrent des gènes du côté de la politique de l’offre.
Rappelez-vous que François Hollande, le président de la France, a justifié le
changement de politique de son gouvernement en expliquant que l’offre crée la
demande.
Parmi les partis radicaux qui ont émergé récemment, celui
qu’il faut regarder avec le plus d’attention est Podemos. Il est encore jeune,
avec un programme en cours d’élaboration. De ce que j’ai lu jusqu’à présent, il
peut être celui qui paraît le plus en capacité d’offrir une approche cohérente
de la gestion économique de l’après-crise.
Dans une récente interview, Nacho Alvarez, l’un des
responsables de la politique économique de ce parti a présenté son programme
avec une clarté rafraîchissante. Ce professeur d’économie de trente-sept ans a
expliqué que le fardeau de la dette espagnole (à la fois privée et publique),
n’est pas supportable et qu’il doit être réduit. Cela pourrait se faire par la
combinaison d’une renégociation des taux d’intérêt, de délais de paiement, de rééchelonnement
et d’annulations partielles. Il a également déclaré que l’objectif de Podemos
n’était pas de quitter la zone euro – mais inversement qu’il n’était pas d’y
appartenir à tout prix. L’objectif est le bien-être économique du pays.
Vu de l’extérieur, cela semble une position équilibrée. Mais
pas tant que cela en Espagne. L’establishment craint que le programme de
Podemos transforme le pays en une version européenne du Venezuela. Mais
affirmer que si la dette n’est pas soutenable, elle doit être restructurée ;
ou que si l’euro devait apporter des décennies de souffrance, il serait
parfaitement légitime de s‘interroger sur les institutions et les politiques de
la zone euro, ne devrait pas porter à controverse.
« Les partis de centre-gauche et centre-droit font
dériver l’Europe vers l’équivalent économique d’un hiver nucléaire »
La position de Podemos part simplement de la réalité de la
situation de la zone euro à la fin de 2014. Il est logiquement incompatible
pour la monnaie unique d’entrer dans une stagnation de longue durée et de ne
pas restructurer sa dette. Puisque rien n’est fait pour éviter celle-là, la
probabilité que celle-ci intervienne s’approche de 100%.
Pourtant, pour le moment, les gouvernements européens
continuent à jouer à "durer et faire semblant". On voit en Grèce où
conduit une telle stratégie à courte vue. Après six années de dépression
économique, le gouvernement se trouve dans une crise politique aiguë. Syriza
est en tête dans les sondages, et a de bonnes chances de prendre le pouvoir
lors des prochaines élections générales, peut-être en 2015.
L’Espagne n’en est pas encore à ce stade. Podemos pourraient
priver les plus grands partis – le Parti populaire du premier ministre Mariano
Rajoy et le parti d’opposition socialiste – de la majorité absolue lors des
élections de l’année prochaine. Cela pourrait les forcer à réaliser une grande
coalition de style allemand – qui ferait de Podemos le principal parti
d’opposition.
La situation en Italie est différente, mais elle n’est pas
moins grave. Si le premier ministre Matteo Renzi ne parvient pas à générer une
reprise économique dans ses trois années restantes de son mandat, le mouvement
d’opposition Cinq étoiles serait en pole position pour former le prochain
gouvernement. Contrairement à Podemos, ce n’est pas un parti vraiment radical,
et il est un ardent défenseur de la sortie de l’euro. Comme le sont aussi le
Front national en France et Alternative für Deutschland en Allemagne.
Ce que Podemos doit encore faire est d’offrir une vision
cohérente de la vie après une restructuration de la dette. Ce serait une bonne
idée que ce parti s’organise au niveau de la zone euro au-delà de son alliance
avec Syriza au Parlement européen, parce que c’est à ce niveau que les
décisions politiques pertinentes sont prises. Une résolution de la dette pour
l’Espagne est certes nécessaire, mais cela ne peut être que le début d’un
changement plus large de politique.
La tragédie actuelle de la zone euro est l’esprit de
résignation par lequel les partis de l’establishment du centre-gauche et du
centre-droit font dériver l’Europe vers l’équivalent économique d’un hiver
nucléaire. L’une de ses dimensions particulières est que les partis de la
gauche dure sont les seuls qui soutiennent des politiques raisonnables tels que
la restructuration de la dette. La montée de Podemos montre qu’il existe une
demande de politique alternative. À moins que les partis établis changent leur
position, ils laisseront la voie grande ouverte à Podemos et Syriza.
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