Dimanche : « Yes week-end ! »
CHRISTIAN
ECKERT, JEAN-MARC
AYRAULT, GÉRARD
CHARASSE, NOËL MAMÈRE ET ROLAND MUZEAU 11
DÉCEMBRE 2008
Déplafonnement des heures supplémentaires, fin des RTT et
des jours fériés, disparition du repos compensateur, possibilité de travailler
jusqu’à 70 ans… Depuis deux ans, la liste des reculs sociaux,
présentés comme des avancées du modernisme, ne cesse de croître. Mais elle
pourrait encore s’allonger avec la fin annoncée du repos dominical des
salariés. Plus de deux siècles de luttes sociales sont ainsi effacés en
quelques traits de plume.
Loin de la prudence demandée à deux reprises par le Conseil économique et social (CES) sur ce sujet en 2007, le gouvernement matraque une nouvelle fois le code du travail, officiellement au nom de la croissance contre la crise. En réalité, depuis des années la majorité souhaite supprimer le repos dominical. Cette proposition de loi révèle la vision mercantile inquiétante de la droite. Il s’agit d’une triple erreur : économique, politique et sociétale.
Une erreur économique tout d’abord. L’augmentation attendue
de 30 % du chiffre d’affaires des commerces est mensongère. Elle repose sur
quelques cas d’entreprises hors-la-loi qui ouvrent le dimanche, avec la
complicité et les encouragements du gouvernement. Un comble en matière de
civisme ! Mais qui peut croire qu’une ouverture généralisée des commerces
conduirait à une augmentation globale du chiffre d’affaires du commerce
français ?
Les Français ne dépenseront pas le dimanche l’argent qui
leur manque la semaine. Au mieux, les achats dominicaux se substitueront aux
achats de la semaine, sans gain pour l’économie comme le montre le Centre de
recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) dans un
rapport commandé par Bercy et publié en novembre 2008.
Loin des créations d’emplois annoncées, c’est plutôt une
destruction d’emplois qui nous attend, et particulièrement ceux du commerce de
proximité. L’ensemble des organisations patronales de l’artisanat et du
commerce de proximité l’a compris. Il en va de la survie de leurs entreprises.
A chiffre d’affaires égal, les artisans et les commerçants de proximité
emploient trois fois plus de personnel que la grande distribution.
Autre souci pour le gouvernement : les études économiques
montrent que l’ouverture dominicale augmente les prix. Ouvrir un dimanche coûte
trois fois plus cher qu’ouvrir un jour de semaine : charges salariales, frais
de communication, charges de fournisseurs augmentées par les prestations
dominicales. L’ouverture des commerces le dimanche entraînera donc un surcoût
des prix chiffré à 5 % minimum, même pour ceux qui achètent en semaine.
Une erreur politique ensuite. Le gouvernement décrète que
les Français veulent cette réforme. Ils attendraient l’ouverture dominicale.
C’est faux. Dans les sondages, les Français expriment des avis très partagés.
Parfois favorables en tant que consommateurs, ils sont bien plus réservés en
tant que salariés…Manifestement, l’apport du travail dominical est contesté par
ceux qui le subissent. Les pauvres devront travailler toujours plus pour vivre,
tandis que les autres pourront choisir de jouir de leur temps libre. Mettre en
avant la liberté et le volontariat du personnel traduit une réelle
méconnaissance de l’inégalité de la relation employeur salarié, accrue en cette
période de crise et de hausse du chômage. Il faut le rappeler : le contrat
de travail est un contrat de subordination. Le salarié ne s’embauche pas, ne se
licencie pas, ne se distribue pas des primes et ne s’accorde pas des jours de
RTT. La majorité des salariés de la grande distribution est composée de mères
de famille, employées à temps partiel pour un salaire net mensuel de
750 euros. Dans ces conditions, a-t-on la liberté de dire non pour venir
travailler le dimanche ? Si le gouvernement veut augmenter le pouvoir d’achat
de ses concitoyens, c’est par la revalorisation des salaires qu’il devra le
faire, et non par des primes aléatoires !
Mais ce texte ne se heurte pas seulement à l’ensemble de la
gauche, aux organisations syndicales, aux associations familiales et aux
responsables des cultes. Il trouve aussi des opposants dans la majorité,
et non des moindres. L’actuelle ministre de l’Economie, Christine Lagarde,
avait elle-même émis des réserves à ce sujet, signalant qu’elle trouverait «dommage
que le dimanche devienne un jour comme les autres». Cette opposition
massive vient de la prise de conscience que cette réforme est aussi et enfin,
une erreur sociétale. La loi de 1906 a fait société. Elle a permis à la
France de développer un modèle envié de qualité de vie. Nicolas Sarkozy a
décidé de la détruire avec sa «politique de civilisation». Une
extension de l’ouverture dominicale des commerces entraînerait des
modifications substantielles dans l’organisation du fonctionnement de la
société. Nombre d’autres professions et notamment les services publics, les
services à la personne (ouverture de crèches pour garder les enfants…), les
services de logistique, de technique ou de maintenance seront touchés.
L’ensemble des corps de métiers serait touché et c’est toute l’organisation de
la société qui serait à revoir. Demain, le dimanche sera un jour de travail
banal. Pourquoi le payer plus alors ? Au lendemain du Grenelle de
l’environnement, c’est aussi un recul formidable auquel nous assistons. Les
grandes surfaces sont parmi les activités les plus énergivores, les plus
polluantes : éclairages puissants entièrement artificiels, chauffages ou
climatisations de volumes immenses, vastes rayons de réfrigération ouverts ou
souvent manipulés. Il n’est fait aucune étude sur l’impact environnemental
de la loi. Cette conception de la vie est une véritable menace pour la sphère
familiale, amicale, culturelle, sportive, spirituelle ou associative.
Nous refusons que la civilisation du supermarché remplace la
civilisation du loisir. La citoyenneté ne se résume pas à l’acte de
consommation. Quelle vie privée, quelle vie de famille sans jour de repos
hebdomadaire commun, alors que justement nos sociétés souffrent déjà d’une
déstructuration des liens sociaux ?
Au «travailler plus, pour gagner plus» qui a
montré son injustice depuis deux ans, les députés de toute la gauche
(socialistes, radicaux de gauche, communistes et verts) opposent le «travailler
mieux, pour gagner mieux» du prix Nobel de l’économie Joseph Stiglitz.
Nous défendrons avec la plus grande énergie notre conception
de la société et de la vie, lors du débat au Parlement.
Jean-Marc Ayrault et Christian Eckert Parti socialiste,
Gérard Charasse Radicaux de gauche, Noël Mamère les Verts et Roland Muzeau
communistes et républicains.
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