Jean-Yves Paillé | 21/11/2014 |
Fin de l'accumulation du capital, automatisation,
réchauffement climatique, pollution... Dans le livre “Le capitalisme a-t-il un
avenir ?”, un collectif réunissant un sociologue, un historien et un économiste
voit dans la conjoncture actuelle certaines tendances qui pourraient mener à la
fin de l’économie de marché.
Remettre au goût du jour la théorie de Marx pour prévoir un
effondrement inéluctable du capitalisme. Les universitaires Immanuel
Wallerstein, Randall Collins et dans une moindre mesure, Craig Calhoun, s'y
sont attelés dans l'ouvrage "Le capitalisme a-t-il un avenir ?". En
s'appuyant sur les sciences sociales et en analysant les ressorts de l'histoire
économique du XXe siècle, ces trois Américains considèrent que les limites de
ce "système-monde" seront atteintes dans quelques décennies. Un
déclin qui serait "accéléré et multidimensionnel". Revue de
détails des arguments de chacun.
Un capital qui ne s'accumulera plus
Immanuel Wallerstein, historien, sociologue économiste à
l'Université de Yale, n'aime pas les circonlocutions: "Impossible
d'imaginer que le capitalisme va poursuivre son chemin. J'annonce sa mort
prochaine [...] dans une quarantaine d'années." Selon le chercheur,
aucun système historique n'est éternel. La poursuite incessante de l'accumulation
du capital, essence du système capitaliste, est au point mort. "Le
cycle d'essor passé, on se dirige vers la régression", schématise-t-il.
Selon ce chercheur, la rentabilité des quasi-monopoles
nécessaires pour accumuler un volume suffisant de capitaux pousse d'autres
acteurs à intégrer le marché. Et comme ces monopoles proposent des conditions
plus favorables aux travailleurs (notamment pour éviter les arrêts de travail),
ils augmentent le coût de la main-d'œuvre ce qui réduit leurs profits. Ces quasi-monopoles
sont ainsi sapés d'une "manière ou d'une autre" par les
concurrents. S'ensuit une une guerre des prix qui, si elle fait le bonheur des
consommateurs, est une hantise pour le producteur qui finit par vendre à perte.
Des délocalisations industrielles pour compenser cette chute
des profits ? Elles ne sont plus assez rentables aujourd'hui,
rétorque Immanuel Wallerstein. Et la financiarisation ne constitue pas une
solution miracle selon lui, car "elle n'augmente pas le capital mais
le transfère d'un "richard" (en français dans le texte) à un autre, ironise-t-il.
Même les capitalistes n'en voudront plus."
L'automatisation et l'informatisation, dévoreurs d'emplois
La théorie du robot destructeur trouve grâce aux yeux de
Randall Collins. Ce professeur de sociologie à l'université de Pennsylvanie en
est sûr : la machinerie et l'automatisation causeront la perte de l'économie de
marché. "On l'attendait déjà au XIXe siècle, mais la création
d'emplois dans le tertiaire a compensé ceux détruits dans l'industrie." Un
sursis. Aujourd'hui, l'informatisation élimine la classe moyenne plus
rapidement que la mécanisation détruit les emplois dans l'industrie.
L'informatisation affecte notamment le travail administratif "et
détruit ainsi les emplois des classes moyennes". Cela va prendre 40
ans, sachant que "le processus de.destruction a démarré dès les
années 1990", selon le sociologue qui prophétise : "Le
capitalisme s'effondrera vers 2045."
Randall Collins s'attache en outre à démonter plusieurs
contre-arguments. La théorie de la "destruction créatrice" de
Schumpeter ? Inapplicable pour l'informatisation, parce qu'elle ne sera pas
suivie de la création de nouveaux emplois. Le développement dans des pays moins
touchés par l'automatisation? Toujours niet, selon Randall Collins qui souligne "la
présence d'un marché des classes moyennes presque unifié par les technologies
de communication". Et d'ajouter que la mondialisation a déjà commencé à
décimer les emplois de cette classe moyenne : l'exemple des cols blancs indiens
travaillant dans l'Internet, en tête. L'État ne pourra rien y faire non plus,
puisqu'il crée des emplois administratifs avant tout.
Les catastrophes environnementales : le coup de grâce?
Autre phénomène, les changements climatiques qui
provoqueront assurément la mutation du système, d'après Craig Calhoun,
sociologue et directeur de la prestigieuse London School
of Economics and Political Science. Pour lui, pollution et
destruction de l'environnement auront un coût énorme pour les futures générations.
En somme, l'accumulation du capital est menacée par la destruction de son "environnement
naturel". Elle dépend des matières premières, des moyens de
subsistance de la population et de la capacité de celle-ci à supporter "les
coûts de dégradation de l'environnement" qui "échappent au
marché et pèsent sur la société". Les ressources sont limitées alors que
le capitalisme repose sur le principe de l'expansion perpétuelle.
Et les solutions enclenchées n'y feront rien. L'innovation a
accru la durée de vie des nouveaux matériaux, mais nécessite une énergie
alimentée par des ressources rares."En parallèle, l'environnement sert de
monnaie d'échange", juge le sociologue, citant l'exemple du commerce du
carbone. "Tous ceux qui ne polluent pas au-delà d'une certaine limite
vendent leurs quotas aux pollueurs qui peuvent polluer davantage." En
outre, l'offre de technologies vertes ne fournit pas d'énergie proportionnelle
à la demande. Pour Craig Calhoun, l'extraction du pétrole de gaz de schiste est
une solution partielle et temporaire au mouvement d'accumulation de capital...
puisque cela provoquera de nouvelles crises écologiques...
Pour Randall Collins, les catastrophes climatiques
achèveront à coup sûr le capitalisme. Même si ce dernier a survécu en 2100,
l'auteur prévoit cette année-là les effets les plus dévastateurs pour les
habitats humains: inondations et déplacements de populations. Un flux de
réfugiés synonyme de concurrence et de main-d'œuvre bon marché qui"diminuera
les opportunités de la majorité des travailleurs" et ne fera
qu'"aggraver la crise économique". Et les "emplois
verts", créés par les "industries vertes", ne suffiront pas,
prévoit-il, car ces dernières risquent elles-même d'emprunter la voie de
l'informatisation et de l'automatisation.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos réactions nous intéressent…