Grosse surprise sur le plateau d'« En direct de
Mediapart », mercredi. Lors de ce débat entre Cambadélis (PS), Cosse
(EELV) et Mélenchon (Front de gauche), le premier secrétaire socialiste a pris
acte d'« une défaite majeure » et appelé toutes les forces de
gauche à se retrouver pour « reconstruire le tronc commun de la
gauche et des écologistes ». Simple habileté tactique ?
Cette démarche nouvelle, au moment où partis et clubs
nouveaux se créent à gauche (Nouvelle Donne, par exemple), se
fonde sur un constat largement partagé par les trois dirigeants et qui ne
concerne pas seulement le brutal « désamour » (Cambadélis),
le« discrédit » (Mélenchon) provoqué par la présidence Hollande.
La crise est plus profonde encore, elle ne concerne pas que le PS mais
l'ensemble des forces de gauche.
« Le PS a subi une défaite majeure, les fondations
mêmes du parti ont été ébranlées, ces fondations du socialisme municipal, mais
dans l'ensemble de la gauche il y a aussi divisions et désarroi. Si nous ne
parvenons pas à nous écouter et à échanger, alors nous allons entrer dans une
période extrêmement difficile », estime Jean-Christophe Cambadélis. « Je
partage beaucoup d'éléments de ce diagnostic, oui, toute la gauche recule
ensemble, j'en suis parfaitement conscient », répond Jean-Luc Mélenchon.
Même analyse d'Emmanuelle Cosse :« Quand l'électorat de gauche, et
particulièrement socialiste, ne vote pas, tout le monde en souffre. »
Quant aux raisons de la crise profonde du PS, mais aussi de
la social-démocratie européenne, ou encore des gauches critiques, les trois
dirigeants n'affichent pas de divergences radicales. Cambadélis souligne ce qui
est, pour lui, la « défaite majeure : la question sociale, celle
de l'égalité républicaine, a été battue par la question de l'identité. C'est
pour cela que le FN progresse, qu'il est bien là, qu'il est en dynamique et
qu'une lutte à mort s'engage contre lui et durera jusqu'à la
présidentielle ».
Jean-Luc Mélenchon veut voir plus grand et parle, lui,« d'une
crise de civilisation européenne », civilisation ravagée par les dogmes du
libéralisme. « Il nous faut dessiner une ligne d'horizon, d'espoir,
de futur. L'ancien logiciel de gauche est mort, celui du communisme d’État,
n'en parlons pas, mais aussi le logiciel social-démocrate. Les écologistes ont
apporté quelque chose qui est la clé de sortie vers le haut. Il nous faut
construire l'écosocialisme basé sur la transition écologique »,
assure-t-il.
Débattre, oui, mais de quoi et comment ? Emmanuelle
Cosse est venue rappeler quelques réalités dérangeantes à un Jean-Christophe Cambadélis
qui, en plus de deux heures trente de débats, n'aura pas cité le nom de Manuel
Valls, et évoqué du bout des lèvres François Hollande – et en rappelant
que lui avait soutenu Martine Aubry lors de la primaire socialiste. « Cela
fait vingt ans que je dis que le logiciel de la gauche est mort. Débattre...
mais nous discutons beaucoup ensemble ; nous avons préparé 2012 avec le
PS, nous avons signé un accord : le problème est qu'une fois le PS parvenu
au pouvoir, tout cela est effacé ! », a insisté la secrétaire
nationale d'EELV.
Les pieds dans le béton
Que pouvait bien répondre Cambadélis, lesté par le bilan du
pouvoir et les pieds comme coulés dans le béton ? Le premier secrétaire du
PS a tenté de distinguer « le temps court », celui de l'exercice
du pouvoir et de ce que pourraient être les trois prochaines années de
présidence Hollande, d'un « temps long », principal défi posé à
la gauche. Mais si « enjamber » ainsi le quinquennat Hollande lui a
permis de prendre toutes les distances possibles par rapport aux politiques
menées aujourd'hui, cela ne lui a pas permis d'échapper aux quelques questions
clés posées par ses interlocuteurs.
Emmanuelle Cosse l'a redit : « On ne souffre
pas d'un manque de dialogue, d'un manque d'idées, le problème est comment mettre
en œuvre les politiques décidées une fois parvenus au pouvoir ; et
pourquoi ne l'avons-nous pas fait. » « On peut bien sûr débattre à un
niveau idéologique, a renchéri Jean-Luc Mélenchon, mais il faut ensuite
venir sur des choses concrètes et parler sérieusement programme. »
Et c'est là que les difficultés commencent, multiples et
bien souvent irréductibles. Si le Front de gauche et le mouvement écologiste
paraissent en phase sur quelques questions centrales (redistribution,
transition écologiste, investissements publics, développement soutenable plutôt
que course à la croissance), le dirigeant socialiste n'a pu que prendre acte de
l'ampleur des désaccords et assumer un « réformisme » revendiqué
plutôt qu'une « tension » ou une« rupture » avec
le capitalisme. Le choix, tel que résumé par Mélenchon, étant entre « une
politique de l'offre ou une activité écologiquement soutenable », les
fractures entre ces gauches sont apparues béantes.
« Je mets de côté la pratique gouvernementale, mais le
parti socialiste a lui aussi intégré l'écologie », a tenté Cambadélis sans
pouvoir tenir très longtemps la position... Idem sur la défense du pacte de
responsabilité et des 50 milliards d'économies dans les dépenses publiques qui
ont provoqué l'abstention de 41 députés socialistes. Le premier secrétaire a
tenté une audacieuse explication : la désignation de Hollande lors de la
primaire socialiste avait comme « logique » cette
politique, puisque le candidat n'avait pas encore prononcé le discours du
Bourget et s'était en revanche déclaré partisan d'un retour aux 3 % de
déficit budgétaire... Le savaient-ils, ces premiers électeurs de Hollande,
qu'ils voteraient pour le plan aujourd'hui défendu par Valls ? Oui, veut
faire croire Cambadélis.
Autres désaccords majeurs : les politiques sociales et
la question de la redistribution.« Augmenter le SMIC, c'est
écologique ! », a tonné Mélenchon dans une de ces formules qu'il
affectionne. Vu par Cambadélis, cela donne ceci : « Le cœur de
notre désaccord avec ceux que j'appelle les néocommunistes, parce que je ne
peux pas les appeler mélenchonistes, c'est cela : on ne peut pas
redistribuer ce que l'on n'a pas encore produit ! » Dialogue de
sourds inévitable : ni Mélenchon, ni Cosse – avec des arguments
différents – ne peuvent se ranger à l'argumentaire ressassé depuis des
mois par le pouvoir.
Et puis, bien d'autres questions divisent ces gauches sans
que l'on discerne comment réduire les fractures. L'Europe, bien sûr, avec un fédéralisme
revendiqué par Emmanuelle Cosse et fortement rejeté par Jean-Luc Mélenchon,
pour qui « l'Europe ne doit pas être changée ou réorientée mais
totalement refondée ». L'euro ensuite, comme le rôle et les pouvoirs de la
Banque centrale européenne. Le projet de traité transatlantique de
libre-échange Europe/États-Unis enfin, qui voit à nouveau EELV et Front de
gauche s'opposer ensemble au PS.
Les tentatives de Cambadélis d'expliquer qu'« à ce
stade », le PS était contre, quand le candidat des socialistes européens
Martin Schulz se dit pour – moyennant quelques, sont apparues comme
désespérées.
Au vu de ces désaccords, toute reprise de dialogue entre les
forces de gauche est-elle vouée à l'échec ? Les résultats des européennes,
puis la capacité ou non du pouvoir socialiste à sortir de l'impopularité
détermineront largement les futurs possibles de tels échanges. Mais au moins
Cambadélis pourra-t-il dire qu'il aura pris date en lançant cet appel. Le PS ne
peut prendre le risque de voir se construire des convergences – et plus si
affinités – entre les autres forces de gauche qui viendraient l'isoler, le
marginaliser. Et, pourquoi pas ?, le doubler lors de la prochaine
présidentielle.
« Martin Schulz se dit pour – moyennant quelques, »
RépondreSupprimerMoyennant quelques quoi ?