jeudi 14 août 2014

Politique économique : le changement, ça doit être maintenant

Par Guillaume Duval  | 14.08.2014 |

L'Europe, menacée par la déflation, retombe dans la stagnation. Il faut d'urgence arrêter la course au moins disant social et l'austérité budgétaire excessive qui plombent la demande intérieure en France et en Europe. Et c'est possible. Explication en six points.

Au second trimestre 2014, l’Italie est entrée de nouveau en récession et l’activité a stagné en France mais elle a aussi reculé en Allemagne : les trois principales économies de la zone euro sont à l’arrêt. Et toute la zone est menacée désormais par la déflation et une stagnation prolongée à l’instar du Japon des années 1990. Six ans après la faillite de Lehman Brothers, Il est plus que temps de prendre (enfin) acte de l’échec complet des politiques anticrises engagées en Europe : les politiques budgétaires trop restrictives des Etats et leur volonté de faire baisser partout le coût du travail sont la cause principale des difficultés actuelles. Depuis 2012, François Hollande a annoncé à maintes reprises sa volonté de réorienter les politiques européennes vers la croissance, sans passer à l’acte pour l’instant. S’il ne se décide pas à engager enfin cette bataille, c’est la démocratie et l’intégration européenne qui risquent d’être mises à bas.

1 • La divergence Etats-Unis-Europe montre l’ampleur de nos erreurs

Il faut d’abord prendre toute la mesure de l’absurdité de la situation actuelle. Cette crise a été déclenchée par une dérégulation financière particulièrement hasardeuse et les déséquilibres macroéconomiques colossaux accumulés outre Atlantique. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont certes très loin d’être tirés d’affaire mais leur économie est repartie : leur PIB devrait excéder cette année de près de 10 % celui de 2008 et le nombre d’emplois proposés aux Américains s’est accru de 1,2 millions depuis lors. A contrario, le PIB de la zone euro n’a toujours pas rattrapé son niveau d’avant-crise et nous avons perdu 4,8 millions d’emplois en six ans. C’est bien simple : en 2008, la zone euro comptait 3,6 millions d’emplois de plus que les Etats Unis, elle en a désormais 2,4 millions de moins. Il n’existe pas d’autre explication à cette divergence de trajectoire entre les Etats Unis et la zone euro que l’obstination dans l’erreur des Européens. 


2 • La politique monétaire est déjà très expansive et cela pose aussi des problèmes

Que faire face à ce constat d’échec que (presque) plus personne ne conteste ? François Hollande demandait, le 4 août dernier dans Le Monde, à Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), d’injecter davantage d’argent dans le circuit économique. La BCE a pourtant déjà ramené ses taux d’intérêt à 0,15% seulement. Elle a imposé également aux banques une pénalité de 0,1 % sur les dépôts qu’elles laissent chez elle, afin de les inciter à prêter davantage. Elle leur a aussi fait crédit déjà de mille milliards d’euros à des taux d’intérêt défiant toute concurrence. Contrairement à ce que de nombreux européens croient, la BCE a en réalité fait tourner à peu près autant la planche à billets que la réserve fédérale américaine. Certes, elle pourrait faire davantage encore et elle devrait d’ailleurs injecter de nouveau 400 milliards d’euros dans l’économie à l’automne. Mais, dans la durée, une telle politique est difficilement défendable : elle consiste en effet à subventionner grassement le secteur financier sur fonds publics… De plus une telle politique n’est pas très efficace ni sans risque sur le plan économique : dans la mesure où ménages et entreprises restent asphyxiés par une austérité excessive, ils ne font usage que de façon très limitée de cet argent qui coule à flot. Et cette politique monétaire laxiste a surtout pour effet au final de gonfler à nouveau des bulles spéculatives.

3 • Il est difficile de prétendre que l’Euro est surévalué avec 200 milliards d’excédents extérieurs

François Hollande souhaitait également faire baisser le taux de change de l’euro. L’euro cher est certes un facteur majeur de déflation puisque les prix des produits importés tendent à diminuer. Mais la zone euro dégage plus de 200 milliards d’euros d’excédents extérieurs par an, soit 2 % de son PIB : difficile dans ces conditions de considérer que la monnaie unique serait surévaluée puisque la baisse de l’euro aurait pour conséquence d’augmenter encore cet excédent déjà considérable. Et nos partenaires extérieurs auraient beau jeu de dénoncer, et de combattre, une politique prédatrice de la zone euro vis-à-vis du reste du monde.


4 • Les politiques budgétaires trop restrictives sont très contreproductives

Le fond du problème est ailleurs et de ce fait sa solution aussi. S’il y a risque de déflation en Europe c’est d’abord parce que tous les gouvernements européens, et notamment le gouvernement français, mènent eux-mêmes des politiques déflationnistes. Ils ont tous adoptés en effet des politiques budgétaires très restrictives malgré la faiblesse de l’activité. Celles-ci ont non seulement pour conséquence de freiner davantage encore cette activité mais aussi, de ce fait, d’empêcher en réalité le désendettement des Etats : au premier trimestre 2014 un nouveau record de dettes publiques a été battu dans la zone euro et cette dette devrait encore s’accroître, au bas mot, de 320 milliards d’euros cette année. Tandis qu’en France le déficit de l’Etat était, fin juin, de 59,4 milliards d’euros contre 59,3 milliards un an plutôt malgré la hausse des taux de prélèvements et une baisse sensible des dépenses. Quels résultats extraordinaires…



5 • La course à la baisse du coût du travail pousse l’Europe vers la déflation

Mais ce qui nous mène surtout à la déflation, ce sont les politiques en matière de coût du travail : tous les gouvernements veulent le faire baisser. En théorie pour améliorer la compétitivité de leur économie nationale, mais comme tous leurs voisins font de même, les bénéfices sont en réalité très limités sur ce plan. En revanche l’effet dépressif sur la demande intérieure est, lui, massif puisque le coût du travail c’est aussi le revenu des travailleurs et celui de leur famille via la protection sociale : du coup, les ménages ne consomment et n’investissent plus et par voie de conséquence, les entreprises non plus malgré des profits qui remontent et des taux d’intérêt très bas. Fin 2013, la demande intérieure affichait ainsi un déficit de 370 milliards dans la zone euro par rapport à 2008, une baisse de 4,5 %. Jusqu’ici, la France avait plutôt résisté à s’engager dans cette spirale du moins disant social, mais avec le pacte de responsabilité ce n’est plus le cas : celui-ci est en effet très explicitement et massivement un pacte de déflation. 


6 • Le moment est plus favorable qu’on ne le pense pour tourner le dos à ces politiques suicidaires

Pour éviter une stagnation à la japonaise, ce sont donc avant tout ces politiques budgétaires et les politiques de baisse du coût du travail qu’il faut infléchir d’urgence. Aucune chance compte tenu de l’attitude psychorigide de nos voisins allemands sur ces questions ? Pas sûr. Les Allemands eux-mêmes, dont les exportations hors Europe sont menacées par la crise ukrainienne et le ralentissement chinois, commencent (enfin) à prendre la mesure de la gravité de la situation dans la zone euro. Sur un plan économique mais aussi sur un plan politique avec notamment la montée du Front national en France qui les inquiète particulièrement (à juste titre). La preuve en a été apportée le 30 Juillet dernier par Jens Weidmann, le faucon de l’austérité qui préside la Bundesbank : il a même plaidé ce jour-là pour des hausses de salaire plus importantes en Allemagne ! De plus, en Italie, l’arrivée aux affaires de Matteo Renzi, offre une opportunité nouvelle d’alliance avec la troisième économie de la zone euro pour bousculer la donne européenne. Depuis 2012, François Hollande n’a certes montré aucune intention de prendre des initiatives un tant soit peu ambitieuses au niveau européen, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. L’avenir de la France et de l’Europe en dépend en tout cas. 


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