Paul Krugman | mardi 5 août 2014
Bien que les ennemis de la réforme de santé refusent de
l’admettre, l’Affordable Care Act ressemble de plus en plus à un grand succès.
Les coûts sont en-deçà des prévisions, alors que le nombre d’américains non
assurés baisse rapidement, notamment dans les états qui n’ont pas tenté de
saboter le programme.
L’Obamacare fonctionne.
Mais qu’en est-il de l’autre grand projet de
l’administration, la réforme financière ? Le projet de réforme Dodd-Frank a
reçu, si c’est possible, des retours encore pires que ceux de l’Obamacare,
décrit par la droite comme anti-entreprises et par la gauche comme totalement
inadapté. Et tout comme l’Obamacare, ce n’est certainement pas la réforme que
l’on aurait créée en l’absence de contraintes politiques.
Mais tout comme l’Obamacare, la réforme financière marche
beaucoup mieux que ce qu’imaginent tous ceux qui écoutent ce que disent les
média. Parlons notamment de deux aspects importants de la loi Dodd-Frank : la
création d’une agence de protection des consommateurs contre des arguments de
vente financiers trompeurs ou frauduleux, et des efforts pour en finir avec le
"trop grand pour s’effondrer".
La décision de créer un Consumer Financial Protection Bureau
ne devrait même pas être sujet à controverse, étant donné ce qui s’est passé
pendant le boom immobilier. Ainsi que le demandait Edward M. Gramlich, un
responsable de la Réserve Fédérale qui avait - tel un prophète - mis en garde
contre les prêts aux subprimes " Pourquoi les prêts les plus risqués
sont-ils vendus aux emprunteurs les moins sophistiqués ?", puis il
poursuivait "la réponse se trouve dans la question –on a probablement
réussi à faire croire à ces emprunteurs les moins sophistiqués qu’il fallait
choisir ces produits". Une protection supplémentaire était nécessaire.
Bien entendu, ce besoin évident n’empêcha pas la Chambre de
Commerce américaine, les groupes de pression de l’industrie financière et les
groupes conservateurs de se regrouper afin d’empêcher la création du bureau ou
du moins l’empêcher de faire son travail, dépensant ce faisant plus de 1,3
milliards de dollars. Les républicains du Congrès ont agi en bons petits
soldats dans l’intérêt de l’industrie financière, essayant notamment d’empêcher
le Président Barack Obama de nommer un directeur permanent. Et la question
était de savoir si toute cette opposition allait entraver le nouveau bureau et
le rendre inefficace.
Cependant, aujourd’hui tout indique que le bureau fait
effectivement son travail et le fait bien – suffisamment bien pour que les
banques et leurs alliés politiques soient toujours hors d’eux. Un détail récent
: le bureau croule sous les milliards de frais de découverts en excès.
Une meilleure protection des consommateurs indique moins de
mauvais prêts, et donc un risque réduit de crise financière. Mais que se
passe-t-il si une crise survient quand même ?
La réponse, c’est que comme en 2008, le gouvernement va
intervenir pour garder le système financier en état de fonctionnement ;
personne ne veut prendre le risque de revivre la Grande Dépression.
Mais comment sauve-t-on le système bancaire sans récompenser
une mauvaise attitude ? Et en temps de crise notamment, des sauvetages peuvent
donner un avantage injuste aux équipes financières : elles peuvent emprunter à
moindre coût en temps normal, parce que tout le monde sait qu’elles sont
"trop grandes pour tomber" et elles seront renflouées si les choses
se passent mal.
La réponse, c’est que le gouvernement devrait saisir les
institutions qui posent problème lorsqu’il opère un renflouement, afin qu’elles
puissent continuer à fonctionner sans récompenser les actionnaires ou les
détenteurs d’obligation qui n’ont pas besoin d’être sauvés. Pourtant, en 2008
et 2009, l’on ne savait pas clairement si le Département du Trésor avait
l’autorité légale nécessaire pour le faire. Et la loi Dodd-Frank a donc comblé
ce vide en donnant aux régulateurs une Ordinary Liquidation Authority,
également connu comme l’autorité de résolution, de telle façon que lors de la
prochaine crise l’on puisse sauver les banques et autres institutions
"systémiquement importantes" sans renflouer les banquiers.
Bien entendu, les banquiers détestent cette idée ; et les
leaders républicains comme Mitch McConnell ont tenté d’aider leurs amis avec
l’affirmation digne de George Orwell que l’autorité de résolution était en fait
un cadeau fait à Wall Street, une forme d’état providence pour les entreprises,
parce que cela allait simplifier de futurs renflouements.
Mais Wall Street ne s’est pas laissé prendre. Ainsi que
l’indique Mike Konczal du Roosevelt Institute, si le fait d’être étiqueté
important sur un plan systémique signifiait un état providence pour les grandes
entreprises, alors les institutions seraient ravies de l’appellation ; en fait,
ils l’ont combattue bec et ongle. Et une nouvelle étude du Governement
Accountability Office montre que même si de grandes banques ont pu emprunter
pour moins cher que de petites banques avant la réforme financière, cet
avantage a presque totalement disparu. Cela pourrait aller jusqu’à refléter un
calme plus général des marchés, mais l’étude montre néanmoins que la réforme a
au moins fait, en partie, ce qu’elle était censée faire.
La réforme est-elle allée assez loin ? Non. Même si les
banques sont obligées de conserver davantage de capitaux, elles devraient
notamment être obligées d’en conserver bien davantage, puisque c’est une clef
de la stabilité. Mais Wall Street et ses alliés n’hurleraient pas si fort, et
ne dépenseraient pas des sommes astronomiques pour sabrer la loi si elle
n’était pas un pas important dans la bonne direction. En dépit de toutes ses
imperfections, la réforme financière est un vrai succès.
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