Par David Cayla | 20
Décembre 2013 |
Il y a un an, François Hollande annonçait une nouvelle
politique économique : "le socialisme de l'offre". Derrière cette
formule creuse se cache en réalité une stratégie suicidaire pour la France. Car
la politique de l'offre menée dans un contexte européen de croissance
"poussive", n'a aucune chance d'améliorer la situation de l'emploi et
des entreprises.
Le « socialisme de l'offre » c'est la formule
trouvée par François Hollande pour expliquer sa stratégie économique lors de sa
conférence de presse de novembre 2012 : « Il y a toujours eu deux
conceptions, une conception productive – on a même pu parler du socialisme de
l’offre – et une conception plus traditionnelle où on parlait de socialisme de
la demande. Aujourd’hui, nous avons à faire un effort pour que notre offre soit
consolidée, plus compétitive. » La formule est reprise par Pierre
Moscovici qui explique ainsi le retournement stratégique opéré par
gouvernement : « Dans l’opposition, nous avons rejeté toute idée que
la France souffrait d’un problème de compétitivité liée au coût du travail.
C’est l’honneur de ce gouvernement, suite au rapport Gallois, d’avoir laissé de
côté une position partiellement idéologique et très datée, et d’avoir pris la
mesure d’un enjeu national. »1
C'est donc au nom du pragmatisme, de l'efficacité et, en somme, de « l'honneur », que le gouvernement a choisi de tourner le dos aux politiques qu'il préconisait dans l'opposition. Sans remettre en cause la sincérité des propos du ministre, notons qu'il est bien délicat de devoir justifier, auprès des électeurs, un tel écart entre la politique menée au pouvoir et celle qu'on proclamait dans l'opposition. Il n'aura en effet pas fallu plus de six mois pour que la gauche, élue au nom du social et du retour à la retraite à 60 ans, pourfendeuse de la TVA et de la « règle d'or », se transforme en commis d'une politique au service des entreprises.
C'est donc au nom du pragmatisme, de l'efficacité et, en somme, de « l'honneur », que le gouvernement a choisi de tourner le dos aux politiques qu'il préconisait dans l'opposition. Sans remettre en cause la sincérité des propos du ministre, notons qu'il est bien délicat de devoir justifier, auprès des électeurs, un tel écart entre la politique menée au pouvoir et celle qu'on proclamait dans l'opposition. Il n'aura en effet pas fallu plus de six mois pour que la gauche, élue au nom du social et du retour à la retraite à 60 ans, pourfendeuse de la TVA et de la « règle d'or », se transforme en commis d'une politique au service des entreprises.
UNE NOUVELLE POLITIQUE
Depuis novembre 2012, depuis un an, le retournement est
indéniable. Le programme des « 60 propositions » est mis en sourdine
pour laisser place à l'orchestre triomphant de la Nouvelle politique. Toute
l'énergie du gouvernement se concentre sur des mesures de compétitivité. Il y
eut d'abord le CICE(crédit impôt compétitivité emploi), un allègement
d'impôt de 12 à 15 milliards d'euros accordé sans contrepartie aux entreprises
et financé par la hausse de la TVA. Il y eut ensuite la loi sur la
sécurisation de l'emploi qui permet aux entreprises de baisser les
salaires et de modifier le contrat de travail sans avoir à recourir à des
licenciements. Il y eut enfin l'économie des dépenses publiques et
une réforme des retraites qui enterre de fait le départ à taux plein
à 60 ans. Comme le souligne l'économiste Bruno Amable2, le bilan de
cette politique est que les cadeaux aux entreprises sont payés par les ménages
et les salariés. Hausse des impôts, stagnation salariale et accentuation de la
flexibilité du travail constituent les modalités du paiement.
Injuste, cette politique l'est sans conteste. Est-elle au moins nécessaire ou efficace ? L'économie française souffre-t-elle d'un coût du travail trop élevé ? Pour appuyer son analyse, le gouvernement souligne deux chiffres : le déséquilibre de la balance commerciale, en constante dégradation depuis 2002, et la chute, depuis 2007-2008, du taux de marge des entreprises3.
Si ces chiffres sont incontestables, l'interprétation qu'on leur donne mérite débat. La hausse des salaires est-elle responsable de la baisse de compétitivité de l'économie française ? L'affirmer reviendrait à porter au crédit de l'UMP, au pouvoir à cette époque, d'avoir massivement augmenté les salaires. Bien sûr, il n'en est rien. D'après l'INSEE, entre 2002 et 2011, le pouvoir d'achat du salaire net moyen a augmenté de moins de 6 % tandis que le PIB a augmenté de 12 %. Les actifs ont à peine bénéficié de la moitié des gains de productivité qu'ils ont créés par leur travail. On peut tourner le problème dans tous les sens, la baisse de compétitivité des entreprises françaises n'est pas due à une hausse du coût du travail.
Injuste, cette politique l'est sans conteste. Est-elle au moins nécessaire ou efficace ? L'économie française souffre-t-elle d'un coût du travail trop élevé ? Pour appuyer son analyse, le gouvernement souligne deux chiffres : le déséquilibre de la balance commerciale, en constante dégradation depuis 2002, et la chute, depuis 2007-2008, du taux de marge des entreprises3.
Si ces chiffres sont incontestables, l'interprétation qu'on leur donne mérite débat. La hausse des salaires est-elle responsable de la baisse de compétitivité de l'économie française ? L'affirmer reviendrait à porter au crédit de l'UMP, au pouvoir à cette époque, d'avoir massivement augmenté les salaires. Bien sûr, il n'en est rien. D'après l'INSEE, entre 2002 et 2011, le pouvoir d'achat du salaire net moyen a augmenté de moins de 6 % tandis que le PIB a augmenté de 12 %. Les actifs ont à peine bénéficié de la moitié des gains de productivité qu'ils ont créés par leur travail. On peut tourner le problème dans tous les sens, la baisse de compétitivité des entreprises françaises n'est pas due à une hausse du coût du travail.
LES ENTREPRISES VICTIMES DE L'AUSTÉRITÉ
Pour comprendre ce problème il faut s'interroger sur la
chronologie. Que s'est-il passé en 2007-2008 pour que le taux de marge des
entreprises s'effondre ? Une crise du système financier international, la
chute du commerce mondial, une récession sans précédent depuis 1945 dans les
économies développées. C'est d'abord la brutalité avec laquelle la demande
mondiale s'est contractée qui explique la baisse du taux de marge des
entreprises. Il en est résulté une sous-exploitation des capacités productives,
une baisse de la production et une hausse du chômage.
Dans un tel cas de figure, les recettes des entreprises diminuent forcément plus vite que leurs charges, car elles doivent continuer de payer un appareil productif sous-utilisé. Elles attendent une reprise qui ne vient pas. Et pour cause. Après de timides plans de relance engagés ici ou là en 2009, les États européens se sont tous engouffrés dans des politiques de « rétablissement des finances publiques », envoyant leurs populations dans une marche forcée vers l'austérité. Au final, la demande intérieure stagne, prise en ciseau par les hausses d'impôts et les baisses de dépenses publiques.
Dans les pays d'Europe du sud où l'austérité est la plus forte, la demande s'effondre. Pour compenser, les gouvernements, avec le soutien actif de la Troïka, se sont tournés vers une hypothétique demande extérieure, en espérant que les entreprises trouveront à l'étranger les parts de marché qui leur manquent. Cette politique nécessite une stratégie de type néo-mercantiliste : baisse du coût du travail, aides aux entreprises, accentuation de l'austérité. C'est une politique de l'offre classique, qui n'a rien de « socialiste ». Mais un problème se pose : si un pays individuel peut momentanément compenser une faiblesse de sa demande intérieure par une hausse de ses parts de marché à l'étranger, cette stratégie ne peut fonctionner à l'échelle mondiale. Toutes les balances commerciales ne peuvent être en excédent, car les déficits des uns font les excédents des autres. Il en résulte une guerre absurde4 où chacun se bat pour augmenter sa part d'un gâteau que les politiques d'austérité généralisées s'acharnent à faire diminuer.
Dans un tel cas de figure, les recettes des entreprises diminuent forcément plus vite que leurs charges, car elles doivent continuer de payer un appareil productif sous-utilisé. Elles attendent une reprise qui ne vient pas. Et pour cause. Après de timides plans de relance engagés ici ou là en 2009, les États européens se sont tous engouffrés dans des politiques de « rétablissement des finances publiques », envoyant leurs populations dans une marche forcée vers l'austérité. Au final, la demande intérieure stagne, prise en ciseau par les hausses d'impôts et les baisses de dépenses publiques.
Dans les pays d'Europe du sud où l'austérité est la plus forte, la demande s'effondre. Pour compenser, les gouvernements, avec le soutien actif de la Troïka, se sont tournés vers une hypothétique demande extérieure, en espérant que les entreprises trouveront à l'étranger les parts de marché qui leur manquent. Cette politique nécessite une stratégie de type néo-mercantiliste : baisse du coût du travail, aides aux entreprises, accentuation de l'austérité. C'est une politique de l'offre classique, qui n'a rien de « socialiste ». Mais un problème se pose : si un pays individuel peut momentanément compenser une faiblesse de sa demande intérieure par une hausse de ses parts de marché à l'étranger, cette stratégie ne peut fonctionner à l'échelle mondiale. Toutes les balances commerciales ne peuvent être en excédent, car les déficits des uns font les excédents des autres. Il en résulte une guerre absurde4 où chacun se bat pour augmenter sa part d'un gâteau que les politiques d'austérité généralisées s'acharnent à faire diminuer.
Résultat, les marges des entreprises baissent à mesure que la guerre commerciale s'intensifie. Certains pays, comme l'Allemagne, s'en sortent bien. Avec une population vieillissante et peu portée sur la consommation et l'investissement, l'économie allemande gagne plus à l'étranger que ce qu'elle perd en interne. Pour d'autres pays, comme la France, une telle stratégie est suicidaire. Un pays qui possède, avec l'Irlande, le plus haut taux de fécondité de l'Union européenne, a besoin de consommer et d'investir. L'austérité généralisée ne fait qu'affaiblir ses capacités de croissance future tandis que les potentialités extérieures sont clairement moins avantageuses que le gaspillage de ses ressources internes, sous-exploitées.
LA DÉFLATION, UN RETOUR AUX ANNÉES 30
On connaît très bien les effets d'une politique de l'offre
généralisée, où chacun cherche à diminuer ses coûts pour être plus compétitif
que son voisin. La diminution des coûts entraîne la baisse des revenus qui
conduit à la compression de la demande. Aussi, pour ne pas voir leur part de
marché s'effondrer, les entreprises sont contraintes de baisser leurs prix, ce
qui diminue leurs marges. C'est ce qu'on appelle la déflation. On y est. A
force de mener des politiques de compétitivité en Europe du sud et partout
ailleurs, les prix diminuent en Grèce et à Chypre, ils stagnent au Portugal, en
Espagne et en Irlande.
Mais la déflation ne s'arrête pas aux pays sous perfusion de la Troïka. Elle touche l'ensemble de la zone euro. En France, si l'on ne constate pas encore de baisse des prix, on mesure tout de même un dangereux ralentissement de l'inflation depuis près de deux ans.
Or, la déflation est un poison mortel. Elle pousse les consommateurs à reporter leurs achats (dans l'attente d'une baisse des prix) ; elle pénalise les emprunteurs et favorise les rentiers (en raison de la hausse des taux d'intérêt réels) ; elle décourage les producteurs et les investissements ; elle assèche les recettes publiques et nourrit les déficits. Plus grave, elle tend à augmenter la valeur du stock de dettes en circulation, ce qui génère à terme des défauts et des faillites bancaires.
La déflation, c'est le retour de la crise des années 30. Face à une telle menace, il serait bon que le gouvernement prenne la mesure des problèmes réels de l'Europe et revoit sérieusement l'idéologie churchillienne, à base de sang et de larmes, qui l'a conduite à inventer le concept du « socialisme de l'offre ».
___________________
1. Pierre Moscovici (2013) : Combats – pour que la
France s'en sorte, Flammarion, Paris.
2. Bruno Amable : « Qui ressent le ras-le-bol du « socialisme de l'offre » ? » Libération, le 14/10/2013, en ligne sur : http://www.liberation.fr/economie/2013/10/14/qui-ressent-le-ras-le-bol-du-socialisme-de-l-offre_939426
3. Le taux de marge mesure le rapport entre le profit réalisé par les sociétés non financières (mesuré par l'excédent brut d'exploitation) et leur richesse produite (mesurée par la valeur ajoutée). Depuis la fin des années 80, le taux de marge des sociétés non financières française n'était jamais descendu en dessous de 37 %. Il est tombé à 35,1 % en 2012.
4. Lire mon article publié sur le site de Parti Pris : « Compétitivité : le retour de l'idéologie de la guerre économique », décembre 2012.
2. Bruno Amable : « Qui ressent le ras-le-bol du « socialisme de l'offre » ? » Libération, le 14/10/2013, en ligne sur : http://www.liberation.fr/economie/2013/10/14/qui-ressent-le-ras-le-bol-du-socialisme-de-l-offre_939426
3. Le taux de marge mesure le rapport entre le profit réalisé par les sociétés non financières (mesuré par l'excédent brut d'exploitation) et leur richesse produite (mesurée par la valeur ajoutée). Depuis la fin des années 80, le taux de marge des sociétés non financières française n'était jamais descendu en dessous de 37 %. Il est tombé à 35,1 % en 2012.
4. Lire mon article publié sur le site de Parti Pris : « Compétitivité : le retour de l'idéologie de la guerre économique », décembre 2012.
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