Par Kevin Boucaud | 13 Août, 2014 |
Une crise va-t-elle en chasser une autre ? Alors qu’elle ne
s’est toujours pas remise de la déflagration de 2008 – la crise financière
étant devenue une crise sur les dettes des États –, l’Europe est hantée par un
nouveau spectre : la déflation. L’Insee doit donner sa première estimation de
la croissance du deuxième trimestre ce jeudi et tout annonce une déception : le
retournement espéré par le gouvernement devrait laisser place à un
ralentissement, voire à un nouveau repli. De nombreux signaux vont dans ce sens
: la demande et l’investissement sont en berne et la production industrielle
s’est contractée de 0,5 % au cours des trois derniers mois. La Banque de France
a ainsi révisé à la baisse ses prévisions la semaine dernière, tablant sur une
croissance trimestrielle de 0,2 %. Voilà de quoi contrarier le président de la
République, François Hollande, qui soufflait, hier, ses soixante bougies.
Ces dernières semaines, le premier ministre, Manuel Valls,
puis le chef de l’exécutif ont fait part de leur préoccupation devant cette
situation. Le chef du gouvernement a notamment vivement critiqué la BCE, en
déclarant qu’elle était « impuissante » face au risque déflationniste. François
Hollande a pointé le même danger, mais s’est gardé d’attaquer l’institution
francfortoise. Il s’est tout de même tourné vers l’outre-Rhin, demandant à ses partenaires
allemands « un soutien plus ferme à la croissance », et ajoutant que « ses
excédents commerciaux et sa situation financière lui permettent d’investir
davantage ». Mais quel est ce nouveau risque qui menace le Vieux Continent ?
Des mécanismes économiques connus et décrits depuis 1933...
La déflation est bien plus qu’une simple baisse généralisée
des prix, c’est une spirale négative qui entraîne toute l’économie (voir notre
infographie ci-contre). La contraction des prix à la consommation provoque
inévitablement une hausse des taux d’intérêt réels – définis comme étant les
taux d’intérêt nominaux moins le taux d’inflation. Celle-ci crée un
surendettement des entreprises, qui diminue le taux de leur marge et génère
ainsi une baisse des salaires nominaux et de l’investissement. La demande et la
production chutent alors. Ces mécanismes bien connus, depuis qu’ils ont été
décrits par l’économiste Irving Fisher en 1933, s’auto-entretiennent : le repli
de l’activité entretient le recul des prix qui renforce à nouveau le marasme
économique. On parle de « spirale déflationniste », devant laquelle les
politiques monétaires se trouvent totalement démunies. L’histoire a connu
plusieurs phénomènes de ce type, pendant la grande dépression des années 1930,
qui a suivi le krach boursier de 1929, ou encore, ce que les économistes
nomment « la décennie perdue » au Japon, durant les années 1990. Avec une
inflation de 0,4 % en juillet pour la zone euro – un plus-bas depuis cinq
ans –, le risque est réel. Il est accentué par les politiques d’austérité
menées qui minent les salaires et pèsent sur l’activité. Ce danger était pointé
depuis bien longtemps par de nombreux spécialistes. Parmi eux, on peut citer le
collectif des Économistes atterrés, qui tirait la sonnette d’alarme dès 2012
dans leur livre intitulé l’Europe maltraitée. Plus récemment, Joseph
E. Stiglitz, le prix Nobel d’économie de 2001, écrivait, dans son ouvrage
publié en 2013, le Prix de l’inégalité : « Les pires mythes sont ceux selon
lesquels l’austérité récupérera l’économie, et qu’une plus grande dépense de
l’État ne ferait que le contraire. » Aujourd’hui, même la très libérale
Bundesbank pense qu’il est urgent d’augmenter les salaires outre-Rhin pour
éloigner le danger (lire ci-contre). Pour faire face à cette menace, les
banques centrales ont pour habitude de mener des politiques dites
« expansionnistes » ou « accommodantes », c’est-à-dire fortement créatrices de
monnaie. C’est d’ailleurs l’alpha et l’oméga de toutes leurs actions. Car,
comme le rappelle Dominique Plihon, économiste et membre d’Attac, « pour éviter
les effets de la crise, (…) les banques centrales ont inondé de liquidités les
banques ». Elles ont eu recours en particulier à des politiques non
conventionnelles d’abondance de liquidités dites de « quantitative easing ».
C’est la direction que prend la BCE puisqu’elle a ouvert la possibilité d’y
recourir en mars dernier et qu’elle s’est dotée d’un nouvel arsenal quantitatif
lors de sa réunion mensuelle de juin.
Entreprises et ménages cherchent tous, et avant tout, à se
désendetter
Cette abondance de liquidités sert en théorie à « faire
repartir la masse monétaire (quantité de monnaie en circulation) en augmentant
les réserves des banques, afin de les pousser à faire du crédit », explique
Patrick Artus, économiste à Natixis. « Or, cette fois-ci, ce n’est pas
possible, car les entreprises et les ménages cherchent tous à se désendetter »,
poursuit l’économiste. Les banques ont utilisé ces liquidités pour alimenter
des marchés
financiers. Elles ont donc eu pour effet principal d’« augmenter
le prix des actifs financiers et d’alimenter les bulles », souligne Patrick
Artus. Résultat, « la Bourse se porte mieux que l’économie réelle », regrette
Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste à l’université de Paris-I
Panthéon-Sorbonne. Outre-Atlantique, le Dow Jones et le S&P 500, les
deux principaux indices américains, ont progressé respectivement 25,95 % et
29,09 % en 2013 et dépassent tous deux nettement les niveaux d’avant-2008.
Alors que la croissance réelle n’a été, elle, que de 1,9 % aux États-Unis cette
année-là. Dans la zone euro, le Dax de Francfort a enregistré une hausse de
25,50 % pour atteindre un plus-haut historique, le CAC 40 parisien a augmenté
de 17,99 %. Dans le même temps, les PIB allemand et français n’ont progressé
que de 0,4 % et 0,2 %. Des divergences qui se sont poursuivies cette année, le
CAC 40 et le Dow Jones gagnant respectivement 2 % et 1 % au premier trimestre
pour une croissance française nulle et un plongeon de 2,9 % du PIB américain.
« L’idéologie libérale croit que les marchés peuvent
s’autoréguler ! »
En résumé, pour éloigner un risque déflationniste – encore bien présent – les banques centrales ont alimenté cette bulle financière. Et « en cas de choc, aucun mécanisme nécessaire est en place. La régulation et l’union bancaire sont insuffisantes », fait remarquer Jézabel Couppey-Soubeyran. Selon elle, « il ne faut pas tout attendre de la politique monétaire » et « le bon policy mix (politique qui combine politique monétaire et budgétaire – NDLR) n’a pas été mis en place ». La conséquence est qu’« on n’a pas les moyens d’absorber la déflagration », poursuit-elle. Le fond du problème, c’est « l’idéologie libérale, qui croit que les marchés peuvent s’autoréguler », déplore Dominique Plihon. Un dogme qui est pourtant à l’origine de la crise que l’on essaie de résoudre. L’économiste altermondialiste estime qu’à l’échelle européenne, les torts sont partagés entre les gouvernements et la BCE. Pour lui, cette dernière « doit refinancer les banques d’une manière sélective et ouvrir des facilités aux États. Du côté des États, il faut repenser le secteur financier. Il faut redonner beaucoup plus d’importance aux acteurs financiers publics (…) afin de financer les PME et la transition écologique ». Le constat est partagé par Denis Durand, économiste et secrétaire général du syndicat national CGT de la Banque de France, qui met l’accent sur le rôle des services publics. L’économiste explique qu’« améliorer la qualité des transports, de la santé, de l’énergie ou de l’écologie, c’est essentiel, et pour cela la BCE doit prêter directement aux États à taux 0 % ». La réforme de la Banque publique d’investissement est également nécessaire afin de posséder « un fonctionnement plus démocratique ». L’économiste avance également l’idée d’un « fonds de développement économique et social européen ». Des suggestions qui font écho à l’appel de la Confédération européenne des syndicats (CES) qui, lors de la dernière campagne des élections européennes, proposait d’augmenter les investissements publics de l’équivalent de 2 % du PIB par an pendant dix ans, soit un montant de 260 milliards d’euros. Une mesure qui, accompagnée d’un vrai contrat social, permettrait, selon ses calculs, de créer 11 millions d’emplois, d’anéantir le dumping social et d’améliorer les services publics et les droits des salariés. Pour Denis Durand, « la BCE a peur du risque déflationniste, mais ne s’attaque pas aux causes et refuse de changer de politique ». L’évêque de Meaux, Jacques-Bénigne Bossuet, avait écrit au XVIIe siècle : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » Aujourd’hui, il doit beaucoup s’amuser.
En résumé, pour éloigner un risque déflationniste – encore bien présent – les banques centrales ont alimenté cette bulle financière. Et « en cas de choc, aucun mécanisme nécessaire est en place. La régulation et l’union bancaire sont insuffisantes », fait remarquer Jézabel Couppey-Soubeyran. Selon elle, « il ne faut pas tout attendre de la politique monétaire » et « le bon policy mix (politique qui combine politique monétaire et budgétaire – NDLR) n’a pas été mis en place ». La conséquence est qu’« on n’a pas les moyens d’absorber la déflagration », poursuit-elle. Le fond du problème, c’est « l’idéologie libérale, qui croit que les marchés peuvent s’autoréguler », déplore Dominique Plihon. Un dogme qui est pourtant à l’origine de la crise que l’on essaie de résoudre. L’économiste altermondialiste estime qu’à l’échelle européenne, les torts sont partagés entre les gouvernements et la BCE. Pour lui, cette dernière « doit refinancer les banques d’une manière sélective et ouvrir des facilités aux États. Du côté des États, il faut repenser le secteur financier. Il faut redonner beaucoup plus d’importance aux acteurs financiers publics (…) afin de financer les PME et la transition écologique ». Le constat est partagé par Denis Durand, économiste et secrétaire général du syndicat national CGT de la Banque de France, qui met l’accent sur le rôle des services publics. L’économiste explique qu’« améliorer la qualité des transports, de la santé, de l’énergie ou de l’écologie, c’est essentiel, et pour cela la BCE doit prêter directement aux États à taux 0 % ». La réforme de la Banque publique d’investissement est également nécessaire afin de posséder « un fonctionnement plus démocratique ». L’économiste avance également l’idée d’un « fonds de développement économique et social européen ». Des suggestions qui font écho à l’appel de la Confédération européenne des syndicats (CES) qui, lors de la dernière campagne des élections européennes, proposait d’augmenter les investissements publics de l’équivalent de 2 % du PIB par an pendant dix ans, soit un montant de 260 milliards d’euros. Une mesure qui, accompagnée d’un vrai contrat social, permettrait, selon ses calculs, de créer 11 millions d’emplois, d’anéantir le dumping social et d’améliorer les services publics et les droits des salariés. Pour Denis Durand, « la BCE a peur du risque déflationniste, mais ne s’attaque pas aux causes et refuse de changer de politique ». L’évêque de Meaux, Jacques-Bénigne Bossuet, avait écrit au XVIIe siècle : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » Aujourd’hui, il doit beaucoup s’amuser.
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