ENTRETIEN PAR YANNICK SANCHEZ | 20 AOÛT
2014 |
À la lumière des annonces faites par François Hollande
mercredi 20 août, le député socialiste Pierre-Alain Muet, ancien
conseiller économique de Lionel Jospin, fustige le discours univoque du
gouvernement sur la politique de l'offre.
Alors que François Hollande a profité de la fin de la pause
estivale pour faire sa contre-offensive médiatique dans une interview au Monde dont nous détaillons
les mesures, le député PS de la deuxième circonscription du Rhône,
Pierre-Alain Muet, ancien conseiller économique de Lionel Jospin, s'insurge
contre la politique de l'offre menée par le gouvernement « alors que
le président de la République reconnaît que ce sont les politiques d'austérité
qui ont enfoncé l'Europe dans la dépression ».
Dans un article paru dans le magazine L'Économie
politique et que vous reprenez sur votre blog,
vous parlez d'autisme du gouvernement, de déficit de la pensée macroéconomique.
Vous êtes plutôt considéré comme faisant partie de la gauche modérée, d'où
vient votre désaccord ?
Mon désaccord est vraiment profond, il porte sur
l’inadéquation des politiques actuelles avec la réalité. Moi je ne fais
pas partie de la gauche du parti, mais l’économiste que je suis est réellement
effaré non seulement par la politique, mais par le discours qui est tenu, qui
d’un point de vue économique est faux. On ne sort pas d’une dépression par une
politique exclusive de l’offre. N’importe quel économiste ayant fait un peu de
conjoncture vous le dira.
Le discours du Bourget était la réponse pertinente à la
crise, y compris dans sa composante européenne. Je n’ai pas de désaccord avec
la politique pour laquelle nous avons été élus. C’est vrai qu’il manquait la
compétitivité, ça faisait partie des oublis de ce programme. Mais je pense
qu’avec le CICE (crédit impôt compétitivité emploi) on a fait ce qu’il fallait
et que l’on n’avait pas à aller au-delà avec les 40 milliards d’allègement de
charge aux entreprises.
La récession européenne a été beaucoup plus forte que prévu,
notamment avec les politiques d’austérité menées dans toute l'Europe. Le FMI
l'a d'ailleurs reconnu quand il a parlé de « seconde récession » en
Europe. Mais le problème de compétitivité en France existe depuis dix ans,
ce n’est pas par des politiques de lutte pour la compétitivité que l'on sort de
la dépression, il faut une reprise de la demande.
La force des années Jospin avait été d’avoir pris des
mesures pertinentes au regard de la conjoncture. Là, ce n’est pas du tout le
cas. Faire de la politique de l’offre l’alpha et l’oméga de la politique
économique est une absurdité. Il fallait certes maintenir le pari d’inverser la
courbe du chômage mais encore fallait-il s’en donner les moyens.
Vous avez rencontré le chef de l'État en juillet. Que lui
avez-vous dit concernant les principales mesures d'allègements sur la fiscalité
des entreprises ?
Je lui ai dit que je trouvais la politique actuelle
aberrante d’un point de vue économique. Je lui ai dit qu’il fallait agir
sur l’apprentissage, élargir les emplois d’avenir, en faire des emplois jeunes
parce que ça a marché en 1997 et en 2006 quand le ministre de l’emploi de
l’époque, Jean-Louis Borloo, a pris des mesures qui ont eu des effets sur
l’emploi. Ce n’est pas en répétant tous les jours que les mesures d’offre nous
sortiront de la récession que ça va fonctionner.
Les simulations de Bercy (voir le rapport de
Valérie Rabault affirmant que 250 000 emplois seraient
menacés et 190 000 postes créés) montrent bien que l’effet dépressif est
plus important que l’effet positif avec les allègements du coût du travail. Ce
déficit de la pensée macroéconomique existait sous la droite mais je suis
effaré de voir que c’est aussi vrai sous la gauche. Ça laisse entendre qu’on se
serait trompé de diagnostic, mais c'est faux. Le programme de Hollande était la
réponse à la crise.
Ayant été longtemps conjoncturiste, je ne comprends pas
cette politique économique. Le gouvernement devrait écouter les bons
économistes comme Stiglitz, Krugmann ou même Piketty.
Que pensez-vous de l'annonce faite par François Hollande
concernant la fusion de la prime pour l'emploi et du RSA activité ?
C'est une excellente annonce, il n’y avait même pas à
attendre. J’ai suffisamment plaidé pour la progressivité de l’impôt sur le
revenu et la CSG (contribution sociale généralisée). Bien sûr qu’il faudrait
rééquilibrer les choses en redonnant du pouvoir d’achat aux ménages mais cela
doit, selon moi, se faire en agissant sur le secteur non marchand. Et le
gouvernement là-dessus ne va pas assez loin. Personnellement, ce qui m’a surpris,
c’est le changement de pied de François Hollande dans son discours
du 14 janvier sur le pacte de responsabilité.
François Hollande botte-t-il en touche lorsqu'il déplace la
responsabilité de la récession actuelle sur les politiques de rigueur menées en
Europe ? Pensez-vous vraiment que les Français peuvent avoir confiance en
sa capacité de négociation en sachant qu'il a déjà échoué à se faire entendre
sur le volet croissance dans le traité européen sur la stabilité (TSCG) ?
Il a raison lorsqu'il dit que l’essentiel de la reprise
c’est l’Europe. S’est rajoutée une crise typiquement européenne quand les
États-Unis faisaient le contraire de l’Europe et sortaient de la
récession. À l’époque, personne n’avait conscience de la récession
européenne. Il y a un vrai besoin de modifier les politiques européennes car il
faut tout de même avoir conscience que la déflation européenne vient des coupes
dans les salaires en Europe du Sud et que globalement ces politiques
participent au fait que l’Europe ne sorte pas de la crise.
Le scénario auquel nous sommes confrontés ressemble aux
années trente. Bien sûr qu’il y a une solution européenne. Roosevelt avait pris
les mesures qui ont sorti l’économie américaine de la crise. Par son accent rooseveltien,
le discours du Bourget était la réponse à la crise. Mais on ne peut pas
dire qu'il faut changer la politique européenne et en même temps appliquer le
corpus idéologique de l’Europe qui consiste à n’appliquer que des politiques de
l’offre, de la compétitivité dont on sait que l’effet est de s’enfoncer encore
plus dans la déflation. L’équivalent du consensus de Washington, le consensus
de Bruxelles – qui est de faire uniquement des politiques de réduction
massive des dépenses et du coût salarial – n’est pas la réponse
pertinente. Il faut en sortir. Oui, il faut réorienter l’Europe mais il faut
réorienter notre politique avec ce que l’on réclame à l’Europe.
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