jeudi 13 juin 2013

Quels sont les éléments de la culture corse qui peuvent favoriser la violence ?













Par notre camarade Fabrice Rizzoli (né en 1971) chercheur et enseignant français, officiant dans divers établissements universitaires. Docteur en science politique à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), il est spécialiste de la criminalité organisée et des mafias italiennes. Il vient de publier "Le petit dictionnaire énervé de la mafia" (ed. De l'Opportun). 
Atlantico 4 juin 2013

 C'est dans un climat tendu que le ministre de l'Intérieur se déplace en Corse pour deux jours. Manuel Valls a déclaré que la violence était "enracinée dans [la] culture" de l'île, provoquant de vives réactions.

Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, est actuellement en déplacement en Corse pour deux jours. Cette visite arrive peu de temps après le 11ème assassinat depuis le début de l'année. Il a déclaré que la violence était "enracinée dans la culture" de  l’île de Beauté. Existe-t-il dans la culture corse des éléments qui favorisent un climat de violence ? Si oui, lesquels ?

Fabrice Rizzoli : Elle n'est culturelle que dans la mesure où le taux de violence des gangsters dépend du taux d'impunité
L'impunité ne se mesure pas seulement avec les peines de prison. Par exemple, la forte répression du trafic de drogue ne décourage pas les gangsters car les profits sont exponentiels. Il faudrait réguler le commerce des drogues... 

Quelles sont les autres causes de la violence que connaît l'île ?

L'impunité importante dont bénéficie les criminels professionnels corses. J'en veux pour preuve le peu de confiscation sur l’île de Beauté (rapport 2012 AGRASC). Il faut saluer la création en 2010 de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) qui présente un bilan de 200 millions saisis en 2011 et 700 millions en 2012. C'est la démonstration que lorsqu'on améliore le système cela marche sauf en Corse...

Manuel Valls dit vouloir "mener une action en profondeur" contre la mafia Corse. Comment peut-il s'y prendre ?

Il pourrait arrêter de demander au peuple corse de l'aider alors que c'est à l'Etat de protéger les populations et non l'inverse. En appliquant les moyens modernes contre le crime organisé, il peut devenir l'architecte d'une révolution culturelle.

Quels risques prend-il à évoquer le sujet aussi ouvertement ? Quelles sont les solutions possibles pour palier le problème de la violence en Corse ?

Il prend le risque de devenir le meilleur ministre de la l'Intérieur de la Vème République, en trois points. 

1 ) Tout d'abord en restaurant l'indépendance 
du judiciaire et de l'Etat de droit : 

• Indépendance des magistrats : la magistrature française n'est pas indépendante car le procureur est nommé par le ministère de la Justice. Il doit donc sa carrière à l'Exécutif. Pour rappel, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour le manque d'indépendance des procureurs.
Il est difficile pour un Corse de faire confiance à un Etat, celui de Montesquieu, qui ne s'applique pas à lui-même le principe de la séparation des pouvoirs, point cardinal de toute démocratie.

• Indépendance des Officier de police judiciaire (OPJ) sous responsabilité des magistrats : le manque d'indépendance en France touche aussi les OPJ, dépendants de leur ministère respectif qui contrôle leur carrière et les note. Placés sous l'autorité des magistrats, eux-mêmes devenus plus indépendants, les OPJ mèneraient, comme en Italie depuis 1988, leurs enquêtes sans entrave.

• Un statut de coopérateur de justice : ce statut permet au criminel professionnel de coopérer avec la justice en dénonçant TOUS les actes criminels de sa connaissance et sortir de "l'association criminelle". En contrepartie, l'État allège sa peine de prison et s'engage à protéger le coopérateur et sa FAMILLE !

Il y a encore une culture de l'aveu au sein des forces d'enquête. On met les gens en prison pour obtenir des confessions mais cela ne fonctionne pas avec les criminels professionnels... surtout corses.
Les lois Perben ont créé de nombreux outils dont celui de "repenti" mais le décret d'application n'a toujours pas été signé ! Il y a une réticence idéologique autour du mot "collaboration".... Les magistrats rechignent à négocier avec un truand. C'est une vision simpliste qui met les policiers dans des situations inextricables (voir l'affaire Neyret). Faire coopérer les gangsters permettrait d'envoyer en prison les tueurs professionnels qui bénéficient d'une très grande impunité jusqu'à ce qu'ils soient éliminés par un nouveau sicaire... Le criminel professionnel serait réinséré dans la légalité et l'Etat de droit restauré alors qu'il est aujourd'hui incapable d'arrêter l'hémorragie.

2 ) Il faut également un restauration la puissance publique :

• Un délit d'association criminelle : avec ce délit, vous pouvez être condamné pour le seul fait d'appartenir à une organisation criminelle d'au moins trois personnes, utilisant la violence, l'intimidation et imposant la loi du silence pour faire du business, obtenir des marchés publics, etc. 
La confiscation des biens qui ont servi ou ont été destinés à faire association est obligatoire, ce qui implique une confiscation pour les complices des gangsters professionnels.

• Une confiscation préventive et administrative anti-crime organisée : en France, il faut prouver que le lien entre le bien et l'infraction, procédure compliquée (notamment en matière de blanchiment rapport Sirasco p.29). Si le criminel est innocenté pénalement, l'État doit rendre le bien. La confiscation préventive est une procédure distincte de la poursuite pénale dans laquelle gangsters et complices doivent justifier l'origine de leurs biens devant un tribunal administratif. En cas d'erreur ou si l'accusé fournit des justificatifs sur l'origine des biens, l'État rend l'élément saisi, dédommage mais il n'aura pas connu la prison pour rien. Cette "mesure préventive anti-crime organisé" validée par la Cour européenne des droits de l'homme a permis la saisie, en Italie, de plus 11 milliards d'avoirs ces deux dernières années.

3 ) Le dernier point est d'impliquer la société civile à l'aide de la réutilisation sociale des biens confisqués.

"Imaginez une coopérative agricole produisant de l'huile d'olive sur un terrain confisqué à la brise de mer. Imaginez les universités d'été contre la corruption dans la maison de l'élu qui mettait ses fonds dans une banque Suisse."

En Italie, on dénombre 80.000 biens saisis dont 15.000 ont été réaffectés à la société civile. Des villas de mafieux sont transformées en caserne de Gendarmerie, en siège d'association, centre pour handicapés, etc. Exemple : la cimenterie du boss Virga à Trapani est aujourd'hui une coopérative de travailleurs !  Seule la confiscation des biens mafieux avec réutilisation sociale peut changer les mentalités car cela implique la société civile dans la lutte antimafia qui demeure régalienne avant tout.

D'ailleurs, c'est ce qu'a récemment proposé la commission spéciale du Parlement européen sur la criminalité organisée, créée en mars 2012, en généralisant cette mesure à l'ensemble des pays européens.



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