“L’objectif est alors
à portée de main : montrer que même en jouant le jeu de François Hollande
et d’une grosse motion, il est possible pour l’ex-aile gauche de peser sur la
ligne du parti.”
Le temps d’une convention Europe, le PS a renoué avec sa
tradition dramaturgique. Au risque de friser le tragi-comique. C’est vers 2
heures du matin, dans la nuit de mercredi à jeudi, que la commission des
résolutions du parti a rendu son verdict rue de Solférino, après une semaine
d’escalade et de tension. Et comme toujours depuis le référendum interne du 1er décembre
2004 sur la Constitution européenne (où le vote militant – contesté –
avait penché en faveur du oui, avant que celui des Français – y compris de
gauche – ne débouche sur un non), l’art de la synthèse a permis de
surpasser les désaccords.
Cette fois-ci, les tensions étaient davantage liées à la
forme qu’au fond, les débats se concentrant surtout sur le « débat
d’interprétation des résultats » d’un vote à la procédure assez
curieuse au regard des rites internes du PS (pas de texte alternatif et
non-reconnaissance d’amendements pourtant majoritaires, lire notre
précédent article). Difficulté supplémentaire pour la direction du
parti, l’opposition venait de plusieurs fronts de l’aile gauche : le
courant de Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel (Maintenant la gauche, issu
de la “motion 3” du dernier congrès de Toulouse), celui des proches de Benoît
Hamon (Un monde d’avance), membre
de la même motion que Harlem Désir, et celui issu de la “motion 4”, emmenée par
Pierre Larrouturou (Oser plus
loin plus vite) et dénonçant les « mauvaises pratiques » démocratiques
de Solférino.
Au bout du compte, le compromis a pris l’allure d’une
promesse de groupe de travail afin de mettre à plat le fonctionnement et les
règles des futures conventions, ainsi que d’un addendum au texte
d’orientation générale, qui avait, lui, été validé jeudi dernier à 90 %,
par les 55 000 militants s’étant déplacés (35 % de participation). Ce
rajout prend la forme d’une résolution contenant« 14 priorités socialistes
pour réorienter l’Europe, à l’adresse de nos partenaires du Parti socialiste
européen (PSE) », à en croire l’aile gauche du parti.
On y retrouve les principales demandes, approuvées par les votants socialistes,
des anciens nonistes de 2005, également opposés plus récemment à l’adoption du
traité de stabilité européen (TSCG). Augmentation du budget européen en faveur
de la croissance, reconnaissance de la surévaluation de l’euro par rapport au
dollar et au yuan, « extrême réserve » sur le traité
transatlantique.
En revanche, sur le pacte de stabilité, les souhaits de« suspension » (courant
Maurel) ou d’« adaptation » (courant Hamon) sont restés lettre
morte. Mais la demande de « révision » originelle du texte de la
direction est désormais accompagnée de la phrase suivante : « L’Europe
a besoin de croissance, pas d’austérité. Nous demandons un calendrier étendu,
crédible et réaliste de réduction des déficits publics. »
Le courant de Benoît Hamon, de son côté, « se
félicite de la validation, par la direction du Parti socialiste, du vote des
militants qui a mené à l’adoption du texte et des amendements nationaux et
fédéraux ». Et se réjouit que « le premier parti politique de
France a fortement réaffirmé son soutien au Président de la République dans la
bataille menée face aux droites européennes ». Le communiqué
du parti est, lui, moins disert, reconnaissant avoir
réalisé « la synthèse du texte, des différents amendements nationaux
votés par les militants ainsi que de 221 amendements fédéraux », mais sans
révéler le texte ayant fait consensus, préférant le réserver aux participants à
la convention, ce dimanche dans la salle de la Mutualité à Paris.
Mais au-delà des grandes lignes d’un scénario assez
classique dans les cheminements des débats internes du PS, la semaine a été
difficile pour Harlem Désir, affaibli à la tête de son parti.
« Le parti se divise alors qu’on n’a jamais été aussi proche
»
Depuis vendredi et l’annonce de résultats immédiatement
contestés, les affrontements à fleurets de moins en moins mouchetés se sont
succédé. Dès lundi en fin de matinée, la commission de récolement des votes a
conclu à une impasse, les porteurs d’amendements refusant de reconnaître le
mode de calcul de la direction les rendant minoritaires. Problème, dans le même
temps, le porte-parole du PS, le sénateur David Assouline s’exclame lors de son
point presse hebdomadaire : « Le parti fonctionne de façon
remarquablement démocratique. »
Responsable du courant Maintenant à gauche, Marianne Louis,
s’énerve alors : « On a tout accepté, pas de texte alternatif,
puis des amendements en ordre dispersé et limités. Et désormais on se fait
voler les résultats mais il ne faut rien dire. Au bout d’un moment, mieux
valait ne pas faire de convention. » Chez les proches de François
Hollande, on se lamente. « Au lieu d’une discussion poussée sur
l’Europe, dans la foulée de la conférence de presse du président, on a réussi à
s’embarquer dans une convention où chacun veut se démarquer, soupire un cadre
du courant Répondre à
gauche, celui des “hollandais historiques”. Le parti se divise
alors qu’on n’a jamais été aussi proche d’une position unanime sur la
réorientation européenne. » Les ministres concernés par la gestion du
PS ne rentrent pas dans la bagarre interne. Et les critiques envers Harlem
Désir et son entourage se multiplient, alors même que le premier secrétaire vit
un moment personnel difficile, avec la prise d’otage en Syrie du journaliste
Didier François, un ami très proche depuis les années SOS-Racisme.
Mardi, Un monde d’avance (les proches de Benoît Hamon)
décide de faire considérablement monter la pression. Henri Emmanuelli, figure
tutélaire du courant et ancien premier secrétaire,tonne : « Que
les militants soient dépossédés de leur expression sur l’avenir de l’Union
européenne n’est pas acceptable. » Puis un communiqué du
responsable du courant, Guillaume Balas, y va carrément, en menaçant de
boycotter la convention, et en s’en prenant directement au premier
secrétaire : « S’il venait à ne pas appliquer les règles de base
de fonctionnement d’un parti politique démocratique, nous estimerions que cet
acte serait d’une extrême gravité pour le PS et ses militants, et que la
légitimité d’Harlem Désir à diriger le Parti serait irrémédiablement en
cause. » Un proche du ministre délégué à l’économie sociale et
solidaire confie alors : « Le temps joue pour nous. » L’objectif
est alors à portée de main : montrer que même en jouant le jeu de François
Hollande et d’une grosse motion, il est possible pour l’ex-aile gauche de peser
sur la ligne du parti.
Contrairement aux moments de flottement internes déjà
rencontrés depuis l’élection de Harlem Désir, l’arbitrage de Matignon et des
« chefs à plume » socialistes semble ne pas être aussi persuasif que
par le passé. Ni aussi caporaliste. Le premier ministre fait ainsi savoir qu’il
pourrait ne pas participer à la convention, dimanche. Pas question de s’abîmer
au lendemain du raout européen de la veille, où plusieurs figures de la
social-démocratie se retrouvent autour de la figure tutélaire de Jacques
Delors. Dans l’entourage de Jean-Marc Ayrault, on glisse que le message adressé
à Solférino se veut apaisant : « La commission de résolution
devra valider un travail de reformulation. »
Au bureau national de fin de journée, toujours mardi, Harlem
Désir annonce une « volonté de rassemblement » et son
souhait de« chercher des convergences tout en prenant en compte tous les
votes ». Au même moment, à quelques encablures, les députés de la gauche
populaire réunissent le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone et
le ministre Arnaud Montebourg, afin de parler de la nécessité d’un bras de fer
avec Angela Merkel. Si“Barto” a
insisté sur la nécessité du « rapport de force » avec
la chancelière allemande, Montebourg la
joue sur la défensive, remisant ses saillies contre la
« naïveté » de l’UE pour plus tard.
« Le fond du problème, c’est que les militants ne sont
vraiment pas contents »
Mercredi, plusieurs dirigeants du parti font savoir leur
mécontentement vis-à-vis de Benoît Hamon, ainsi que le
relate Le Figaro, qui fait état du ras-le-bol exprimé par
Harlem Désir auprès du premier ministre : « S’il y a débat au
sein du parti sur l’Europe, c’est parce qu’un membre du gouvernement veut
remettre en cause plusieurs axes de la politique du gouvernement. C’est tout de
même singulier ! Je veux bien assumer beaucoup de choses, mais pas ça.
Cette question ne relève pas du parti. » Un proche de Hamon
sourit : « Dès qu’Harlem est en difficulté sur un sujet
politique, il fait des réponses de bureaucrate et organise
l’auto-marginalisation du parti. »
Ce jeudi
dans Le Monde, le secrétaire national à l’Europe,
Jean-Christophe Cambadélis, évoque une « grossesse nerveuse » au
PS. Depuis une semaine, il s’est fait silencieux médiatiquement sur cette
convention dont il a la responsabilité. En privé, il ne manque pas d’accabler
l’entourage de celui qui lui a été préféré pour diriger le parti, et sa gestion
du vote. « Il y a eu des commentaires maladroits des résultats au
lendemain du vote des militants, qui n’étaient pas le fait d’Harlem Désir,
dit-il au Monde. Le problème n’était pas la victoire du courant
social-démocrate sur la gauche du parti, mais le rassemblement de l’ensemble
des socialistes derrière François Hollande pour une autre politique en
Europe. »
D’autres secrétaires nationaux du parti ne mâchent pas leurs
mots à l’encontre de Solférino. « Ce parti est géré à quatre ou cinq,
et pas forcément les plus fins. Au bout d’un moment, ça se voit et ça se paye »,
dit l’un, hollandais. « Le fond du problème, c’est que les militants
ne sont vraiment pas contents, dit un autre, aubryste.Dans ma section, le stylo
à la main, ils savaient très bien ce qu’ils votaient, malgré l’absence de
débats. Si, en plus, on leur dit que ça ne compte pas, ça passe mal. »
Depuis samedi, une vingtaine de fédérations ont fait voter
par leurs instances des « motions de mécontentement », comme dans les
Yvelines, en Haute-Garonne, dans la Nièvre, en Indre-et-Loire, dans les Landes
ou à Paris. « Il faut se rendre compte de la réalité des vagues à
l’âme militants, dit Guillaume Balas. L’enjeu pour Harlem, c’est sa propre
légitimité. Nous, on était très contents qu’il ait organisé cette convention et
qu’il y ait eu une bonne mobilisation. Mais maintenant, il faut aller au bout
de la logique et donner au parti une place dans le rapport de force
global. »
Un responsable du courant Lienemann/Maurel se félicite
d’avoir finalement obtenu un « minimum syndical de la sortie de crise
par le haut ». Et note : « Quand la discussion politique
prend le dessus sur la technostructure solférinienne, et la seule volonté de
faire de l’autoritarisme sans autorité, ça peut bien se passer. » En
attendant, ils sont nombreux au PS, toutes sensibilités confondues, à
s’interroger de plus en plus ouvertement sur l’avenir de Harlem Désir à la tête
du parti, une fois passées des élections européennes que beaucoup prédisent
déjà catastrophiques pour les socialistes. Et pas sûr qu’un texte finalement
unanime puisse changer la donne.
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