Les précédentes réformes de retraite ont eu des effets
catastrophiques, qui n’ont pas fini de se faire sentir. Une étude récente de la
Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques a
calculé que si les réformes de 1993, 2003 et 2008 s’étaient appliquées aux affiliés
de la CNAV et de la MSA-salariés de la génération 1938, ceux-ci auraient eu des
pensions de base réduites de 28 % en moyenne lors de la liquidation, et de 35 %
sur l’ensemble de leur période de retraite.
Comme précédemment, l’argument « on vit plus vieux, il faut
travailler plus longtemps » est invoqué, et il semble de bon sens. Notons
pourtant que l’augmentation de l’espérance de vie ne date pas d’aujourd’hui et
que, par le passé, le partage de la richesse produite a permis qu’elle
s’accompagne de la diminution du temps passé au travail et d’une amélioration globale
du niveau de vie. Mais surtout, vouloir augmenter la durée de cotisation relève
d’une double hypocrisie.
Hypocrisie quand on sait qu’une grande partie des salarié-es
(plus de la moitié pour la génération 1942) est déjà hors emploi au moment de
liquider leur retraite. Repousser encore ce moment revient simplement à
prolonger cette période hors emploi, qui peut être de chômage, de pré-retraite,
en tout cas de précarité, et donc à enfermer dans les minimas sociaux en
attendant de pouvoir toucher une pension. Augmenter la durée de cotisation
revient au final à faire baisser le montant des pensions sans oser le dire.
Hypocrisie encore car vouloir faire travailler les salariés plus longtemps dans
le contexte actuel de chômage revient aussi à rompre le contrat entre les
générations. Car la solidarité intergénérationnelle a deux faces. Les actifs
paient les pensions des retraités, et les salariés âgés se retirent de l’emploi
pendant que les nouvelles générations y accèdent. Décaler l’âge de départ à la
retraite revient à préférer entretenir le chômage des jeunes et celui des
seniors, plutôt que payer des retraites. Ainsi, depuis le recul de l’âge de
départ de 60 à 62 ans, on constate bien une hausse du taux d’activité de 15 %
entre 2010 et 2012 pour la tranche d’âge de 55 à 64 ans… accompagné d’une
augmentation de plus d’un tiers de la part des chômeurs dans cette tranche
d’âge ! Tandis que les jeunes font les frais du maintien forcé en
emploi des seniors: leur taux de chômage dépasse 26%, l’écart de taux de
chômage entre les moins de 25 ans et l’ensemble des actifs atteint un record.
Enfin, ce qui est important est moins l’espérance de vie que
l’espérance de vie en bonne santé, et toutes les années de retraites ne sont
donc pas équivalentes. Prolonger la durée d’activité, alors même que la
souffrance au travail se développe et que de nouvelles pathologies apparaissent,
obère le temps dont les salariés disposent pour jouir réellement des meilleures
années de retraite.
L’objectif annoncé pour la nouvelle « réforme » est de
combler un déficit des régimes de retraites plus important que prévu, qui serait
d’environ 20 milliards en 2020. Il y a d’abord là un élément paradoxal. Car
l’aggravation du déficit est la conséquence directe des politiques d’austérité
qui jettent la France et l’Europe dans une spirale récessive et entrainent une montée
du chômage… et donc des déficits. Dans son rapport de décembre 2012, le Conseil
d’orientation des retraites explique ainsi « la dégradation beaucoup plus rapide
que prévu des comptes des régimes de retraite du fait de la chute des recettes
liée à la crise ». Le rapport
Moreau fait le même constat. Pourtant, ce qu’il propose est
de réduire encore les dépenses en faisant porter l’essentiel de l’effort sur
les salarié-es et les retraité-es, qui n’ont aucune responsabilité dans la
crise. Difficile de considérer qu’un montant de 20 milliards d’euros constituerait
un déficit insoutenable des caisses de retraite, lorsque la même somme est attribuée
sans contrepartie aux entreprises via le Crédit d’impôt pour la compétitivité
et l’emploi! En finir avec l’austérité, relancer l’emploi par une réduction du
temps de travail et une politique audacieuse d’investissement en matière
sociale et écologique permettraient déjà de résoudre une bonne partie du
problème.
La part des retraité-es augmentant dans la population, il
est nécessaire, à moins de vouloir les appauvrir, d’accompagner cette évolution
en attribuant aux pensions une part plus grande de la richesse créée. Il est
ainsi possible de relever progressivement les cotisations patronales en baissant
en parallèle les dividendes versés aux actionnaires (cette part est en effet
passée en trente ans de 3 % à 9 % de la valeur ajoutée brute des sociétés non
financières, sans aucune justification économique). L’investissement productif
ne serait ainsi pas touché et cette mesure n’aurait pas d’impact sur les prix. La
sacro-sainte compétitivité des entreprises serait donc épargnée. Le rapport du
COR de décembre 2012 indique que l’augmentation du taux de cotisation pour
équilibrer le système de retraites est de l’ordre de 2 % en 2020. Rien d’inaccessible.
Mais il est vrai, et c’est là que le bât blesse, cela suppose un « choc de répartition
» et non un choc de compétitivité.
Une voie supplémentaire pour améliorer le financement des
retraites, systématiquement négligée, est celle de l’activité des femmes. Le
taux d’activité des femmes est sensiblement inférieur à celui des hommes (84,2
% contre 94,8 % dans la tranche des 25-49 ans en 2010). De nombreuses femmes
souhaiteraient travailler professionnellement mais y renoncent, ou se contentent
d’un emploi à temps partiel, par manque de solution pour l’accueil des enfants.
Il y a donc de larges marges de progrès pour réaliser l’égalité. Si l’activité
des femmes rejoignait celle des hommes, l’effectif de population active serait
supérieur d’environ 5 % (4.8 % en 2020, 4.9 % en 2030) à celui retenu par les
projections actuelles. En première approximation, cette augmentation se
traduirait, à taux égal de chômage, par un accroissement de même ampleur - près
de 5 % - du volume de cotisations. À comparer donc au besoin pour 2020, chiffré
à 2% par le COR ! Cet accroissement du taux d’activité des femmes serait d’autant
mieux bienvenu que des besoins collectifs nombreux restent à satisfaire et que
des activités utiles correspondantes pourraient être créées. De même, supprimer
les inégalités salariales entre les femmes et les hommes permettrait
d’augmenter très sensiblement les recettes de cotisations.
Bref, des solutions existent à condition de rompre avec les
politiques actuelles et la logique d’un capitalisme financier prédateur. Les
conditions préalables en sont un arrêt des politiques d'austérité et une action
énergique en faveur de l'emploi par une reconversion industrielle écologique,
la réduction du temps de travail, la formation, le développement des crèches,
...es objectifs pour un système équitable et durable de retraite comportent le
droit à la retraite à 60 ans à taux plein, la revalorisation du minimum
contributif au niveau du SMIC pour une carrière complète, la convergence de la
durée de cotisation nécessaire pour une pension à taux plein avec la durée
moyenne de vie active constatée, l’élimination des inégalités de pension entre
les femmes et les hommes et la prise en compte effective de la pénibilité, sans
oublier celle des métiers à prédominance féminine.
Les moyens à mettre en œuvre pour financer ces objectifs sont
un rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits
distribués, ces derniers (notamment les dividendes) étant soumis à cotisation ;
une augmentation de l’activité des femmes en levant les obstacles qu’elles rencontrent,
et la réalisation de l’égalité des salaires entre les femmes et les hommes ; la
suppression des allègements inutiles de cotisations sociales, ainsi que la
majoration du taux de cotisation patronale sur l'emploi à temps partiel.
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