Alain Grandjean - 15 juillet , 2013
1 - une réduction de la consommation d’énergie de l’ordre de 2% par an, avec une priorité massive dans les bâtiments et le transport
Le débat sur la transition énergétique va se conclure le 18
juillet. Il en ressort[1] qu’il serait possible, techniquement économiquement
et financièrement de mettre le pays sur la voie d’un nouveau modèle
énergétique, reposant sur quatre piliers :
1 - une réduction de la consommation d’énergie de l’ordre de 2% par an, avec une priorité massive dans les bâtiments et le transport
2 - une diversification du mix énergétique avec une montée
en puissance progressive des énergies renouvelables (ER), dans le sillage de ce
qui se passe au niveau mondial[2]
3 - une plus grande implication des territoires dans la
définition et la mise en œuvre de projets locaux
4 - des dispositifs innovants de financement pour des
opérations à rentabilité positive mais retours sur investissement longs
Rappel : les enjeux du débat national sur la
transition énergétique
(DNTE pour les intimes)
Notre niveau de vie dépend de l’énergie que nous utilisons
directement ou indirectement. En France, 70 % de l’énergie finale consommée
est issue de sources fossiles, pétrole et gaz principalement, ce qui pose
plusieurs problèmes bien connus. Notre facture extérieure est élevée (70
milliards d’euros en 2012) et probablement croissante, la combustion de ces
sources d’énergie émet du CO2 alors que nous avons pris des
objectifs ambitieux[3] de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre
(GES). Nos concitoyens en situation de précarité énergétique sont de plus en
plus nombreux et nos entreprises sont soumises à une concurrence
internationale rude dans laquelle le prix de l’énergie est un facteur de
compétitivité. Par ailleurs, que ce soit dans la production, le transport et
la distribution d’électricité ou dans celui des transports et du logement,
nous avons à réaliser dans les prochaines années des investissements
considérables, de l’ordre de la centaine de milliards d’euros annuels. Enfin
la question énergétique se pose certes en France mais plus généralement dans
un cadre européen et mondial.
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Sortir de la fascination des leurres introduits sur la scène
médiatique par les « technoptimistes »
Il s’agit bien d’une inflexion dans un pays où la priorité a
toujours été la production d’électricité d’origine nucléaire et l’importation d
‘énergies fossiles. Il n’est d’ailleurs pas anecdotique que le nucléaire et les
gaz de schiste aient été considérés médiatiquement comme les sujets clefs,
alors qu’ils ne le sont qu’en creux. Ils incarnent une croyance en l’absence de
limites, alors que le DNTE a eu pour but, précisément, de faire face à la
réalité des dites limites. Si les technologies nucléaires actuelles se
heurtent au stocks limités d’uranium, la génération 4 (surrégénérateurs, à
l’instar de Super Phénix, dont il est espéré qu’elle soit disponible
industriellement avant le milieu de ce siècle) et encore plus la fusion
(dont rien ne garantit qu’elle débouche un jour !) font encore rêver
d’un monde sans limite énergétique. Quant aux gaz de schiste, ils
semblent permettre de démentir les tenants du peak oil : « vous voyez
bien les hydrocarbures, quand il n’ y en a plus il y en a
encore !!! »
Il est pourtant clair qu’il s’agit dans les deux cas de
dangereux leurres. S’il est indéniable que les gaz et pétroles
non-conventionnels permettraient de prolonger un peu les plateaux de production
mondiaux des gaz et pétrole, ils ne changent pas radicalement la donne. En
Europe, il est bien établi que la production éventuelle d’hydrocarbures non
conventionnels ne changerait en rien les prix du gaz et encore moins du pétrole[4]. Plus profondément, qu’il y ait sous terre plus
d’hydrocarbures qu’imaginé il y a quelques années ne change rien : c’est
toujours trop par rapport à ce qu’il suffit de brûler pour augmenter trop la
température moyenne planétaire[5]. Quant au nucléaire, si son développement n’a pas été
arrêté net par Fukushima, il reste modeste et n’est pas non plus de nature à
changer la donne : son déploiement est inconcevable à grande échelle dans
bien trop de pays. En énergie primaire, il ne représente que 7 % du mix mondial
et sa part relative est amenée à décroître.
Bref qu’on le veuille ou non, notre monde énergétique reste
obstinément fini et pour les décennies qui viennent nous allons devoir à
partager et…à consommer moins.
Retour en France : que doit-on faire ?
Le DNTE va produire des recommandations, certaines assez
précises (réduire les vitesses sur autoroute, route, et en ville, mettre
en place un Conseil d’Orientation de la Transition Energétique) d’autres
plus générales (développer les mécanismes permettant le financement
participatif des citoyens). Elles vont cependant dans le bon sens. Il
appartient maintenant au gouvernement d’en faire un projet de loi de
programmation et de le soumettre au Parlement. Le plus dur reste donc à
faire.
La baisse de la consommation d’énergie nécessite :
- une hausse de la fiscalité sur les carburants et les
combustibles fossiles
- un plan d’investissement ambitieux (de l’ordre
de la dizaine de milliards d’euros privés ou publics, en plus chaque année,
de la tendance actuelle[6]) en particulier dans la rénovation thermique du bâtiment
(tertiaire ou résidentiel)
- une hausse des prix de l’électricité
La montée en puissance des ER suppose :
- pour les ER électriques, une hausse de la
Contribution de Service Public de l’Energie (aujourd’hui de 13,5 euros le MWh
soit 10 % du prix TTC de l’électricité au particulier) pour financer l’écart
entre le prix de marché et le coût de revient de ces ER. En ordre de grandeur
elle pourrait doubler dans la décennie qui vient, mais tout dépendra bien sûr
de l’ambition politique et de l’évolution du prix de marché européen de l’électricité
-pour les autres ER il faudra des dispositifs de soutien
(doubler le fonds chaleur, créer un fonds de mobilisation de la biomasse etc.)
Pour que les territoires puissent prendre une part plus
active dans la maîtrise de l’énergie il leur faudra des responsabilités
nouvelles et a minima des pouvoirs d’expérimentation.
Le gouvernement va-t-il initier ce changement de cap ?
Le gouvernement doit faire face à au moins 5
obstacles :
- une Direction Générale du Trésor obsédée par la peur des
dépenses publiques, très hostile à toute hausse de la CSPE et à tout
mécanisme d’aide dans le domaine des ER et de l’efficacité énergétique.
- le PDG actuel d’EDF qui affiche sans complexe- et surtout
sans être contredit par le gouvernement- sa propre stratégie, (pas de fermeture
de Fessenheim et prolongement à 50-60 ans du parc nucléaire[7]) fondamentalement différente de celle sur laquelle s’est
engagée le Président de la République.
- des producteurs d’énergie de taille mondiale dont l’intérêt
semble être globalement celui d’une hausse des consommations
- des organisations syndicales qui défendent les emplois
protégés d’aujourd’hui et sont majoritairement[8] peu ouvertes au changement
- une opinion publique qui voit d’un très mauvais œil toute
hausse d’impôts ou de l’énergie
Par ailleurs, le calendrier politique et électoral (débat
sur les retraites à la rentrée, puis discussion sur un budget d’austérité,
municipales en mars et européennes en qui s’annoncent mal pour la majorité
actuelle) n’est sans doute pas favorable à un débat parlementaire de fond sur
un changement de trajectoires et des mesures difficiles à faire passer.
Le gouvernement hésite. Quelques mesures semblent aller dans
le bon sens (hausse du prix de l’électricité, une rallonge du Plan d’Investissement
d’Avenir vers la transition énergétique, une grande fermeté sur les gaz de
schiste[9]) mais comment ne pas constater :
- une absence de prise de parole du Président de la
République et de son Premier Ministre sur le rappel des grandes
orientations que le gouvernement souhaite faire prendre en matière énergétique
- l’annonce d’un plan d’investissement le 8 juillet
concernant la transition énergétique, sans attendre la fin du débat prévue…le
18 juillet, et le limogeage le 2 juillet du ministre en charge de ce débat et
du choix de ses orientations finales
- un financement du PIA par la cession annoncée de
participations de l’Etat dans des entreprises publiques : la vente
d’actions d’EDF aurait-elle motivé la hausse des prix de l’électricité[10] ? Une privatisation accrue d’EDF conduirait-elle à
une meilleure prise de l’Etat sur la politique énergétique du pays ?
- la non publication d’un décret rendant obligatoire la
rénovation des bâtiments tertiaires (amendement Gauchot[11], négocié et rédigé dans le dernier quinquennat, suite au
Grenelle de l’environnement et toujours enterré)
- un plan bâtiment à ce stade sans aucune ambition
Bref ses atermoiements actuels font douter de la volonté du
gouvernement de transformer l’essai après ce débat plus productif sans doute
qu’attendu. Si le débat au Parlement sur la proposition de loi de programmation
est repoussé au-delà des élections européennes (fin mai 2014), que
restera-t-il des recommandations faites mi-2013 ?
Il me semble qu’il appartient aux acteurs de ce débat de
défendre leur travail et leur engagement, afin d’éviter toute tentation à
l’équipe au pouvoir. La transition énergétique reste la meilleure solution pour
sortir du marasme économique actuel (voirhttp://alaingrandjean.fr/2013/05/13/la-transition-energetique-est-la-clef-de-la-sortie-du-marasme-actuel/).
Elle est la base d’un nouveau projet de société et d’un nouveau modèle
économique. Ne perdons pas de temps.
——————————————————————————————–
[1] http://www.transition-energetique.gouv.fr/ Pour
information : ont été organisés près de 1000 débats rassemblant 170000
personnes, une journée citoyenne impliquant 1115 citoyens dans 14
régions ; 36 cahiers d’acteurs, 1200 contributions citoyennes sur internet
ont été fournies. Le débat se conclura par une quinzaine de grandes
recommandations et une centaine de propositions assez concrètes.
[2] Selon l’AIE, les ER électriques (dont
l’hydraulique) produiront dans le monde en 2016 plus que le gaz et deux fois
plus que le nucléaire (Voirwww.iea.org/Textbase/npsum/MTrenew2013SUM.pdf)
[3] La France s’est engagée à diviser par 4 ses émissions
de GES en 2050 par rapport à leur niveau de 1990, malgré la hausse sur ces 60
ans de sa démographie. Cet objectif concerne tous les gaz et ne pourrait être
atteint aujourd’hui que par une ambition encore plus forte sur le CO2. (voir..)
[4] Ces affirmations ont été bien documentées dans le
débat ; dès que possible les documents seront accessibles sur le site du
débat. En attendant voir par exemple l’article que j’ai écrit dans les cahiers
français n°373 « Gaz de schiste, miracle ou mirage ? »
[5] Voir http://alaingrandjean.fr/2013/05/02/les-hydrocarbures-non-conventionnels-au-secours-du-climat/
[6] Une centaine de milliards d’euros dans la production
le transport et la distribution d’énergie, le batiment et le transport
[7] Moyennant une opération dite de « grand
carénage » coûtant selon les dernières estimations environ 70
Milliards d’euros ; voirhttp://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20130710.OBS8853/edf-reviserait-le-cout-des-travaux-sur-ses-centrales.html
[8] La CFDT reste l’exception notable, qu’il faut
souligner ; c’est la seule centrale syndicale qui assume la nécessaire
transition des emplois et compétences professionnelles.
[9] Qui s’explique surtout par des considérations
politiques évidentes : le risque est très élevé de faire face à une
« jacquerie » ingérable
[10] En 2005 la première privatisation partielle
d’EDF avait été précédée d’une hausse des tarifs. Là après l’annonce des deux
fois 5% le cours d’EDF a cru de près de 10%…
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