MÉDIAPART | 08 JUILLET 2013 | PAR ATTAC FRANCE
Par Dominique Plihon, porte-parole d’Attac France
et Peter Wahl, président de WEED, Allemagne
La France avait soutenu l’introduction d’une taxe sur
les transactions financières (TTF) à l’échelle européenne sous la
présidence Sarkozy. Lorsqu’il était devenu clair que la TTF ne serait pas
acceptée par les 27 Etats membres de l’UE – la Grande Bretagne, la Suède
et le Luxembourg étaient farouchement contre – un groupe de onze pays1 a
choisi la méthode de la « coopération renforcée » pour
introduire la taxe en s’appuyant sur le projet de directive de la Commission.
Le projet de la Commission n’était certes pas parfait, mais il constituait un
pas en avant important, et bénéficiait du soutien de la société civile. La
France avait activement soutenu cette initiative. François Hollande s’était
énergiquement prononcé pour la TTF dans sa campagne électorale.
Lorsque le groupe de travail (prévu par la procédure de coopération
renforcée) avait commencé ses négociations en février dernier, il
apparaissait que la France, représentée à l’époque par le Ministère du budget,
allait jouer un rôle constructif. Après la chute de Cahuzac, le Ministère des
Finances a pris en charge ce dossier. Depuis lors, la France a fait machine
arrière et semble avoir rallié le camp des adversaires de la taxe. Alors qu’il
déclare publiquement défendre la TTF, le ministère français exige en coulisse
des exceptions qui, prises ensemble, feraient de la taxe une farce sans effet
régulateur et avec des recettes ridiculement faibles !
Lors de la réunion du groupe de travail du 22 mai, le
ministère a ainsi déclaré voir beaucoup de problèmes dans la proposition de la
Commission et a demandé l’introduction d’amendements d’une portée considérable.
Le Ministère des Finances français remet en cause les points suivants:
- Le principe d’origine: le projet de la Commission
prévoit plusieurs mesures contre l’évasion fiscale, dont le premier est le
principe d’origine. Cela veut dire qu’une banque française est taxée même
si elle fait une transaction en dehors de l’Union européenne, par exemple à New
York. En complément de ce principe la Commission veut taxer selon le
principe d’émission. Ici, le critère est l’origine de l’instrument et non pas
de l’institution financière. C’est-à-dire qu’une action de Renault vendue à
Hongkong par une banque japonaise serait aussi taxée. Le ministère français ne
veut appliquer que le principe d’émission. Mais puisque la plupart des produits
dérivés sont traités sur des marchés de gré à gré et ne donnent pas lieu à
émission, la position française permettrait à une part importante des
transactions d’échapper à la taxation.
- Taxation de chaque transaction: tandis que la Commission
propose de taxer chaque transaction, le ministère français veut taxer les
opérations après compensation. Cela signifie que la taxe ne serait prélevée
qu’une fois par jour, à la clôture du marché. En ce cas, les revenus ne seraient
qu’un petit pourcentage de la première méthode ; la TTF perdrait son effet
régulateur, en particulier sur les transactions à haute fréquence.
- Taxation des vendeurs et acheteurs: le projet de la
Commission prévoit la taxation sur les deux bouts d’une transaction,
c’est-à-dire que le vendeur et l’acheteur doivent payer. Le ministère français
demande de ne taxer que les vendeurs, réduisant ainsi de moitié les recettes
fiscales.
- Taxation au sein d’un groupe : le projet de la
Commission souhaite taxer les transactions au sein d’un groupe, par exemple
entre la maison-mère et ses filiales. Le ministère de finances français est
contre cette proposition.
- Valeur nominale de dérivés : la Commission
propose de taxer un produit dérivé selon la valeur nominale couverte par le
produit, et non pas selon le prix du produit lui-même. Si Paribas vend
une option pour l’achat d’actions dans deux mois pour cent millions d’euros, ce
seront les cent millions qui sont taxés. Le prix de l’option est normalement
entre 3 % et 5 % de la valeur nominale. La proposition française signifierait
donc une réduction de la taxe d’au moins 95 %.
- Repos : enfin, la France demande que les « repos »
(opérations de pension) soient exemptés de la TTF. Les repos sont
des crédits à très court terme (quelques heures ou une nuit) entre banques, qui
sont généralement utilisés pour financer des opérations spéculatives.
Juridiquement, les repos sont – à juste titre - considérés comme des
transactions. Ils doivent donc être assujettis à la TTF. L’exemption des repos
serait une prime à l’économie de casino que souhaite combattre la TTF.
Ce recul de la France a eu lieu derrière des portes closes
sans aucune transparence, ni légitimation démocratique. L’Assemblée Nationale
ne semble pas être au courant. Bien sûr, il ne s’agit pour le moment que de
négociations techniques entre hauts fonctionnaires. Mais si le gouvernement
Hollande-Ayrault valide la position régressive de Bercy, cela signifiera qu’il
a capitulé sous la pression du Medef et de la Fédération française des banques
pour qui la TTF serait « destructrice de richesse ». La TTF serait
alors une caricature de la proposition de la Commission.
1 Entre
autres l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France,
l’Italie.
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