PAR MATHIEU MAGNAUDEIX | 15 JUILLET 2015 |
Avec 412 voix pour, gauche et droite confondues, 69 contre et 49
abstentions, les députés ont massivement approuvé l'accord signé lundi. Au prix
d'une cacophonie à la gauche de la gauche.
Lorsqu’on est contre l’austérité, peut-on voter pour un accord qui
l’aggrave ? Quand Alexis Tsipras lui-même assure « ne pas croire » à l’accord
signé sous la contrainte dans la nuit de dimanche à lundi, le maintien de la
Grèce dans la zone euro vaut-il un « oui » du Parlement
français ? Depuis dimanche soir et la fin de la négociation au long cours
sur le plan d’aide à la Grèce, les frondeurs socialistes, les écologistes et le
Front de gauche, soutiens de Tsipras et partisans d’une politique européenne
alternative, sont désarçonnés : le premier ministre grec, héraut de la
lutte contre l’austérité en Europe, l’homme qui a osé convoquer un référendum
pour faire voter son peuple, a dû rendre les armes à Bruxelles.
L’accord signé, qui exclut toute annulation de la dette, impose
à la Grèce de voter en quelques jours des mesures très dures, préalable à
toute négociation sur une troisième aide financière. À Athènes, Syriza, le
parti de gauche radicale au pouvoir, se
déchire ouvertement.
Fallait-il donc le rejeter, au risque de donner le sentiment de lâcher
Tsipras ? Ou bien l’avaliser, puisque Athènes l’a signé pour ne pas être
expulsé de la zone euro ? Avec 412 voix pour, voix de gauche et de droite confondues,
69 contre et 49 abstentions, l’Assemblée nationale, mais aussi le
Sénat, ont massivement choisi la seconde option, ce mercredi 15 juillet.
Mais pour les partisans d’Alexis Tsipras en France, du PS au Front de gauche,
le grand dilemme s’est traduit par une cacophonie de votes, tandis que Manuel
Valls se félicitait à la tribune d'« un accord responsable, global,
difficile et qui doit s’inscrire dans la durée ».
Malgré ses efforts, le député socialiste Pouria Amirshahi, qui
avait plaidé pour que les frondeurs socialistes, le Front de gauche et
EELV adoptent une position commune afin de « faire bloc », a vu
ses espoirs défaits. À l’Assemblée, les frondeurs socialistes, qui s’étaient
réunis dans la matinée pour constater leurs divergences, se sont partagés entre
le « oui » (l’ancien ministre Benoît Hamon, Christian Paul,
Henri Emmanuelli) et l’abstention (Pouria Amirshahi, Pascal Cherki, Fanélie
Carrey-Conte, Barbara Romagnan, etc.).
Neuf députés EELV ont voté pour (en gros, ceux qui soutiennent l’entrée
des écologistes au gouvernement), deux ont voté contre (Noël Mamère et
l’apparentée Isabelle Attard), quatre se sont abstenus et deux n’ont pas pris
part au vote, dont l’ex-ministre Cécile Duflot, auteure d’une tribune inquiète
où elle met en garde contre une possible « mort violente » de l’Europe.
Au départ divisés, les élus Front de gauche se sont finalement mis d’accord
pour voter contre, mais au prix de quelques pirouettes.
Dès dimanche, l’accord de Bruxelles a troublé les soutiens de Tsipras.
Sitôt l’accord signé, une partie de la gauche radicale, NPA et aile gauche de Syriza en tête, a dénoncé un « accord odieux » et la « capitulation » de Tsipras.
Le Parti de gauche, lui, a préféré dénoncé un « coup d’État orchestré par madame Merkel avec la complicité de monsieur Hollande » – comme de nombreux internautes arborant sur les réseaux sociaux le hashtag #ThisIsACoup. Mais Jean-Luc Mélenchon, le cofondateur du Parti de gauche, qui a toujours cité Tsipras en « exemple », a refusé de déjuger le premier ministre grec. « Notre solidarité avec Tsipras est acquise. Elle n’est pas en jeu », a assuré Mélenchon, qui a très vite revendiqué une « marge critique » sur l’accord en lui-même. « Tsipras s’est battu, il a résisté, abonde le secrétaire national du parti, Alexis Corbière. Il y a une volonté de sanction de la droite allemande de cette expérience politique. C’est scandaleux. M. Tsipras est une victime. […] La construction européenne prend un caractère monstrueux. » Logiquement, Jean-Luc Mélenchon avait appelé les députés à voter mercredi « contre l’accord Merkhollande », qui « va amplifier la récession et accélérer le pillage du pays ». « Voter l’accord c’est valider les méthodes qui l’ont permis », a -t-il écrit sur son blog. Pour lui, s’abstenir est « reculer devant le choix ».
Mais au Front de gauche, tous n’étaient pas sur cette ligne dès le départ. Lundi, alors que l’Élysée communiquait sur le rôle de François Hollande pour infléchir la position allemande, le secrétaire national du PCF Pierre Laurent avait salué le texte final de la négociation de Bruxelles. « Ce qui vient d'être obtenu l'a été grâce au courage d’Alexis Tsipras, de son peuple et de l'engagement de la France. » Le président des députés Front de gauche à l’Assemblée, André Chassaigne, avait bien dénoncé un « mauvais accord », mais il avait annoncé qu’il proposerait à son groupe de voter pour « dans la mesure où Alexis Tsipras vote cet accord ». Mais des élus l’avaient contredit, comme Marie-George Buffet, opposée à une « politique d’austérité appliquée de manière autoritaire aux peuples d’Europe ».
Finalement, Pierre Laurent a changé d’avis. Mercredi, dans L’Humanité, il a dénoncé« le contenu d’un accord qui a été conçu par les dirigeants allemands en tout point pour humilier le peuple grec ». À l’unisson, les députés Front de gauche (tous sont issus du PCF) se sont mis d’accord, quelques heures avant le vote, pour voter contre. André Chassaigne s’est justifié d’avoir tourné casaque. « Mon premier réflexe, en apprenant qu'il y avait accord, que la Grèce n'allait pas être éjectée de l'euro et que l'asphyxie financière semblait évitée, était de marquer ma solidarité avec Alexis Tsipras, qui a eu un immense courage, beaucoup d'intelligence et de détermination », a-t-il dit à un journaliste de l’AFP. Il explique avoir ensuite « découvert le contenu du texte, le pire jamais vu ». À la tribune, mercredi, Chassaigne n’a pas eu de mots assez durs contre un accord « soumission, humiliation, libéralisation ». « Il s’agit de faire payer au peuple grec le fait d’avoir osé dire “non” à l’Europe de l’orthodoxie financière, “non” à l’asphyxie de leur pays », a déclaré le député communiste.
Pro-européen et fédéraliste, soutien de Syriza mais alarmé par les mesures contenues dans le plan, EELV s’est profondément divisé au moment de voter. « On veut soutenir Tsipras, et en même temps l’accord qu’il a été contraint de signer est un mauvais accord, avait résumé quelques heures plus tôt la secrétaire nationale Emmanuelle Cosse. C’est un dilemme extrêmement difficile. Soutenir le peuple grec veut dire valider un accord qui pose des conditions jugées […] surréalistes, irréalisables. Un accord qui permet à la Grèce de récupérer 85 milliards d’euros mais avec des réformes qui vont aggraver la situation sociale de ce pays. » À l’issue d’une longue réunion entre élus et dirigeants, Cosse a donc arrêté une ligne politique : « soutenir Tsipras, et en même temps dénoncer cet accord. » Qui s’est en réalité traduite par une multiplicité de votes. « Nos parlementaires vont voter soit oui, soit ne pas participer au vote », avait-elle assuré. Raté : en plus de Noël Mamère et d’Isabelle Attard, qui ont quitté EELV, Sergio Coronado a lui aussi voté contre. Et quatre élues, dont la présidente des affaires européennes de l'Assemblée, se sont abstenues…
Au vu des explications de vote et des déclarations des uns et des autres, il est parfois difficile de distinguer ce qui différencie les tenants du « oui », du « non » ou de l’abstention. L’ancienne ministre Aurélie Filippetti explique ainsi avoir voté « oui » pour « manifester […] [s]on soutien au Premier ministre grec Alexis Tsipras et surtout au maintien de la Grèce dans la zone euro ». Tout en admettant que « cet accord est trop dur, et il ne permettra pas une solution pérenne : seule la restructuration et l’allègement de la dette grecque nous sortiront de la crise européenne ». À peu près les mêmes arguments que Pascal Cherki, qui avait fait le voyage d’Athènes au moment du référendum et s’est abstenu, après avoir hésité à voter contre un accord qui « va aggraver la situation en Grèce ».
Parmi les frondeurs et les écologistes, ceux qui ont voté « oui » admettent tous que l’accord est mauvais. « C’est un accord incontournable, ça n'en fait pas un bon accord », assure Christian Paul, le chef de file de la motion B, pour qui « tout reste à faire », notamment sur la question de la dette. « L’ingérence imposée à la Grèce, au-delà même des questions budgétaires et fiscales, est intolérable », assure-t-il. « Tsipras a signé cet accord, qui est préférable à la sortie de la Grèce », explique Laurent Baumel, qui a voté « oui ». « Mon “oui” n’est pas un blanc-seing à l’accord, mais un “oui” à une discussion qui va continuer car rien n’est réglé », explique Christophe Cavard, qui vient de quitter EELV, lassé des querelles internes.
Dans le groupe socialiste et apparentés de l'Assemblée, aucun député n’a toutefois voté contre l’accord, à l’exception de deux des trois chevènementistes. Et un seul au Sénat, en l'occurrence, Gaëtan Gorce. Les réfractaires, qui ne sont finalement que neuf au Palais-Bourbon (c'est peu au regard de la trentaine de frondeurs), ont opté pour l’abstention – deux sénateurs PS se sont abstenus.
Dès dimanche, l’accord de Bruxelles a troublé les soutiens de Tsipras.
Sitôt l’accord signé, une partie de la gauche radicale, NPA et aile gauche de Syriza en tête, a dénoncé un « accord odieux » et la « capitulation » de Tsipras.
Le Parti de gauche, lui, a préféré dénoncé un « coup d’État orchestré par madame Merkel avec la complicité de monsieur Hollande » – comme de nombreux internautes arborant sur les réseaux sociaux le hashtag #ThisIsACoup. Mais Jean-Luc Mélenchon, le cofondateur du Parti de gauche, qui a toujours cité Tsipras en « exemple », a refusé de déjuger le premier ministre grec. « Notre solidarité avec Tsipras est acquise. Elle n’est pas en jeu », a assuré Mélenchon, qui a très vite revendiqué une « marge critique » sur l’accord en lui-même. « Tsipras s’est battu, il a résisté, abonde le secrétaire national du parti, Alexis Corbière. Il y a une volonté de sanction de la droite allemande de cette expérience politique. C’est scandaleux. M. Tsipras est une victime. […] La construction européenne prend un caractère monstrueux. » Logiquement, Jean-Luc Mélenchon avait appelé les députés à voter mercredi « contre l’accord Merkhollande », qui « va amplifier la récession et accélérer le pillage du pays ». « Voter l’accord c’est valider les méthodes qui l’ont permis », a -t-il écrit sur son blog. Pour lui, s’abstenir est « reculer devant le choix ».
Mais au Front de gauche, tous n’étaient pas sur cette ligne dès le départ. Lundi, alors que l’Élysée communiquait sur le rôle de François Hollande pour infléchir la position allemande, le secrétaire national du PCF Pierre Laurent avait salué le texte final de la négociation de Bruxelles. « Ce qui vient d'être obtenu l'a été grâce au courage d’Alexis Tsipras, de son peuple et de l'engagement de la France. » Le président des députés Front de gauche à l’Assemblée, André Chassaigne, avait bien dénoncé un « mauvais accord », mais il avait annoncé qu’il proposerait à son groupe de voter pour « dans la mesure où Alexis Tsipras vote cet accord ». Mais des élus l’avaient contredit, comme Marie-George Buffet, opposée à une « politique d’austérité appliquée de manière autoritaire aux peuples d’Europe ».
Finalement, Pierre Laurent a changé d’avis. Mercredi, dans L’Humanité, il a dénoncé« le contenu d’un accord qui a été conçu par les dirigeants allemands en tout point pour humilier le peuple grec ». À l’unisson, les députés Front de gauche (tous sont issus du PCF) se sont mis d’accord, quelques heures avant le vote, pour voter contre. André Chassaigne s’est justifié d’avoir tourné casaque. « Mon premier réflexe, en apprenant qu'il y avait accord, que la Grèce n'allait pas être éjectée de l'euro et que l'asphyxie financière semblait évitée, était de marquer ma solidarité avec Alexis Tsipras, qui a eu un immense courage, beaucoup d'intelligence et de détermination », a-t-il dit à un journaliste de l’AFP. Il explique avoir ensuite « découvert le contenu du texte, le pire jamais vu ». À la tribune, mercredi, Chassaigne n’a pas eu de mots assez durs contre un accord « soumission, humiliation, libéralisation ». « Il s’agit de faire payer au peuple grec le fait d’avoir osé dire “non” à l’Europe de l’orthodoxie financière, “non” à l’asphyxie de leur pays », a déclaré le député communiste.
Pro-européen et fédéraliste, soutien de Syriza mais alarmé par les mesures contenues dans le plan, EELV s’est profondément divisé au moment de voter. « On veut soutenir Tsipras, et en même temps l’accord qu’il a été contraint de signer est un mauvais accord, avait résumé quelques heures plus tôt la secrétaire nationale Emmanuelle Cosse. C’est un dilemme extrêmement difficile. Soutenir le peuple grec veut dire valider un accord qui pose des conditions jugées […] surréalistes, irréalisables. Un accord qui permet à la Grèce de récupérer 85 milliards d’euros mais avec des réformes qui vont aggraver la situation sociale de ce pays. » À l’issue d’une longue réunion entre élus et dirigeants, Cosse a donc arrêté une ligne politique : « soutenir Tsipras, et en même temps dénoncer cet accord. » Qui s’est en réalité traduite par une multiplicité de votes. « Nos parlementaires vont voter soit oui, soit ne pas participer au vote », avait-elle assuré. Raté : en plus de Noël Mamère et d’Isabelle Attard, qui ont quitté EELV, Sergio Coronado a lui aussi voté contre. Et quatre élues, dont la présidente des affaires européennes de l'Assemblée, se sont abstenues…
Au vu des explications de vote et des déclarations des uns et des autres, il est parfois difficile de distinguer ce qui différencie les tenants du « oui », du « non » ou de l’abstention. L’ancienne ministre Aurélie Filippetti explique ainsi avoir voté « oui » pour « manifester […] [s]on soutien au Premier ministre grec Alexis Tsipras et surtout au maintien de la Grèce dans la zone euro ». Tout en admettant que « cet accord est trop dur, et il ne permettra pas une solution pérenne : seule la restructuration et l’allègement de la dette grecque nous sortiront de la crise européenne ». À peu près les mêmes arguments que Pascal Cherki, qui avait fait le voyage d’Athènes au moment du référendum et s’est abstenu, après avoir hésité à voter contre un accord qui « va aggraver la situation en Grèce ».
Parmi les frondeurs et les écologistes, ceux qui ont voté « oui » admettent tous que l’accord est mauvais. « C’est un accord incontournable, ça n'en fait pas un bon accord », assure Christian Paul, le chef de file de la motion B, pour qui « tout reste à faire », notamment sur la question de la dette. « L’ingérence imposée à la Grèce, au-delà même des questions budgétaires et fiscales, est intolérable », assure-t-il. « Tsipras a signé cet accord, qui est préférable à la sortie de la Grèce », explique Laurent Baumel, qui a voté « oui ». « Mon “oui” n’est pas un blanc-seing à l’accord, mais un “oui” à une discussion qui va continuer car rien n’est réglé », explique Christophe Cavard, qui vient de quitter EELV, lassé des querelles internes.
Dans le groupe socialiste et apparentés de l'Assemblée, aucun député n’a toutefois voté contre l’accord, à l’exception de deux des trois chevènementistes. Et un seul au Sénat, en l'occurrence, Gaëtan Gorce. Les réfractaires, qui ne sont finalement que neuf au Palais-Bourbon (c'est peu au regard de la trentaine de frondeurs), ont opté pour l’abstention – deux sénateurs PS se sont abstenus.
« On ne met pas une balle dans le pied de Tsipras, parce que
Tsipras n’est pas un traître comme le disent certains, mais on n’avalise
sûrement pas cet accord désastreux obtenu au forceps par des dirigeants
européens irresponsables, explique Pouria Amirshahi, en contact régulier avec
la direction athénienne de Syriza. Ceux qui ont voté pour prennent le
risque de nourrir le renoncement et la désespérance en Europe. »
« Je m’abstiendrai sur l’accord de Bruxelles pour que la Grèce
survive à court terme. Abstention critique sur propositions indignes », a
tweeté le frondeur Gérard Sébaoun.« Je ne veux pas ajouter ma voix ni à
ceux qui à droite vont refuser toute aide à la Grèce, comme dans le Nord de
l’Europe, ni à ceux qui expliquent qu’enfin Tsipras a dû se rendre compte des
réalités et qu’une seule politique est possible en Europe », explique la
sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann.
Finalement, c’est sans doute l’écologiste Esther Benbassa qui résume le
mieux l’équation impossible des pro-Tsipras : « Voter contre,
c'est voter contre Tsipras qui s'est tant battu. Voter pour, c'est avaliser la
colonisation de la Grèce. Reste l’abstention. »
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