PAR MARTINE ORANGE | 07 JUILLET 2015 |
La banque centrale n’a laissé aucune chance au gouvernement de Syriza
après la victoire du non. Lundi, elle a adopté une mesure étouffant un peu plus
le système bancaire grec, déjà totalement asphyxié. L’Europe a engagé
l’expulsion de la Grèce hors de la zone euro.
La banque centrale européenne (BCE) n’a laissé aucune chance au
gouvernement de Syriza après la victoire du non au référendum du dimanche 5
juillet. Pressée de laver l’affront grec, l’institution monétaire a donné la
réponse européenne. En fin de soirée, lundi, elle a annoncé qu’elle durcissait
les conditions pour assurer la liquidité du système bancaire grec, acceptant le
risque de provoquer un effondrement complet bancaire.
Alors que les banques grecques demandaient que le plafond des fonds
d’urgence de liquidité (emergency liquidity assistance, ELA) soit augmenté de
trois milliards, la banque centrale a refusé de changer la limite qu’elle avait
imposée il y a dix jours. L’aide à la liquidité reste gelée à 89 milliards
d’euros. Mais il y a plus grave : la BCE a décidé de durcir les conditions
imposées aux banques emprunteuses pour accéder au fonds d’urgence. Une décote
– la BCE n’en a pas précisé le montant, il est question de
10 % – va être appliquée sur les titres apportés en garantie (“collateral”)
par les banques grecques. Selon la Banque centrale, la détérioration de la
qualité de ces titres apportés en garantie – essentiellement des titres de
l’État grec – justifie cette décision.
C’est le dernier tour d’écrou imposé à la Grèce. Car la BCE ne peut ignorer
les conséquences de cette mesure. En imposant une décote sur les titres, elle
réduit de fait le montant des fonds d’urgence au système bancaire grec. Si la
décote est de 10 %, elle réduit de plusieurs milliards le montant des
fonds d’aide d’urgence. Si elle est de 60 %, la valeur des titres apportés
en garantie est presque ramenée à zéro, selon les estimations d’analystes de la
Barclays.
« S’ils font cela, la situation va devenir vraiment sérieuse. Cela
s’apparente à une tentative de renversement du gouvernement », avait
déclaré dimanche Euclide Tsakalotos, alors responsable de la négociation,
devenu entretemps ministre des finances après la démission, lundi, de Yanis
Varoufakis. Car couper les fonds d’urgence, au moment où le système bancaire
grec, fermé depuis huit jours, étouffe, c’est le conduire à la faillite. C’est
précipiter le pays vers la banqueroute et la sortie de l’euro.
Depuis huit jours, depuis la fermeture des banques, l’économie grecque
s’asphyxie et se trouve au bord du “collapse”. « Nous avons eu une
crise cardiaque », a confié un conseiller du gouvernement à Mediapart, en
commentant la fermeture des banques rendue obligatoire après la décision de la
BCE de ne pas augmenter les fonds d’urgence le 26 juin. « Notre
économie est en train de mourir, elle est en soins intensifs. Partout, tout est
en train de s’arrêter », a témoigné lundi l’économiste Dimitris
Athanasopoulos. Dans une lettre publiée lundi, le président de la chambre de
commerce grecque, Vasilis Korkidis, pressait le premier ministre, Alexis
Tsipras, de trouver rapidement un accord avec les Européens . « Le
dommage provoqué par la fermeture des banques est incalculable »,
écrit-il.
La liquidité manque partout. Selon les témoignages, les billets de 20
euros, de 10 euros comme les pièces de 1 euro sont en train de disparaître de
la circulation. Les banques n’ont plus assez de billets pour approvisionner les
distributeurs. Elles n’ont plus de réserves. Et le gouvernement a dû prendre la
décision de les maintenir fermées jusqu’à mercredi, dans l’espoir d’un accord
avec les Européens.
Comment la BCE peut-elle justifier une mesure qui conduit à serrer
encore un peu plus le nœud coulant autour de la Grèce ? Les traités,
répond-elle. Depuis des semaines, le président de la Bundesbank, Jens Weismann,
demandait l’application stricte des règles : il en allait de la
crédibilité de l’institution monétaire européenne, expliquait-il. La BCE, selon
les textes, ne peut prêter une assistance à la liquidité qu’à un système
bancaire momentanément en difficulté mais solvable. Or le système grec ne l’est
plus, a-t-il soutenu à de nombreuses reprises.
Mais les traités font aussi de la BCE la garante de la stabilité du
système monétaire européen. C’est même sa mission première. En acceptant la
perspective de mettre à terre les banques grecques, la banque centrale se
transforme en pompier pyromane : elle prend le risque de créer elle-même
la crise et de la diffuser dans tout le système européen. Les Européens se
disent assurés que rien de grave ne peut plus leur arriver, que tout est mis en
place désormais pour éviter la contagion. Les mises en garde du gouverneur de
la banque centrale d’Angleterre, Mark Carney, disant tout mettre en œuvre afin
de limiter les conséquences de la crise de l’euro, comme le brutal réveil du
premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, se disant soudain partisan du
maintien de la Grèce dans l’euro, tendent à prouver que ces assurances ne sont
pas partagées.
Preuve supplémentaire que la décision de la BCE est bien de
circonstance : depuis le début de la crise, Mario Draghi, prêt à tout pour
sauver l’euro, a pris l’habitude de sortir des cadres des traités. Du LTRO (les
1 000 milliards accordés aux banques) auquantitative easing (les 80
milliards dépensés chaque mois depuis janvier pour racheter des obligations
d’État), rien n’est conforme aux traités actuels.
La décision de la BCE, prise lundi soir, doit donc se lire pour ce
qu’elle est : politique. Elle a tiré un trait sur la ligne de défense
qu’elle avait posée à partir de l’été 2012 : l’euro n’est plus
irrévocable. « La Grèce peut être exclue », comme l’a reconnu un de ses membres, Benoît Cœuré, dans un
entretien aux Échos la semaine dernière. Joignant le geste à la
parole, la banque centrale a lundi baissé le pouce, condamnant la Grèce.
Elle s'aligne sur l'Allemagne qui a rallié nombre d'Européens à sa suite, tous
décidés à pousser Athènes hors de la zone euro.
Vers une sortie de l'euro
La réaction du ministre allemand Sigmar Gabriel, dimanche, après la
victoire du « non » grec, résume l’état d’esprit qui règne parmi les
responsables européens. « Tous les ponts sont coupés », a-t-il
commenté. Avant de lancer le lendemain un avertissement clair :« La
banqueroute finale est imminente. »
La menace n’est même plus voilée. Du non grec, les responsables
européens, même si certains émettent quelques réserves, ne veulent retenir
qu’une lecture : c’est un non à l’Europe. Même si officiellement, Angela
Merkel et François Hollande, à l’issue de leur rencontre lundi, disent vouloir « laisser
une dernière chance à la Grèce », ils ne lui en laissent aucune.
Balayant le résultat des urnes d’un revers de la main, ils sont prêts à
mettre à terre la Grèce, à moins que le gouvernement de Syriza n’accepte des
conditions encore plus dures que celles qu’il a rejetées précédemment. Pas
question de négocier une réduction de la dette, pas question de plan de
relance. C’est une reddition sans condition que l’Europe exige désormais de la
Grèce, mercredi, en la plaçant sous la menace explicite d’une explosion
immédiate de son économie. Elle veut voir Athènes comme les bourgeois de
Calais, la corde au cou.
Dans une conversation rapportée dimanche par l’éditorialiste du Telegraph, Ambrose Evans-Pritchard, Yanis
Varoufakis, alors encore ministre des finances, avait envisagé cette réaction
des Européens et anticipait le mouvement à mener. Pour faire face à
l’étouffement de l’économie et l’effondrement du système bancaire, celui-ci
envisageait la création d’une monnaie parallèle. « Si c’est
nécessaire, nous émettrons une monnaie parallèle et un IOU dans le style de la
Californie, dans une forme électronique. Nous aurions dû le faire il y une
semaine », confiait-il alors.
Un “IOU” pour I Owe You (je vous dois) est une reconnaissance
de dettes. L’État de Californie avait émis des titres semblables pour payer ses
fournisseurs au moment de la crise de Lehman Brothers. Il y a plus longtemps,
les assignats révolutionnaires, gagés sur les biens nationaux, étaient aussi au
départ une reconnaissance de dettes avant de devenir une monnaie d’échange.
Cette hypothèse est étudiée par de nombreux économistes : pour
eux, la mise en place d'IOU, qui leur semble le moyen le plus rapide pour
rétablir dans l’urgence un système d’échanges, conduirait à la création d’une
monnaie parallèle et à une sortie de l’euro.
De Paul Krugman à Joseph Stiglitz, en passant par nombre d’économistes
atterrés comme Henri Sterdyniak, ils sont de plus en plus nombreux à penser
que, contrairement à la volonté affichée de Syriza, la Grèce ne doit plus
s’accrocher à l’euro et doit sortir. Athènes, expliquent-ils, retrouverait
ainsi sa souveraineté monétaire, pourrait dévaluer très fortement – les
estimations varient entre 30 % et 60 % – sa monnaie par rapport
à l’euro, ce qui permettrait à son économie de rebondir, d’en finir avec une
austérité destructrice et de remettre ses finances publiques en ordre. Même si
les débuts risquent d’être très chaotiques et dangereux, à terme, la Grèce s’en
sortirait mieux que de garder le corset mortifère de l’euro, concluent-ils.
Les responsables européens en sont arrivés à la même conclusion, mais
pas pour les mêmes raisons. Ils veulent se débarrasser de l’élément
perturbateur grec, qui leur coûte trop cher, qui monopolise toute leur
attention depuis trop longtemps, qui les empêche d’aller vers la grande Europe
intégrée dont ils rêvent. Mais cette sortie de la Grèce de la zone euro, qu’ils
ont désormais engagée, ne va pas se passer de façon « ordonnée »,
comme le suggèrent certains, afin d’aider Athènes à en sortir le mieux et le
plus rapidement possible.
Tout se met en place pour que cette sortie se passe salement, laissant
des traces irrémédiables. C’est un pays ruiné, effondré, où l’économie a
explosé, sans système bancaire, sans monnaie, que l’Europe s’apprête à
expulser. Avec une joie mauvaise, les responsables des différents fonds
européens ont déjà annoncé qu’ils ne pourraient plus rien pour Athènes,
puisqu’elle est en faillite. Prenant à nouveau le contre-pied de ses services
qui, l’après-midi, avaient assuré être à la disposition de la Grèce pour
l’aider, Christine Lagarde a souligné, dans la soirée, que le FMI ne pourrait
rien non plus puisque la Grèce était en défaut de paiement. Quel crime a donc
commis la Grèce pour subir un tel traitement ? Toute rationalité semble
avoir disparu chez les Européens. C’est la sainte Inquisition qui brûle
l’hérétique, parce qu’il démontre, par les faits, l’inanité de ses croyances.
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