Mardi, à l’Assemblée, malgré une communication
ultra-huilée, le nouveau premier ministre n’a pas su convaincre toute la
majorité présidentielle sur son programme digne de la « troisième
voie » de Tony Blair et de Gerhard Schröder. A l'issue du discours de
politique générale, onze socialistes se sont même abstenus tandis que d'autres
annoncent qu'ils ne voteront pas le pacte de responsabilité "en
l'état".
Il n’y a pas eu de surprise. Mardi, à l’Assemblée, Manuel
Valls est resté conforme à ce qu’il cherche à incarner depuis son arrivée à
Matignon : une communication ultra-huilée et des mesures dignes de la « troisième
voie » de Tony Blair et Gerhard Schröder. Mais son choix réduit peu à
peu la majorité présidentielle qui a élu François Hollande.
Valls fait donc moins bien que Jean-Marc Ayrault qui avait
fait le plein au PS et auprès des écologistes – il avait obtenu 302 voix,
contre 306 pour Valls mais, à l’époque, il manquait 25 députés nommés ministres
en 2012 et dont les suppléants ne pouvaient pas encore voter. Quant aux 88
députés socialistes auteurs d’un appel à une réorientation de la politique
gouvernementale, l’écrasante majorité a voté la confiance mais ils
ont prévenu que cela ne valait pas approbation du pacte de responsabilité,
soumis dans les prochaines semaines au vote de l’Assemblée. "Nous
confirmons qu’après ce vote d’investiture, nous ne saurions adopter
le pacte de responsabilité en l’état. Nous ferons des contre-propositions
et des amendements", affirment dans un communiqué les initiateurs de
cet appel.
Le nouveau premier ministre a pourtant multiplié les
gestes d’ouverture vis-à-vis des députés, promettant de les associer
pleinement à l’action gouvernementale. Cette promesse n’a pas suffi. Car mardi,
avec l’aval de François Hollande, Manuel Valls a balayé, dans son
discours de politique générale, les demandes de « plus de
gauche et de plus d’écologie », relayées par des socialistes sonnés
par la défaite, l’idée de« rééquilibrer » la politique gouvernementale,
pour partie défendue par Jean-Marc Ayrault avant son départ forcé, la poursuite
de réformes de société souhaitées par une partie de la majorité, et la « remise
à plat » de la fiscalité portée par l’ex-premier ministre, mais dont
l’Élysée ne voulait pas.
À ce titre, cette fameuse « réforme
fiscale », promesse de campagne de François Hollande, fait figure de
symbole. À la place, Valls a repris – comme le président dans tous
ces derniers discours depuis septembre 2013 – le credo du « ras-le-bol
fiscal » lancé par Pierre Moscovici l’été dernier. À l’époque,
de nombreux socialistes, y compris des ministres comme Bernard Cazeneuve,
avaient déploré que le ministre des finances ne défende pas la vertu de
l’impôt, identitaire à gauche. Mardi, Valls n’en a dit mot. En revanche, il a
dénoncé « la feuille d’impôts déjà trop lourde » et annoncé
qu’il « faut en finir avec l’inventivité fiscale qui génère une
véritable angoisse chez nos concitoyens ».
Le « pacte de responsabilité » (devenu à
la deuxième mention de son discours le « pacte de responsabilité et
de solidarité » selon la nouvelle formule forgée à l’Élysée et qui
ressemble au « pacte
de développement et de solidarité » de Lionel Jospin en
1997) est à l’avenant. Conforme aux déclarations de François Hollande le 14
janvier dernier. Et conforme à l’orientation toute schröderienne de la
politique menée par le gouvernement depuis l’automne 2012.
Au-delà des mesures précises, les mots choisis par Manuel
Valls sont révélateurs : « pragmatisme » (« la
croissance ne se décrète pas, elle se stimule avec pragmatisme et
volontarisme »), « libérer les énergies »,« démarche
positive », « oser ces compromis positifs et créatifs » (à
propos du pacte), et bien sûr « modernité ». « Les
divergences d’intérêt existent, il ne s’agit pas de les effacer mais de les
dépasser, pour l’intérêt général. C’est ça la modernité ! » a
lancé Valls dans l’hémicycle plein comme un œuf.
Il y a quinze
ans, Tony Blair et Gerhard Schröder signaient le manifeste de la
« troisième voie » et ils écrivaient dès le deuxième
paragraphe : « La plupart des gens ont depuis longtemps
abandonné toute vision du monde fondée sur le clivage entre les dogmes de la
gauche et de la droite. » Avant de remplacer la conception de la
société divisée en classes sociales aux intérêts divergents par « les
gagnants et les perdants ». Comme eux à
l’époque, Manuel Valls a promis mardi une diminution de l’impôt sur
les sociétés.
En échange, la majorité mettra évidemment en avant les
phrases un peu plus offensives qu’à l’ordinaire sur l’austérité voulue par
Bruxelles et sur « l’euro fort », l’ambitieuse réduction du
millefeuille territorial promise, et surtout les mesures annoncées pour les
ménages les plus modestes.
Leur chiffrage (5 milliards d’euros pour l’instant) est
cependant très loin d’atteindre celui des aides aux entreprises, avec 30
milliards d’euros d’allègements du coût du travail, auxquels s’ajoutent les
baisses d’impôts (6 milliards pour la suppression de la C3S, la contribution
sociale de solidarité des sociétés, et la baisse de l’impôt sur les sociétés
non-chiffrée par M. Valls mardi). Surtout, elles risquent de faire pâle
figure à côté des 50 milliards d’euros d’économies sur trois ans, confirmés par
le premier ministre.
À ce propos, Manuel Valls a eu mardi une formulation
qui a fait sursauter plusieurs conseillers de l’exécutif sur la répartition des
économies (19 milliards pour l’État, 10 milliards pour l’assurance-maladie et
10 milliards pour les collectivités locales). « Le reste viendra
d’une plus grande justice, d’une mise en cohérence et d’une meilleure
lisibilité de notre système de prestations », poursuit alors Valls. « C’est
là qu’il y aura du sang et des larmes », soufflait à la sortie un proche
de François Hollande.
« Tout le détail n’est pas encore calé. Mais ce ne sera
pas 10 milliards d'euros de prestations sociales en moins… Cela viendra
notamment de la meilleure gestion des caisses et de la modernisation des
services. Comme pour les collectivités locales. Même chose pour
l’assurance-maladie : les économies prévoiront surtout une réorganisation
des hôpitaux et une baisse du prix des médicaments », tempérait dans la
foulée un conseiller du pouvoir. Avant d’excuser une « maladresse de
formulation » – un comble pour un premier ministre qui mise
autant sur la communication.
« Manuel n'a pas de ligne. Il va faire le service
après-vente »
Car c’est là l’essentiel de la mise en scène voulue par
Manuel Valls, spécialiste du genre. Il l’a prouvé en tant que directeur de la
communication du candidat Hollande pendant la campagne et par un soin tout
sarkozyste à gérer les caméras et les radios place Beauvau. Selon Le Monde,
son grand ami, le communicant Stéphane Fouks, était à ses côtés au ministère de
l’intérieur dans les heures précédant sa nomination à Matignon.
Depuis une semaine, Manuel Valls a déjà
« séquencé » son arrivée aux responsabilités, en annonçant en deux
temps le gouvernement (mercredi dernier pour les 16 ministres de plein
exercice, avant la liste des secrétaires d’État attendue mercredi 9 avril). Il
a fait le 20H de TF1 pour une prestation lisse mais sans cafouillages et
la Une du Journal du dimanche quatre jours plus tard où l’on a
appris que son chien s’appelait Homère et qu’il obéissait au nouveau maître de
Matignon.
Il a fait fuiter son programme alimentaire (jusqu’à son
appétit pour la « viande rouge ») et laissé entrer les caméras
d’i-Télé avant le discours de politique générale. Pour dire à
la télévision des phrases très calibrées comme : « Ce rythme,
moi je l’aime. » Ou : « J’ai besoin de sortir. Il faut
essayer de faire une vie normale. »Quant au discours de politique
générale, il lui a trouvé un titre qui parle bien plus de méthode, avec
des mots clés publicitaires, que du fond de sa politique : « vérité,
efficacité, confiance ».
L’exécutif s’est convaincu que les candidats socialistes aux
municipales ont avant tout souffert de l’incapacité chronique du gouvernement
de Jean-Marc Ayrault à « vendre » sa politique et à mettre
en scène l’action publique. « Manuel n’a pas de ligne. C’est celle de
François Hollande. Manuel, c’est une méthode et une priorisation des dossiers.
Il va faire le service après-vente, explique un proche du nouveau premier
ministre. C’est ce que nous demandaient les électeurs. Dans l’entre-deux
tours des municipales, j’ai entendu dans les quartiers de gauche le reproche
d’amateurisme. Le mot le plus gentil, c’était “bons à rien”. »
« On assume le réformisme et les politiques
structurelles. C'est vallsien. L'électorat socialiste nous a sanctionnés parce
que nous étions confus et que nous n'assumions pas. Nos couacs ont embrouillé
le message et entraîné la gauche dans une spirale déprimante », jure aussi
un conseiller du groupe socialiste à l’Assemblée. « C’est un type de
communication d’entreprise avec des objectifs, et la volonté de réhabiliter la
parole publique », s’enthousiasmait aussi à la sortie le porte-parole du
groupe PS Thierry Mandon.
Sauf qu’à réduire la politique à un slogan de communication
et à dépolitiser sans fin les votes des électeurs, Manuel Valls pourrait être
pris au piège d’une de ses phrases, prononcées mardi : « La parole
publique est devenue une langue morte. »
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