Le choix fait par François Hollande de nommer son ami
Jean-Pierre Jouyet au poste de secrétaire général de l'Élysée dit beaucoup sur
les dérives néolibérales dans lesquelles l'Élysée est aspiré mais aussi sur les
systèmes oligarchiques qui ont plus que jamais le vent en poupe.
Au risque de déplaire, il faut pourtant admettre que cette
promotion est « bavarde », et qu’elle en dit long d’abord sur
François Hollande. C’est peut-être cela qu’il y a de véritablement important
dans la promotion de Jean-Pierre Jouyet. Ce n’est pas tant que le monarque
républicain ait choisi un nouveau grand chambellan. Non ! C’est d’abord
que ledit grand chambellan fait office de miroir : au travers de lui, on
devine tous les défauts du maître, en même temps que ceux du système de pouvoir
qu’il a installé ou dont il profite.
Le premier effet de miroir, c’est celui qui révèle le fait
du Prince : ainsi donc, François Hollande nomme qui il veut où il veut. Et
même ses plus proches amis profitent de ses bonnes grâces. Jean-Pierre Jouyet,
qui est ainsi l’un de ses plus proches intimes, ne cesse d’en profiter. Comme
dans un système monarchique, il est passé devant tous les candidats potentiels
qui pouvaient briguer le poste de directeur général de la Caisse des dépôts, la
plus puissante institution financière française – il y en avait de plus
compétents et de plus légitimes que lui. Mais François Hollande n’a pas même
pris soin de soupeser leur candidature sinon même de les recevoir. Et bien que
son protégé puisse être en conflit d’intérêts compte tenu de ses anciennes
fonctions comme président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), il a fait
passer son bon plaisir avant les intérêts supérieurs de l’État. Et c’est ainsi
que Jean-Pierre Jouyet est devenu patron de la CDC, juste après l’alternance de
2012, dans des conditions pour le moins controversées (lire nos enquêtes de
l’époque Après
l’affaire Pérol, l’affaire Jouyet ! et Hollande cède
à la République des copains).
C’est donc ce même système de la République des copains qui
fonctionne aujourd’hui jusqu’à la caricature, puisque le plus proche des
copains est convié aux sommets de… la république pour en assurer le pilotage,
comme secrétaire général.
Ce système de copinage est d’autant plus accablant qu’il
contrevient au principe républicain de la reconnaissance du mérite et de l’effort.
À quoi bon se dépenser pour l’intérêt général ? Au
pays de la monarchie républicaine, c’est la courtisanerie qui commande… Voilà
en substance le message implicite à l'adresse des fonctionnaires, hauts et
petits, qui transparaît du cheminement professionnel de Jean-Pierre Jouyet. Et
le constat est d’autant plus ravageur que l’intéressé va être appelé à de
hautes fonctions alors qu’il va laisser derrière lui un bilan pour le moins
discutable, sinon même sombre, à la CDC. D’abord, il a contribué à porter un
très mauvais coup à l’intérêt général en offrant à l’été 2013 aux banques un
magot de près de 30 milliards d’euros en provenance de l’épargne réglementée. De surcroît, l’une des principales
filiales de la CDC, la Société nationale immobilière (SNI), a connu ces
dernières années de graves dérives, sous fond d’affairisme. Et Jean-Pierre Jouyet n’a rien
fait pour remettre de l’ordre dans sa maison, se bornant à commander une
mission d’expertise à deux hauts fonctionnaires, comme s’il ne connaissait pas
lui-même ce qui se passait dans sa propre maison. Ce rapport, qui devait être
rendu public avant la fin du mois de mars, n’est toujours pas bouclé ; et
ce sera donc le successeur de Jean-Pierre Jouyet qui devra en tirer les enseignements.
Le deuxième effet miroir ravageur, c’est la prime donnée à
l’infidélité en politique. Car Jean-Pierre Jouyet est l’un de ces oligarques
qui ont longtemps fait carrière sous la gauche, et qui ont brusquement changé
de conviction quand les vents ont tourné, pour devenir subrepticement
sarkozyste. Après l’alternance de 2007, on a vu Jouyet entrer, sans le moindre
scrupule, au sein du gouvernement de François Fillon, en qualité de secrétaire
d’État aux affaires européennes, et courir micros et caméras pour chanter les
louanges de Nicolas Sarkozy et de la politique conduite par lui.
Et le voilà, de nouveau, comme les vents ont encore tourné,
faire mouvement contraire, en 2012, pour continuer sa belle carrière sous le
quinquennat de son ami François Hollande.
« Allez vous faire voir ! »
L’effet de miroir va d’ailleurs au-delà de la promotion de
l’insincérité ou de l’infidélité en politique. Car, Jean-Pierre Jouyet est, en
vérité, très emblématique d’une fraction de l’oligarchie française, qui, dans
un perpétuel mouvement d’essuie-glace, peut aller de droite à gauche puis de
gauche à droite, mais en défend perpétuellement les mêmes idées. Est-il besoin
de préciser ? Des idées sorties tout droit de la boîte à idées du
néolibéralisme. En somme, la « pensée unique »…
Dans l’arrivée à l’Élysée de Jean-Pierre Jouyet au moment
précis où le gouvernement de Manuel Valls va accentuer ses cadeaux aux
entreprises et aggraver la politique d’austérité, il y a donc une coïncidence
qui ne doit, en fait, pas grand-chose au hasard. Car Jean-Pierre Jouyet
symbolise jusqu’à la caricature cette politique néolibérale que François
Hollande a prise pour cap depuis 2012. À l’instar d’un Pascal Lamy qui
multiplie les émissions pour défendre des petits boulots payés en dessous du
Smic – « Je sais que je ne suis pas en harmonie avec une bonne partie
de mes camarades socialistes, mais je pense qu’il faut, à ce niveau de chômage,
aller davantage vers de la flexibilité et vers des boulots qui ne sont pas
forcément payés au Smic », vient-il de déclarer à l’émission Questions
d’info de LCP et France Info –, Jean-Pierre Jouyet est en effet
capable de proférer des énormités libérales du même acabit, sans même s’en
rendre compte. Il en est d’autant plus capable qu’il n’a aucun sens politique
– tous ceux qui le connaissent le savent… et le redoutent – mais a du
mal à tenir sa langue.
De cette capacité à faire des gaffes, il avait d’ailleurs
donné des illustrations dès son arrivée à la tête de la CDC, en annonçant que
l’institution ne pourrait pas soutenir le site de Florange puisque sa mission
ne consistait pas à aider les « canards boiteux » – et
il avait fait cette sortie visiblement sans même se souvenir que la sauvegarde
du site de Florange était l’une des promesses phares de son ami François
Hollande.
Aux côtés de Louis Gallois (ancien patron d’EADS et
inspirateur du « choc de compétitivité »), de Jacques Attali ou
encore d’Anne Lauvergeon (ancienne patronne d’EADS), Jean-Pierre Jouyet est
donc l’un des représentants de cette oligarchie, issue de la gauche – de
cette « nomenklatura » de gauche – qui a ensuite été happée par
les milieux d’argent ou les cercles dominants de la finance, et qui en
défendent depuis systématiquement les intérêts. Sans grande surprise,
Jean-Pierre Jouyet fait d’ailleurs partie du saint des saints de l’oligarchie
française et de la pensée unique qu’est le Club Le Siècle, aux côtés de grands
patrons et de journalistes assez peu attachés aux principes éthiques.
Dans un billet en date du 26 janvier 2012 sur son blog
« Reporterre », mon confrère Hervé Kempf avait d’ailleurs raconté de
manière assez cocasse les conditions dans lesquelles il avait croisé
Jean-Pierre Jouyet à l’entrée du Siècle, peu de temps avant l’élection
présidentielle. L’interpellant pour savoir s’il était normal qu’un haut
fonctionnaire côtoie ainsi des banquiers, dans un lieu symbolique du
capitalisme de connivence à la française, il avait obtenu pour seule réponse de
l’intéressé qu’il s’agissait de sa vie privée. Et l’échange avait pris fin sur
cette invitation : « Allez vous faire voir ! »
Enfin, il y a un ultime effet de miroir : Jean-Pierre
Jouyet illustre le détestable mélange des genres entre affaires publiques et affaires
privées auxquelles François Hollande s’est laissé aller, suivant en cela le
très mauvais exemple de Nicolas Sarkozy.
Installant sa compagne de l’époque, Valérie Trierweiler,
dans un rôle de première dame, dans une tradition quasi monarchique qui contrevient
aux usages républicains, il en a joué, avec la presse et en a espéré des
retombées médiatiques, jusqu'à ce que l’on découvre que tout cela n’était qu’un
mensonge, puisqu’il avait par ailleurs une liaison avec une autre.
Or, dans ce psychodrame de cour, Jean-Pierre Jouyet, et son
épouse, Brigitte Taittinger, l’une des très riches héritières de l’empire du
même nom, qui a longtemps dirigé les parfums Annick Goutal avant de devenir la
directrice de la stratégie et du développement de Sciences-Po, ont joué des
rôles de confidents et d’assistants. CommeLe Monde l’a raconté (l’article est
ici, lien payant), c’est Brigitte Taittinger, dans la nuit avant que Closer révélant
la liaison présidentielle ne paraisse en kiosque, qui a exfiltré Valérie
Trierweiler de l’Élysée pour la conduire vers un hôpital, où elle est restée
quelque temps, à l’abri des caméras.
C’est aussi grâce à des dîners mondains chez Jean-Pierre
Jouyet et Brigitte Taittinger – qui connaît une bonne partie du CAC
40 – que François Hollande a fait la connaissance avant l’élection
présidentielle des principales figures du capitalisme parisien.
Avec Jean-Pierre Jouyet à ses côtés, mi-ami, mi-confident,
aujourd’hui de gauche, mais hier radicalement de droite, sautant d’un métier à
l’autre sans jamais y rester plus d’un an ou deux, sans grande autorité ni
véritable conviction et pour tout dire assez mou, c'est ainsi que François
Hollande va désormais travailler. Étrange mélange des genres ! Et surtout
étrange attelage qui ne présage rien de bon. Ni pour la gauche, ni pour la
République. François Hollande goûte-t-il de la sorte les délices des
institutions bonapartistes de la Ve République? Ou succombe-t-il aux mœurs
délétères dans lesquelles la SFIO a fini par se noyer ? Sans doute y
a-t-il un peu des deux...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos réactions nous intéressent…