jeudi 4 avril 2013

« Zéro déchet », le credo de l'économie circulaire

La Tribune - Dominique Pialot | 04/04/2013


De la reconversion à la réutilisation à l'infini de certaines molécules, les pratiques visant à préserver les ressources non renouvelables se multiplient en se réclamant de l'économie circulaire. Tour d'horizon, à la veille de la semaine du développement durable.
Où mieux que sur un bateau est-on directement confronté à la nécessité d'économiser les ressources" ? La navigatrice anglaise Ellen MacArthur, qui a créé en 2010 une fondation consacrée à l'économie circulaire, le répète à l'envi. Si ce terme en vogue recouvre différentes réalités, les rapports commandés par la Fondation Ellen MacArthur au cabinet McKinsey en exposent clairement les principes et les enjeux.
Publiés lors des deux dernières éditions du forum de Davos, ils situent d'emblée le sujet sur le plan économique. Il s'agit de rompre avec l'éternel refrain « extraire-fabriquer-jeter ». Sous l'effet de la croissance démographique, de l'urbanisation et d'une explosion sans précédent de la classe moyenne mondiale consommatrice de produits finis, ce modèle traditionnel s'avère en effet incompatible avec la finitude des ressources naturelles. Surtout, il expose entreprises et gouvernements à la volatilité des prix et aux aléas d'approvisionnement de certaines matières premières.
Sur les 65 milliards de tonnes de celles-ci injectées dans l'économie (en 2010), 80% ne sont valorisées sous aucune forme en fin de vie des produits qu'elles ont servi à fabriquer. Insoutenable à long terme. D'où l'idée d'un modèle industriel dans lequel la réparation des produits ou leur réinjection dans l'économie sous une forme différente repousserait à l'infini leur fin de vie.
À l'image d'un vêtement en coton usagé, d'abord envoyé dans un circuit d'occasion avant d'être utilisé comme garnissage dans l'ameublement puis transformé en matériau d'isolation pour le BTP. Pour pousser le concept d'économie circulaire jusqu'au bout, les fibres de coton pourraient in fine retourner à la nature. C'est pourquoi le recours à tout produit chimique doit être évité lors de la fabrication. Par ailleurs, les sources d'énergie utilisées se doivent d'être le plus renouvelables possible.
De l'auto au pantalon, tout est réutilisable
Dans le système visant le zéro déchet, le recyclage en est un maillon essentiel. « L'économie circulaire consiste à réintégrer une matière qui a déjà été utilisée dans la fabrication du même produit », précise Jean-Philippe Carpentier, président de Federec, Fédération de la récupération, du recyclage et de la valorisation. À l'image de son entreprise Nord Pal Plast, qui fournit à des fabricants de bouteilles le plastique récupéré à partir de bouteilles usagées.
Aujourd'hui, « l'économie circulaire se formalise et devient plus visible en entrant dans le champ politique », observe-t-il. Federec est membre fondateur de l'Institut de l'économie circulaire, créé en février 2013 par le député vert François-Michel Lambert, vice-président de la commission « développement durable et aménagement du territoire » de l'Assemblée nationale. Aux côtés d'autres parlementaires dont la sénatrice de Paris et ancienne secrétaire d'État à l'Écologie Chantal Jouanno, l'institut rassemble des établissements d'enseignement et de recherche (Kedge Business School), l'éco-organisme en charge de la collecte et du recyclage du papier, Ecofolio, et des entreprises : La Poste, qui utilise ses camions de livraison pour collecter du papier à recycler, GrDF, qui transforme les déchets en énergie, ou encore le Syndicat français de l'industrie cimentière, qui utilise des coproduits d'autres industries pour alimenter ses usines en combustibles alternatifs, moins polluants et moins onéreux que le charbon.
Avec l'objectif de présenter au Parlement d'ici à 2017 une loi sur l'économie circulaire comme il en existe déjà dans certains pays, l'institut entend identifier les freins à lever et les leviers à actionner pour instaurer cette économie d'un nouveau genre.
D'après les calculs de McKinsey, l'économie circulaire permettrait une division par deux des coûts de fabrication des téléphones portables grâce à une récupération systématique des vieux appareils et à un démontage facilité permettant de récupérer les matériaux qui les composent, dont les métaux rares, de plus en plus stratégiques. Elle pourrait faire économiser au Royaume-Uni 1,1 milliard de dollars par an en transformant en énergie et en compost les déchets alimentaires aujourd'hui enfouis. Pour l'industrie automobile mondiale, l'économie serait de 170 à 200 milliards de dollars.
En Europe, des évolutions réglementaires permettraient de lever certains freins. Mais le principal défi réside au sein même des entreprises, qui doivent inventer de nouveaux modèles afin de préserver leurs revenus tout en vendant moins (de volume, d'exemplaires, etc.). C'est tout le défi de l'économie de la fonctionnalité, où le service remplace le produit via des systèmes de location, leasing, etc. Ce système est utilisé de longue date par des groupes aussi différents que Xerox (qui depuis toujours vend des quantités de pages imprimées ou de copies et non des imprimantes) ou Michelin, qui vend à certains de ses grands comptes (dont les compagnies aériennes) des kilomètres parcourus. Le modèle fait tache d'huile et touche aussi désormais des produits de grande consommation tels que les jeans loués par la société néerlandaise Mud Jeans, moyennant un prix d'entrée et un coût de location mensuel, avec possibilité de faire réparer les accrocs et de le troquer contre un neuf après un an. Objectif affiché par Mud Jeans : s'assurer du retour et du recyclage des jeans.
La crise renforce la tendance au « partage »
Dans ces nouveaux modèles économiques, ce sont les services, dont, dans certains secteurs, des contrats de performance, qui garantissent les revenus des entreprises. La multiplication des interactions entre clients et fournisseur s induit des relations différentes et favorise une plus grande fidélité.
À plus ou moins brève échéance, tous les secteurs devront s'adapter à cette nouvelle donne, qui correspond aussi à de nouvelles attentes des consommateurs, en partie dictées par des contraintes budgétaires accentuées par la crise économique actuelle.
Autopartage, location d'appartements entre particuliers... la multiplication des sites de location mais aussi d'échanges et de troc en tous genres reflète cette tendance au partage. Aux acteurs historiques d'un secteur de prendre position sur ces nouvelles chaînes de valeur, sous peine de se faire couper l'herbe sous le pied par de nouveaux venus. C'est ce qu'a su faire par exemple Citroën avec Multicity sur le marché de la mobilité, qui ne se résume pas à celui de l'automobile.
Certains n'ont pas attendu la « mode » de l'économie circulaire pour optimiser l'utilisation des ressources, mais progressent en permanence à mesure que les technologies progressent. Ainsi, le fabricant américain de revêtements de sols Interface, fondé par Ray Anderson, figure emblématique de l'écologie industrielle aujourd'hui décédé, s'est toujours montré exemplaire sur le plan de son impact environnemental. En 2012, son opération Net-Works, menée en coopération avec la Zoological Society of London, a permis de collecter un million de tonnes de filets auprès de pêcheurs indonésiens. À partir des 20 millions de tonnes qu'il espère collecter, Interface fabriquera des dalles de sol. Le bénéfice environnemental se double d'un bénéfice social, les pêcheurs étant rémunérés pour rapporter leurs filets.
Dans le nord de la France, la société familiale Baudelet fait feu de tout bois pour traiter sur son site papier, carton, plastique et bois, mais aussi de plus en plus de déchets organiques transformés par méthanisation et, bientôt, des combustibles de substitution. À partir du biogaz issu des lixiviats produits par l'enfouissement des déchets ultimes, Baudelet alimente son affinerie d'aluminium, qui fournit à l'industrie automobile des lingots de métal recyclé.
Différentes techniques permettent également de récupérer de l'eau à partir des lixiviats. Utilisée pour refroidir l'usine d'aluminium et nettoyer le site, cette eau est aussi transformée en lave-glace pour les 150 véhicules qui y circulent. Ce produit biologique agréé est également vendu à des entreprises de transports, et depuis peu à des particuliers. « Cela fait connaître notre démarche environnementale au grand public », souligne la responsable de la communication, Caroline Poissonnier. D'autres initiatives relevant de l'économie circulaire pourraient bien marquer encore plus les esprits. Tel le projet de France Télécom, inspiré par son homologue allemand Deutsche Telekom, de transformer des cabines téléphoniques... en bibliothèques de rue !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vos réactions nous intéressent…