NADÈGE DUBESSAY
Atteint d'une pathologie du sang, Dominique Marchal est le premier agriculteur dont le cancer a été reconnu maladie professionnelle par la Sécu. Sa demande d'indemnisation a été rejetée par la cour d'appel de Metz
Touchés de plein fouet, les agriculteurs atteints de paraplégies, cancers... participent peu à peu à lever le tabou des pesticides en tentant de faire reconnaître leur pathologie en maladie professionnelle. L'association Phyto-Victimes les accompagne sur ce chemin semé d'embûches face à l'agrochimie.
Les pesticides ? Une nouvelle façon de produire. Le progrès. Le productivisme. Dominique Marchal, comme la plupart des agriculteurs, y a cru dur comme fer. Fraîchement sorti d'une école agricole en 1976, il s'installe en GAEC (groupement agricole d'exploitation en commun) dans une exploitation céréalière et en élevage avec son père et deux de ses oncles, à Serres, en Meurthe-etMoselle. Désherbage, protection insecticide, fongicide...
À lui la tâche des traitements des semis. En 2002, apparaissent les premiers signes du mal. Le nom est donné : le syndrome « myéloprolifératif », une maladie du sang proche du cancer. Bigre, à 44 ans ! « C'est mon épouse qui a entamé les démarches auprès de nos organismes agricoles. Mais les portes se sont toutes fermées », relate l'agriculteur. Pour la Mutuelle sociale agricole (MSA), il fallait faire le lien entre sa maladie et l'utilisation du benzène contenu dans les produits utilisés à la ferme, sans qu'il en soit fait mention sur les étiquettes. Débutent alors de longues années de procédures judiciaires.
Quatre ans plus tard, après confirmation par un toxicologue que plus de la moitié des produits utilisés par Dominique Marchal contenaient bien du benzène, le tribunal des affaires sociales d'Épinal reconnaît la maladie professionnelle. Une première. Une vraie révolution dans le monde agricole. L'affaire est médiatisée. Un céréalier charentais le contacte. C'est Paul François.
« Il voulait connaître les démarches que j'avais effectuées. Il venait d'être intoxiqué par l'herbicide Lasso, de la firme Monsanto, alors qu'il inspectait la cuve d'un pulvérisateur. » Depuis, l'agriculteur souffre de graves problèmes neurologiques et immunologiques. Lui aussi veut faire reconnaître sa maladie. Et lance en parallèle une procédure contre le semencier américain.
En septembre dernier, la cour d’appel de Lyon confirmait la condamnation de Monsanto. Là aussi, c’est une première en France. « Une immense victoire » contre la puissante firme agroalimentaire, « au bout de huit ans de combat, de harcèlement et de souffrance », explique Paul François. Mais Monsanto ne lâche pas l’affaire et se pourvoit en cassation. Quant à Dominique Marchal, lorsqu’il décide de se tourner vers la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) attaquer tous les fabricants étant mission impossible , la cour d'ap pel de Metz estime que le lien entre les produits utilisés et sa maladie n'est pas suffisamment établi. Coup de massue. « Il faudra retour ner en cassation. C'est une affaire interminable, épuisante... » Paul François sait aussi que le combat n'est pas terminé. Qu'il sera long, et coûteux.
« IL FAUT INTERDIRE EN PRIORITÉ LES PRODUITS LES PLUS NOCIFS ET VIRER LES LOBBYISTES PRÉSENTS DANS LES MINISTÈRES. » P.FRANÇOIS, PHYTO-VICTIMES
Avec d’autres agriculteurs victimes des pesticides, des avocats, des scientifiques, Paul François crée l’association PhytoVictimes en 2011. Elle entend aider les professionnels à faire reconnaître leurs pathologies et leurs droits en tant que malades des suites d’une exposition aux pesticides. Sans ce réseau, beaucoup d’agriculteurs, souvent isolés, n’oseraient pas entamer des démarches difficiles.
« ON VEUT CULPABILISER LES AGRICULTEURS »
C’est le cas de Laurence Ferrand. Son mari, viticulteur en Charente, est mort il y a quatre ans d’un cancer de la vessie et de la prostate. « Il avait 40 ans lorsqu’il est tombé malade. Un cancer, si jeune, ce n’était pas normal. Les médecins de l’hôpital ont fait le lien avec sa profession et les pesticides qu’il utilisait. Mon beaupère avait entendu parler de l’association PhytoVictimes. Nous l’avons contactée. » Commence le parcours du combattant devant les tribunaux face à une MSA volontairement dans le déni. La reconnaissance sera pourtant obtenue en 2012, quelques mois après le décès de Frédéric Ferrand. « Une chape de silence pesait sur le monde agricole qui se dissipe peu à peu, constate maître François Lafforgue, l’avocat de PhytoVictimes. Les agriculteurs prennent conscience qu’ils sont les premières victimes. Le système leur laissait penser qu’ils allaient sauver la planète en utilisant des pesticides, en produisant plus. Aujourd’hui, ils se sentent dupés, floués par les fabricants. » Actuellement, l’association prend en charge 250 dossiers de demande de reconnaissance en maladie professionnelle. Elle répond à deux ou trois appels quotidiens. « Le tabou se lève peu à peu », reconnaît lui aussi Paul François. Car l'histoire est complexe.
Depuis des décennies, les fabricants de produits phytosanitaires promettent à grand renfort de publicité aux agriculteurs des lendemains qui chantent. Performance, tranquillité, sécurité riment avec épandage de pesticides. Pendant longtemps, rien n'indiquait, sur les bidons utilisés, la dangerosité des produits. Pendant longtemps, les agriculteurs ont versé à mains nues des pesticides dans leur cuve, ont déambulé en plein épandage sans masque ni combinaison. Aujourd'hui, l'Union de l'industrie de la protection des plantes, l'UIPP, le lobby des fabricants de pesticides, renvoie les agriculteurs victimes aux précautions qu'il fallait prendre pour manipuler ces produits... « On continue de rendre coupables les agriculteurs, tempête Paul François. Et certains préfèrent cacher leur maladie plutôt que d'être stigmatisés. Moi-même, j'ai fait la promotion de la chimie. C'était le contexte qui voulait ça. Il faut accepter de s'être trompé, que cette erreur a eu des conséquences sur votre santé, celle de vos enfants, celle de vos voisins...
POUR LA MISE EN PLACE D'UN FONDS D'INDEMNISATION
C'est d'une grande violence. » Dominique Marchal témoigne de ces agriculteurs épandant sans masque lorsqu'ils s'approchent des lotissements, de peur d'effrayer les riverains s'ils arborent une tenue de cosmonaute et de se faire traiter d'empoisonneurs. « Aujourd'hui, reprend l'agriculteur, les firmes se protègent avec quantité de pictogrammes sur tous les bidons. Mais lorsque votre médecin vous prescrit un médicament, vous lui faites confiance. Vous n'allez pas lire la notice. » Et puis, rétorque Paul François, « quel agriculteur a les moyens d'appliquer vraiment toutes les préconisations ? » Des dizaines d'études épidémiologiques menées sur toute la planète prouvent que les utilisateurs de pesticides sont plus souvent atteints par certains cancers (estomac, prostate, vessie, cerveau, lèvres, lymphomes, leucémie, sein...) que la population générale. Une étude française montre que chez des agriculteurs hommes, le risque de développer la maladie de Parkinson est multiplié par 5,6 et celui de contracter la maladie d'Alzheimer par 2,4 par rapport à des groupes non exposés.
RAPPORTÉ À L'HECTARE CULTIVÉ, LA FRANCE EST LE PAYS EUROPÉEN LE PLUS GOURMAND EN PESTICIDES.
Le rapport de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) sur « l'exposition aux pesticides des personnes travaillant dans l'agriculture », qui devrait être rendu public par le ministère de l'Agriculture ce 1er juin, devrait confirmer une réalité inquiétante. Or, dans une interview accordée à « Libération », en 2011, Jean-Charles Bocquet, directeur de l'UIPP affirmait : « On ne s'empoisonne pas aujourd'hui avec les pesticides. » En mars 2015, cinq nouveaux pesticides étaient pourtant classés cancérogènes « probables » ou « possibles » pour l'homme par l'agence du cancer de l'Organisation mondiale de la santé. L'herbicide glyphosate, l'un des plus utilisés dans le monde, et les insecticides malathion et diazinon sont parmi les « probables » et les insecticides tétrachlorvinphos et parathion dans les « possibles ». Phyto-Victimes l'affirme et le revendique: aujourd'hui, il est possible de classer les produits les plus dangereux. Il faut les interdire en priorité et les remplacer par des solutions naturelles. « Un jour, le gouvernement devra bien arrêter de faire le jeu des firmes de l'agrochimie et virer tous les lobbyistes présents dans les ministères », insiste Paul François. L'agriculteur qui tente progressivement de convertir son exploitation en bio ne décolère pas contre le syndicat FNSEA, qui défend « un système basé sur l'agroalimentaire et l'agrochimie et non sur une agriculture durable ».
Il serait pourtant grand temps de changer de pratiques. Au troisième rang derrière les États-Unis et le Japon, la France représente le pays européen le plus gourmand en pesticides rapporté à l'hectare cultivé. Pire. Malgré les engagements du « Grenelle de l'environnement » de 2008 et du plan Écophyto qui prévoyait une baisse de moitié du recours aux produits phytosanitaires en dix ans, les gouvernements n'ont pas réussi à faire baisser l'usage des pesticides en France. Au contraire.
Les dernières statistiques, publiées le 8 mars par le ministère de l'Agriculture, témoignent d'une nouvelle hausse de l'usage des phytosanitaires : 2014 enregistre une croissance de 9,4 % par rapport à l'année précédente, ayant elle-même connu une augmentation de 9 % par rapport à la précédente...
Pour l'heure, l'association PhytoVictimes réclame la mise en place d'un fonds d'indemnisation pour les victimes des pesticides, comme cela a été fait pour les victimes de l'amiante ou des essais nucléaires. « Nous retrouvons des similitudes avec l'amiante, constate maître Lafforgue : des périodes de latence importantes entre l'exposition et la survenance des pathologies, une désinformation organisée par les fabricants à travers un lobby, une dangerosité des produits masquée, l'absence d'informations sur les mesures de protection à prendre... » Les pesticides, scandale sanitaire des prochaines années ? C'est à craindre.
10 ANS DE MOINS D'ESPÉRANCE DE VIE POUR LES DOCKERS D'AUJOURD'HUI
En première ligne des victimes de pesticides, les agriculteurs et les salariés agricoles. Mais pas seulement. L'exposition concerne aussi les salariés de l'agroalimentaire, ceux oeuvrant dans les usines de traitement du bois ou encore des milliers de travailleurs dockers, douaniers, déclarants en douane, magasiniers, chauffeurs routiers, logisticiens qui ouvrent au quotidien des conteneurs et y pénètrent pour des contrôles ou de la manutention. Une étude publiée par des chercheurs allemands et néerlandais montrait, en 2008, que 97 % des conteneurs testés au débarquement dans les ports de Hambourg et de Rotterdam présentaient des traces de gaz toxiques. Dans 30 % des cas, les concentrations étaient supérieures aux normes de sécurité. En mars 2011, un docker du port de Nantes, atteint d'un cancer du rein, prend conscience que beaucoup de ses collègues sont malades. Sur 140 contactés, 87 ont contracté des maladies, dont plus de 80 % de cancers. 35 sont morts. À Saint-Nazaire, sur 160 dockers, 43 sont tombés malades et 17 sont morts. Des cancers similaires à ceux des agriculteurs. Fongicides et pesticides régulièrement utilisés sur les denrées alimentaires ou végétales exposent gravement les travailleurs du port. Les dockers d'aujourd'hui ont une espérance de vie de 10 à 12 ans inférieure à ceux des générations précédentes. Effarant.
PESTICIDES, ALLIÉS DE L 'AGRICULTURE INTENSIVE
Si l'usage du soufre remonte à la Grèce antique, il faudra attendre 1913 pour que la chimie débarque dans nos champs avec les premiers engrais azotés. Et, en 1948, avec l'adoption du plan Marshall par la France, l'avenir est au progrès made in America. Tout s'accélère. Les États-Unis débarquent avec leurs tracteurs et leurs nouvelles molécules. Car à la sortie de la guerre, l'industrie se retrouve avec d'énormes stocks de produits qui étaient censés « tuer les ennemis ». L'agriculture lui rachète ces pesticides. L'agriculture intensive et industrielle était née, toujours plus avide d'engrais chimiques et d'intrants. Tant et si bien que la France se place aujourd'hui au premier rang des consommateurs de pesticides en Europe. Grandes exploitations céréalières, producteurs d'oléagineux et viticulteurs en sont les premiers utilisateurs.
Atteint d'une pathologie du sang, Dominique Marchal est le premier agriculteur dont le cancer a été reconnu maladie professionnelle par la Sécu. Sa demande d'indemnisation a été rejetée par la cour d'appel de Metz
Touchés de plein fouet, les agriculteurs atteints de paraplégies, cancers... participent peu à peu à lever le tabou des pesticides en tentant de faire reconnaître leur pathologie en maladie professionnelle. L'association Phyto-Victimes les accompagne sur ce chemin semé d'embûches face à l'agrochimie.
Les pesticides ? Une nouvelle façon de produire. Le progrès. Le productivisme. Dominique Marchal, comme la plupart des agriculteurs, y a cru dur comme fer. Fraîchement sorti d'une école agricole en 1976, il s'installe en GAEC (groupement agricole d'exploitation en commun) dans une exploitation céréalière et en élevage avec son père et deux de ses oncles, à Serres, en Meurthe-etMoselle. Désherbage, protection insecticide, fongicide...
À lui la tâche des traitements des semis. En 2002, apparaissent les premiers signes du mal. Le nom est donné : le syndrome « myéloprolifératif », une maladie du sang proche du cancer. Bigre, à 44 ans ! « C'est mon épouse qui a entamé les démarches auprès de nos organismes agricoles. Mais les portes se sont toutes fermées », relate l'agriculteur. Pour la Mutuelle sociale agricole (MSA), il fallait faire le lien entre sa maladie et l'utilisation du benzène contenu dans les produits utilisés à la ferme, sans qu'il en soit fait mention sur les étiquettes. Débutent alors de longues années de procédures judiciaires.
Quatre ans plus tard, après confirmation par un toxicologue que plus de la moitié des produits utilisés par Dominique Marchal contenaient bien du benzène, le tribunal des affaires sociales d'Épinal reconnaît la maladie professionnelle. Une première. Une vraie révolution dans le monde agricole. L'affaire est médiatisée. Un céréalier charentais le contacte. C'est Paul François.
« Il voulait connaître les démarches que j'avais effectuées. Il venait d'être intoxiqué par l'herbicide Lasso, de la firme Monsanto, alors qu'il inspectait la cuve d'un pulvérisateur. » Depuis, l'agriculteur souffre de graves problèmes neurologiques et immunologiques. Lui aussi veut faire reconnaître sa maladie. Et lance en parallèle une procédure contre le semencier américain.
En septembre dernier, la cour d’appel de Lyon confirmait la condamnation de Monsanto. Là aussi, c’est une première en France. « Une immense victoire » contre la puissante firme agroalimentaire, « au bout de huit ans de combat, de harcèlement et de souffrance », explique Paul François. Mais Monsanto ne lâche pas l’affaire et se pourvoit en cassation. Quant à Dominique Marchal, lorsqu’il décide de se tourner vers la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) attaquer tous les fabricants étant mission impossible , la cour d'ap pel de Metz estime que le lien entre les produits utilisés et sa maladie n'est pas suffisamment établi. Coup de massue. « Il faudra retour ner en cassation. C'est une affaire interminable, épuisante... » Paul François sait aussi que le combat n'est pas terminé. Qu'il sera long, et coûteux.
« IL FAUT INTERDIRE EN PRIORITÉ LES PRODUITS LES PLUS NOCIFS ET VIRER LES LOBBYISTES PRÉSENTS DANS LES MINISTÈRES. » P.FRANÇOIS, PHYTO-VICTIMES
Avec d’autres agriculteurs victimes des pesticides, des avocats, des scientifiques, Paul François crée l’association PhytoVictimes en 2011. Elle entend aider les professionnels à faire reconnaître leurs pathologies et leurs droits en tant que malades des suites d’une exposition aux pesticides. Sans ce réseau, beaucoup d’agriculteurs, souvent isolés, n’oseraient pas entamer des démarches difficiles.
« ON VEUT CULPABILISER LES AGRICULTEURS »
C’est le cas de Laurence Ferrand. Son mari, viticulteur en Charente, est mort il y a quatre ans d’un cancer de la vessie et de la prostate. « Il avait 40 ans lorsqu’il est tombé malade. Un cancer, si jeune, ce n’était pas normal. Les médecins de l’hôpital ont fait le lien avec sa profession et les pesticides qu’il utilisait. Mon beaupère avait entendu parler de l’association PhytoVictimes. Nous l’avons contactée. » Commence le parcours du combattant devant les tribunaux face à une MSA volontairement dans le déni. La reconnaissance sera pourtant obtenue en 2012, quelques mois après le décès de Frédéric Ferrand. « Une chape de silence pesait sur le monde agricole qui se dissipe peu à peu, constate maître François Lafforgue, l’avocat de PhytoVictimes. Les agriculteurs prennent conscience qu’ils sont les premières victimes. Le système leur laissait penser qu’ils allaient sauver la planète en utilisant des pesticides, en produisant plus. Aujourd’hui, ils se sentent dupés, floués par les fabricants. » Actuellement, l’association prend en charge 250 dossiers de demande de reconnaissance en maladie professionnelle. Elle répond à deux ou trois appels quotidiens. « Le tabou se lève peu à peu », reconnaît lui aussi Paul François. Car l'histoire est complexe.
Depuis des décennies, les fabricants de produits phytosanitaires promettent à grand renfort de publicité aux agriculteurs des lendemains qui chantent. Performance, tranquillité, sécurité riment avec épandage de pesticides. Pendant longtemps, rien n'indiquait, sur les bidons utilisés, la dangerosité des produits. Pendant longtemps, les agriculteurs ont versé à mains nues des pesticides dans leur cuve, ont déambulé en plein épandage sans masque ni combinaison. Aujourd'hui, l'Union de l'industrie de la protection des plantes, l'UIPP, le lobby des fabricants de pesticides, renvoie les agriculteurs victimes aux précautions qu'il fallait prendre pour manipuler ces produits... « On continue de rendre coupables les agriculteurs, tempête Paul François. Et certains préfèrent cacher leur maladie plutôt que d'être stigmatisés. Moi-même, j'ai fait la promotion de la chimie. C'était le contexte qui voulait ça. Il faut accepter de s'être trompé, que cette erreur a eu des conséquences sur votre santé, celle de vos enfants, celle de vos voisins...
POUR LA MISE EN PLACE D'UN FONDS D'INDEMNISATION
C'est d'une grande violence. » Dominique Marchal témoigne de ces agriculteurs épandant sans masque lorsqu'ils s'approchent des lotissements, de peur d'effrayer les riverains s'ils arborent une tenue de cosmonaute et de se faire traiter d'empoisonneurs. « Aujourd'hui, reprend l'agriculteur, les firmes se protègent avec quantité de pictogrammes sur tous les bidons. Mais lorsque votre médecin vous prescrit un médicament, vous lui faites confiance. Vous n'allez pas lire la notice. » Et puis, rétorque Paul François, « quel agriculteur a les moyens d'appliquer vraiment toutes les préconisations ? » Des dizaines d'études épidémiologiques menées sur toute la planète prouvent que les utilisateurs de pesticides sont plus souvent atteints par certains cancers (estomac, prostate, vessie, cerveau, lèvres, lymphomes, leucémie, sein...) que la population générale. Une étude française montre que chez des agriculteurs hommes, le risque de développer la maladie de Parkinson est multiplié par 5,6 et celui de contracter la maladie d'Alzheimer par 2,4 par rapport à des groupes non exposés.
RAPPORTÉ À L'HECTARE CULTIVÉ, LA FRANCE EST LE PAYS EUROPÉEN LE PLUS GOURMAND EN PESTICIDES.
Le rapport de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) sur « l'exposition aux pesticides des personnes travaillant dans l'agriculture », qui devrait être rendu public par le ministère de l'Agriculture ce 1er juin, devrait confirmer une réalité inquiétante. Or, dans une interview accordée à « Libération », en 2011, Jean-Charles Bocquet, directeur de l'UIPP affirmait : « On ne s'empoisonne pas aujourd'hui avec les pesticides. » En mars 2015, cinq nouveaux pesticides étaient pourtant classés cancérogènes « probables » ou « possibles » pour l'homme par l'agence du cancer de l'Organisation mondiale de la santé. L'herbicide glyphosate, l'un des plus utilisés dans le monde, et les insecticides malathion et diazinon sont parmi les « probables » et les insecticides tétrachlorvinphos et parathion dans les « possibles ». Phyto-Victimes l'affirme et le revendique: aujourd'hui, il est possible de classer les produits les plus dangereux. Il faut les interdire en priorité et les remplacer par des solutions naturelles. « Un jour, le gouvernement devra bien arrêter de faire le jeu des firmes de l'agrochimie et virer tous les lobbyistes présents dans les ministères », insiste Paul François. L'agriculteur qui tente progressivement de convertir son exploitation en bio ne décolère pas contre le syndicat FNSEA, qui défend « un système basé sur l'agroalimentaire et l'agrochimie et non sur une agriculture durable ».
Il serait pourtant grand temps de changer de pratiques. Au troisième rang derrière les États-Unis et le Japon, la France représente le pays européen le plus gourmand en pesticides rapporté à l'hectare cultivé. Pire. Malgré les engagements du « Grenelle de l'environnement » de 2008 et du plan Écophyto qui prévoyait une baisse de moitié du recours aux produits phytosanitaires en dix ans, les gouvernements n'ont pas réussi à faire baisser l'usage des pesticides en France. Au contraire.
Les dernières statistiques, publiées le 8 mars par le ministère de l'Agriculture, témoignent d'une nouvelle hausse de l'usage des phytosanitaires : 2014 enregistre une croissance de 9,4 % par rapport à l'année précédente, ayant elle-même connu une augmentation de 9 % par rapport à la précédente...
Pour l'heure, l'association PhytoVictimes réclame la mise en place d'un fonds d'indemnisation pour les victimes des pesticides, comme cela a été fait pour les victimes de l'amiante ou des essais nucléaires. « Nous retrouvons des similitudes avec l'amiante, constate maître Lafforgue : des périodes de latence importantes entre l'exposition et la survenance des pathologies, une désinformation organisée par les fabricants à travers un lobby, une dangerosité des produits masquée, l'absence d'informations sur les mesures de protection à prendre... » Les pesticides, scandale sanitaire des prochaines années ? C'est à craindre.
10 ANS DE MOINS D'ESPÉRANCE DE VIE POUR LES DOCKERS D'AUJOURD'HUI
En première ligne des victimes de pesticides, les agriculteurs et les salariés agricoles. Mais pas seulement. L'exposition concerne aussi les salariés de l'agroalimentaire, ceux oeuvrant dans les usines de traitement du bois ou encore des milliers de travailleurs dockers, douaniers, déclarants en douane, magasiniers, chauffeurs routiers, logisticiens qui ouvrent au quotidien des conteneurs et y pénètrent pour des contrôles ou de la manutention. Une étude publiée par des chercheurs allemands et néerlandais montrait, en 2008, que 97 % des conteneurs testés au débarquement dans les ports de Hambourg et de Rotterdam présentaient des traces de gaz toxiques. Dans 30 % des cas, les concentrations étaient supérieures aux normes de sécurité. En mars 2011, un docker du port de Nantes, atteint d'un cancer du rein, prend conscience que beaucoup de ses collègues sont malades. Sur 140 contactés, 87 ont contracté des maladies, dont plus de 80 % de cancers. 35 sont morts. À Saint-Nazaire, sur 160 dockers, 43 sont tombés malades et 17 sont morts. Des cancers similaires à ceux des agriculteurs. Fongicides et pesticides régulièrement utilisés sur les denrées alimentaires ou végétales exposent gravement les travailleurs du port. Les dockers d'aujourd'hui ont une espérance de vie de 10 à 12 ans inférieure à ceux des générations précédentes. Effarant.
PESTICIDES, ALLIÉS DE L 'AGRICULTURE INTENSIVE
Si l'usage du soufre remonte à la Grèce antique, il faudra attendre 1913 pour que la chimie débarque dans nos champs avec les premiers engrais azotés. Et, en 1948, avec l'adoption du plan Marshall par la France, l'avenir est au progrès made in America. Tout s'accélère. Les États-Unis débarquent avec leurs tracteurs et leurs nouvelles molécules. Car à la sortie de la guerre, l'industrie se retrouve avec d'énormes stocks de produits qui étaient censés « tuer les ennemis ». L'agriculture lui rachète ces pesticides. L'agriculture intensive et industrielle était née, toujours plus avide d'engrais chimiques et d'intrants. Tant et si bien que la France se place aujourd'hui au premier rang des consommateurs de pesticides en Europe. Grandes exploitations céréalières, producteurs d'oléagineux et viticulteurs en sont les premiers utilisateurs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos réactions nous intéressent…